Non M. Valls, Cécile Duflot n’est pas coupable

par heliogabale
jeudi 21 août 2014

M. Valls est à Matignon depuis moins de cinq mois et sa politique ne porte pas les fruits escomptés. Sa popularité décline lentement mais sûrement et tout porte à croire que le Président de la République devra se séparer de lui en 2015. Manuel Valls, qui se voyait peut-être Calife à la place du Calife dès 2017 se trouve déjà en grande perdition : il se fait dorénavant Grand Inquisiteur…

Selon les indiscrétions du Figaro et du Canard enchaîné, il aurait pointé du doigt l’action de Cécile Duflot en tant que ministre du Logement dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault : en cause la fameuse loi ALUR (Loi pour l’accès au logement et l’urbanisme rénové). Celle-ci aurait freiné l’activité du logement et coûterait 0,4 à 0,5 point de PIB, soit la différence entre les prévisions initiales du gouvernement et le niveau de croissance qu’il espère encore atteindre.

Vous pouvez trouver des détails sur les mesures mises en œuvre à travers cette loi ici. Cette loi avait pour but de répondre à la crise du logement générée par plus d’une décennie d’augmentation des prix qui a conduisant à la formation de l'une des plus grosses bulles immobilières du monde occidental. Les dispositifs de cette loi œuvraient à un meilleur encadrement des pratiques du secteur de l’immobilier (un nouveau contrat type est crée beaucoup plus épais mais introduisant une plus grande transparence dans les transactions immobilières), un encadrement des loyers (qui sera limité par la suite à la région parisienne) et des honoraires de location, une garantie universelle des loyers initialement prévue fut abandonnée du fait de la difficulté à la mettre en place. Par ailleurs, l’investissement locatif dans le neuf était également concerné par cette loi puisque le dispositif Duflot, remplaçant du dispositif Scellier, était mis en place : il était en particulier plus restrictif (plafonds de loyers bas rendant inintéressant ce dispositif dans les zones tendues comme la région parisienne) que son prédécesseur. C’est ce dernier volet qui semble être dans le viseur du Premier Ministre.

Je ne reviendrai pas sur le manque d’élégance et de solidarité de la part du Premier Ministre, qui fut tout de même ministre de l’Intérieur sous le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, et qui à ce titre devrait assumer la politique de son prédécesseur (dont il a fait hypocritement l’éloge lors de la passation). Il avait la possibilité de démissionner s’il jugeait cette loi si nuisible pour le pays (rappelons tout de même que 0,5 point de PIB représente plus de 10 milliards d’euros) mais il ne l’a pas fait. Qui ne dit mot consent !

Je m’attarderai plutôt sur la véracité de son propos : peut-on imputer à cette loi le freinage (tout relatif puisque le point de référence pris étant celui des années de bulle) de l’immobilier depuis trois ans ? En fait la réponse est dans la question. Le freinage de l’économie française en général et de l’immobilier en particulier date de l’été 2011, alors que l’on se trouvait en pleine crise de l’euro. La France se situe dans l’œil du cyclone ; les marchés boursiers font tomber un à un les pays de l’Europe du Sud, Italie comprise et la suivante est selon les dires de tous les analystes la France. Son déficit s’élevait à plus de 7% en 2010 et prévu à plus de 5% en 2011, la dette a explosé en trois ans en augmentant de plus de 20 points de PIB et certains émettent des doutes sur la solidité de son système bancaire. Nicolas Sarkozy qui faisait le fier quelque temps auparavant en faisant pression sur l’Allemagne pour que la Grèce reste dans l’euro, quitte à lui imposer les pires souffrances, se voit obliger d’obéir aux injonctions d’Angela Merkel. Pour sauver l’euro, la France doit se mettre à la diète : Sarkozy est stoppé net dans sa politique clientéliste (ce qui lui coûte la victoire en 2012) et le gouvernement Fillon concocte une série d’augmentations de taxes et d’impôts en tous genres (parfois des virages à 180°) et annonce que le dispositif Scellier ne serait pas prolongé au-delà de 2012. Dans cette annonce, il faut y voir l’emprise allemande (soyons juste, il faudrait plutôt parler de bon sens) qui a sûrement pointé du doigt l’immobilier surévalué comme cause de l’écart compétitif entre les deux pays.

