Non, Éric Drouet n’est pas un « prisonnier politique »

par Nicolas Kirkitadze
jeudi 3 janvier 2019

(Éric Drouet, à l'antenne du média pro-russe RT France)

Entendez-vous le bruit des bottes militaires frappant d'un pas cadencé les pavés de Paris ? Ou les cris de bacchantes en délire et à moitié dévêtues brandissant – entre deux spasmes orgasmiques – des photographies du président Macron ? Ou bien des chœurs d'enfants habillés en blancs et chantant "Emmanuel, nous voilà !" ? Non, rien de tout cela ? Bizarre, car à en croire l'extrême-gauche et l'extrême-droite, on serait dans une dictature. Et en matière de dictature, ces deux mouvances s'y connaissent. La raison de ce chahut politico-médiatique : l'arrestation par la police d'une figure du mouvement des Gilets Jaunes.

Il s'était fait connaître par ses sorties tonitruantes sur les plateaux télévisés et sa verve oratrice qui l'avait propulsé en première ligne du mouvement jauniste. Éric Drouet est un chauffeur routier de 33 ans, originaire du Sud de la France, père de famille et fan des grosses cylindrées. Dès l'Acte I du 17 novembre, il s'était montré d'une détermination inhabituelle qui lui a valu l'admiration des Gilets Jaunes les plus radicaux dont il est aujourd'hui une figure de proue. S'il refuse de dire pour qui il a voté en 2017, ses sorties sur "l'anti-France" et la "Ripoublique" posent néanmoins question, ainsi que ses fréquentes interviews accordées au média russe RT France, soutien affiché de Marine Le Pen lors de la campagne présidentielle.

Le fringant trentenaire vient d'être arrêté à Paris pour une manifestation non-déclarée à quelques centaines de mètres de l'Élysée. Il l'avait promis sur les réseaux sociaux : "On va faire une grosse action, on va choquer l'opinion publique". Et de réunir plusieurs dizaines de Gilets Jaunes (sans gilets, pour le coup) à environ cent mètres du palais présidentiel. Se filmant avec son smartphone dernier cri, il fanfaronnait sur l'absence des policiers et sur sa facilité à entrer dans Paris sans être arrêté. C'est alors que surgissent les fameux policiers, missionnés pour protéger les endroits stratégiques de la capitale. Oubliant sa fougue révolutionnaire, Drouet (homonyme de celui qui avait reconnu Louis XVI à Varennes), se planque derrière plusieurs lignes de manifestants avant d'en être extrait après plusieurs tentatives policières et d'être embarqué manu militari. Les dizaines de manifestants tentant de protéger leur meneur ont en outre déversé un flot d'insultes à l'encontre des policiers.

Éric Drouet n'en est pas à son coup d'essai. Celui qui, le 5 décembre, avait exprimé sur BFM TV son souhait de "prendre l'Élysée" et qui disait ne plus croire "en cette république de voleurs", a déjà écopé d'une arrestation et d'une mise en examen à la fin du mois dernier après que la police ait découvert des objets contondants et des projectiles dans sa voiture en marge d'un cortège de manifestants. Relâché après 48 heures de garde à vue, il avait été placé en contrôle judiciaire et interdit d'entrée à Paris avant le 8 juin, date de son procès.

Plus graves que la jacquerie de M. Drouet, ce sont les réactions de ses soutiens, oscillant entre minimisation et approbation tacite. Ainsi, Benjamin Cauchy, porte-parole des Gilets Jaunes Libres (dits modérés) apporte tout son soutien à Éric Drouet, dont il dénonce l'arrestation "politique". Une rengaine reprise par l'Insoumis Loïc Prud'homme qui évoque un "abus de pouvoir" quand le lepéniste Steve Briois va jusqu'à parler de totalitarisme. Mélenchon, en personne, a pris la parole pour défendre celui qu'il voit comme un "révolutionnaire". Le chef des Insoumis, grand admirateur du très démocratique Venezuela, dénonce également une "police politique qui cible et harcèle les opposants".