On a trouvé la mère de tout les maux de l’immobilier français : à partir de la fin des années 1990 et jusqu’en 2011, l’indice du prix du logement rapporté au revenu par ménage est multiplié par deux en France métropolitaine, et plus particulièrement par 2,5 à Paris. Une gigantesque bulle s’est formée, aidée en cela par la baisse des taux d’intérêt, permettant un allongement de la durée de l’emprunt ainsi que par les dispositifs fiscaux très généreux. Dans ce domaine, Sarkozy est celui qui est allé le plus loin : Loi Scellier, loi Scellier élargi, PTZ+, défiscalisation des intérêts d’emprunts immobiliers… bref, un amoncellement de mesures pour arriver à sa « France des propriétaires », idée reprise au criminel de guerre G.W Bush faisant l’apologie du prêt subprime lorsqu’il ne commettait pas de crimes contre l’humanité en Irak. Évidemment, sur le coup, c’est une aubaine pour la croissance : la France fait mieux que l’Allemagne sur ce point dans la période 2000-2008 en grande partie grâce au boom de l’immobilier. La dépression immobilière qui vient après l’euphorie annule ces gains artificiels de croissance.

Nous sommes arrivés à la situation suivante : des prix très élevés qui ne baissent que très modérément (la baisse des taux d’intérêt atténuant la tendance) depuis trois ans (hors zone rurale et semi-urbaine) et un marché qui est fermé aux primo-accédants qui ne disposent pas de l’apport nécessaire et dont les revenus sont insuffisants ou trop irréguliers pour pouvoir emprunter. Le marché est donc alimenté par des acheteurs déjà propriétaires, voulant acheter plus grand et qui peuvent soutenir des prix relativement élevés, si les taux d’intérêt restent bas.

Un troisième point doit être relevé : les accords de Bâle III imposent des ratios de sûreté aux banques. Ainsi, les prêts de très longues durées ne sont pas considérés comme des actifs sûrs. Les établissements bancaires ont tout intérêt à limiter les prêts de ce type à des emprunteurs très sûrs, d’autant plus qu’elles ont intégré le fait que le marché immobilier était surévalué. Elles s’attendent donc à une baisse de prix durables : prêter à des profils non sûrs mettrait en péril leur bilan. En outre, les banques qui s’étaient quelque peu retirés du marché immobilier lors de la décennie précédente (au profit des petits investisseurs à la recherche d’un revenu plutôt sûr) pourrait profiter de la baisse pour revenir en force, sécuriser la structure de leurs actifs, et accélérer la chute des prix.

La loi Duflot a certainement quelques inconvénients « bureaucratiques » pour les professionnels de l’immobilier qui s’étaient habitués à des marchés haussiers et des volumes de transaction historiquement élevés, mais ceux-ci ne peuvent expliquer l’atonie du marché (ce ne sont pas cent pages de contrat en plus qui vont refroidir les acheteurs).

Dans un précédent article, j’avais dit que le gouvernement serait tenté de relancer les aides et les défiscalisations dans l’immobilier dans l’espoir pathétique de retrouver quelques dixièmes de croissance, leur permettant de hausser le menton à nouveau. Pathétique, car le gouvernement est contraint dans sa politique économique par la diminution du déficit public. Toute aide massive susciterait le courroux d’Angela Merkel qui ne manquerait pas de remettre une nouvelle fois à sa place l’exécutif français. Toute aide massive pourrait engendrer un regonflement de la bulle, ce qui exclurait davantage les ménages les plus modestes ou pire les dirigeraient vers la spirale du surendettement.

Vous l’aurez compris, le président de la République et son premier ministre veulent toujours « aller plus loin » sans être capable de définir une direction claire : ils veulent diminuer le déficit tout en baissant les impôts et les « charges » des entreprises et sans être capable d’esquisser les économies qui seront faites dans les dépenses. Valls en sous-entendant qu’il faut de nouvelles aides pour le secteur de la construction, va peut-être nous prouver qu’on peut réduire le déficit en diminuant les recettes et en augmentant les dépenses…


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