Comme d'habitude depuis le début de ce mouvement social, rouges et bruns marchent main dans la main. Il est historiquement ironique (et inquiétant) que ces pourfendeurs d'une "dictature" imaginaire soient les héritiers d'idéologies qui ont ensanglanté le monde au cours du XXème siècle. Lorsque l'on a un arrière-grand-père déporté au goulag par les bolcheviks et un autre fusillé par les Nazis sur le Front de l'Est, je peux vous assurer que l'on ressent une sourde colère devant ces dissidents à la petite semaine qui osent parler de totalitarisme et de police politique dans la République Française de 2019. Certains me taxeront de "macronisme", à tort, mais j'en accepte l'augure. Au moins, l'idéologie macronienne – quels que soient ses multiples défauts – n'a tué aucun membre de ma famille… ni personne d'autre, d'ailleurs. Et entre la peste rouge et la peste brune, le social-libéralisme à la demi-molle de LREM apparaît comme un moindre mal.

Mais le fond du sujet n'est même pas là ! Il n'est pas question ici de Macron, du libéralisme, ou des extrêmes ! Il est question simplement de la loi et de la sécurité nationale. Du point de vue juridique, l'arrestation de M. Drouet ne souffre d'aucun abus : un homme ayant appelé au renversement du Président et qui organise, à quelques mètres du palais présidentiel, sans préavis, une manifestation non autorisée alors qu'il n'a pas le droit de se trouver dans la capitale, voilà qui autorise les forces de l'ordre à réagir en toute légalité. Et si une manifestation similaire avait éclaté à Budapest ou Moscou (dont les régimes sont admirés par une grande partie des Gilets Jaunes), que se serait-il passé ? On peut parier que ledit opposant ne s'en serait pas tiré avec une simple mise en garde à vue. A cela s'ajoutent les propos inquiétants de M. Drouet qui, sur facebook, avait exprimé son désir de faire une "grosse action" pour "choquer l'opinion publique". Habituée aux attentats islamistes, à la crise financière, aux violences urbaines et aux faits divers sordides, on se demande bien ce qu'il faut pour que l'opinion publique soit "choquée". Peut-être une opération à la Harvey Oswald… Bien sûr, M. Drouet n'a jamais parlé ouvertement d'attenter à l'intégrité du Président, mais ses propos peuvent néanmoins nous laisser songeurs. Car, lorsqu'il dit vouloir "entrer à l'Élysée", on se demande bien ce qu'il compte y faire : visiter les jardins, dîner dans la grande salle à manger, couler un bronze dans les toilettes présidentielles ? Ne serait-ce pas plutôt pour en découdre avec le principal locataire du palais ?

Plusieurs médias et politologues se sont enfin penchés sur la question stratégique : fallait-il arrêter M. Drouet au risque d'en faire un "martyr" ? Car, après Florina, jeune émule de Polyphème, le risque est fort qu'Éric Drouet devienne le nouveau totem, la vache sacrée du mouvement jauniste. C'est avec le suicide d'un parfait lambda nommé Mohammed Bouazizi qu'ont débuté les Printemps Arabes et, bien avant, c'est le viol de la chaste Lucrèce par le prince Sextus Tarquin qui embrasa le peuple romain, conduisant à la chute de la royauté. Les martyrs, vrais ou faux, morts ou vivants, constituent un excellent fédérateur pour toutes les idéologies. Cependant, cette question du "fallait-il ou non" est biaisée dans la mesure où elle part d'un postulat qu'il s'agit d'une arrestation politique, donnant de fait raison à cette affirmation des Gilets Jaunes. Si, comme d'aucuns le prétendent, Emmanuel Macron est conseillé par les illuminatis (chanceux, le mec) ces derniers sont-ils assez stupides pour oublier qu'arrêter Drouet est susceptible de donner un souffle de renouveau à cette chandelle vacillante qu'est, en ce début d'année, le mouvement jauniste ? Politiquement, la majorité avait au contraire tout à gagner en laissant M. Drouet et ses fadas mettre le souk à Paris et se radicaliser davantage – provoquant ainsi des scissions et des désolidarisations dans le mouvement.

Le fait même que cette arrestation soit survenue ce soir à Paris, en direct devant des caméras, le surlendemain des vœux présidentiels, est la preuve par A + B qu'il s'agit d'une mesure uniquement juridique sans nul commenditaire reptilien. De fait, elle n'aurait pu tomber à un moment plus malencontreux pour un exécutif empêtré dans ses démêlés avec la nouvelle "affaire" Benalla, le prélèvement à la source, la tentative d'amorcer des réformes économiques impopulaires et un climat international qui se tend chaque jour davantage.


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