Notre-Dame de Paris, un requiem pour Marie !

par Nicole Cheverney
jeudi 13 avril 2023

C’est au XIIe siècle, en 1163, que l’évêque Maurice de Sully décide de remplacer deux sanctuaires existants antérieurs, dédiés respectivement à St-Etienne et à la Vierge, par un édifice vaste et ambitieux : une cathédrale ! 

Les deux églises antérieures à Notre-Dame de Paris, avaient été édifiées sur un ancien sanctuaire païen, du 1er siècle après JC.

En construisant Notre-Dame de Paris, les architectes et maîtres d’œuvre, par leur génie architectural firent surgir « la fleur suprême », forts d’une technique déjà parfaitement maîtrisée avec l’édification des cathédrales de Noyon, St-Denis, Senlis et Laon. La première pierre fut posée par le pape Alexandre III, le chœur fut achevé en 1177, le transept et la nef vers 1196, la façade et les tours, dans le deuxième quart du XIIIe siècle. Deux chapelles, non prévues sur le plan initial, furent rajoutées entre les contreforts de la nef, vers 1235 – 1250.

Les architectes Jean de Chelles et Jean Ravy élevèrent les chapelles du « tour du chœur ».

Notre-Dame est la dernière « grand église » à tribunes.1 C’est aussi la première où un arc-boutant2 de 15 mètres – œuvre audacieuse de Jean Ravy – se lance d’un jet depuis l’abside enjambant les deux déambulatoires et les tribunes.

Les constructeurs gothiques étaient avant tout de grands logiciens.

Ils excellaient dans la transformation d’éléments de construction en éléments décoratifs d’une « infinie beauté ». Pour eux, une ossature trop franche, trop « brutale », devait être soit ornementée, soit adoucie. Comme par exemple, des « étrésillons »3, des « petites arcades », des « ressauts4 », des niches ornées de statues, tout cela pour éviter une massification trop visible des contreforts, qui, sans ces subterfuges architecturaux auraient donné de la lourdeur à l’édifice.

Les constructeurs de Notre-Dame-de Paris privilégiaient les lignes horizontales. Contrairement à celle de Reims où les lignes verticales dominent. Notre-Dame se situant au début de l’art gothique, les arcs-brisés sont peu aigus. L’arc qui enveloppe la grande rosace est un arc de plein cintre, hérité de l’art roman.

La façade de Notre-Dame-de Paris.

Elle est considérée comme un véritable chef-d’œuvre et a toujours retenu une attention particulière, par la majesté qui s’en dégage et une sensation de calme et d’harmonie dans la remarquable distribution des masses. Nulle part ailleurs, l’on ne rencontre un plus bel équilibre entre les lignes horizontales et les lignes ascendantes. Ses deux tours, à l’origine, étaient destinées à recevoir deux flèches très hautes, ce qui en auraient modifié singulièrement l’aspect.

La façade occidentale offre une remarquable unité de composition où trois portails s’y ouvrent. St-Anne au Sud, celui du Jugement dernier au Centre, celui de la vierge au Nord « dont les scènes s’expriment avec une noblesse jusqu’alors inconnue ». Des figurines d’anges et de saints garnissent les voussures, tandis qu’aux soubassements s’épanouissent des bas-reliefs consacrés aux occupations du mois, représentant les vertus et les vices. Au-dessus des portails, une galerie des rois de Juda s’étend sur la largeur de la façade.

La nef.

Les colonnes qui la sous-tendent portent, sur le tailloir5 carré de leurs chapiteaux, un faisceau de colonnettes. Ces colonnettes étaient destinées comme réceptacle des nervures de la voûte sexpartite. Cette voûte se traduit par une alternance de piliers forts et de piliers faibles. Ces piliers reçoivent l’arc-doubleau6 secondaire ou l’arc-doubleau principal. L’alternance de piliers forts et faibles est commune à toutes les cathédrales de l’art gothique primitif. Cependant pour Notre-Dame de Paris, les piliers de la nef ont tous la même épaisseur. S’il s’agit d’une « anomalie », elle trouve son explication logique, dans la poussée des voûtes de la nef qui se fait, non pas sur les piliers, mais obliquement. Le constructeur de Notre-Dame de Paris eut l’idée de renforcer les piliers des bas-côtés correspondant aux piliers de la nef qui reçoivent la plus lourde charge (deux diagonaux et un doubleau7).

Il les renforça en entourant le fût (pilier) de 12 colonnettes. Ces colonnettes jouent le rôle de raidisseurs par rapport au noyau central.

La nef de Notre-Dame de Paris compte une hauteur de 35 mètres. La longueur totale de la cathédrale avoisine les 130 mètres, (certains avancent 127 mètres).

La grande rose du transept nord :

D’une luminescence bleutée incomparable, qu’on ne se lasse pas d’admirer, elle est essentielle dans l’éclairage de la voûte de la nef. C’est un joyau dans le joyau ! D’une dimension considérable, elle peut résister à la poussée des vents. Pour en augmenter la solidité, deux rangs d’arcatures concentriques ont été édifiés, pour ajourer l’angle inférieur jusqu’au sommet, flanqués de 2 baies géminées.

Du statuaire d’origine, il ne reste que l’élégante statue de la « Vierge à l’enfant » de la porte du cloître, ayant échappée aux outrages du temps et de l’Histoire.

Le choeur :

Il est entouré d’une clôture sculptée de bas-relief de pierre, conçus par Jean-Ravy et Jean le Bouteiller, faisant suite au Jubé8 aujourd’hui disparu, et continuant sur la partie tournante du chœur.

Dans cette cathédrale où la lumière du jour vient mourir sous les arches et où l’ombre flageolante met en relief la pierre de taille, sous les effets des clairs-obscurs que renvoient les vitraux, c’est tout un enchantement où l’âme humaine vient y puiser sa force, sans faire abstraction de toute la poésie qui se dégage de ce demi-jour sacré.

L’on y prie, l’on s’y promène, l’on y rêve sous la voussure vertigineuse de ses ogives croisées, devant la beauté intemporelle de la rose nord. Là, où l’architecture fit fleurir ce chef-d’œuvre, cette rose presque « miraculeuse », semble entonner comme une voix surnaturelle pour qui sait écouter et sentir. Car de cette cathédrale semble sourdre toutes les forces telluriques de la création.

Notre-Dame est la cathédrale de la Vierge Marie. Tout est grand ici, mais à dimension humaine. Sa grande façade, ses portails, ses grandes statues, ses bas-reliefs, comme la Pieta de Nicolas Coustou9, jusqu’à la rose triomphale. Tout l’art religieux du XIIe et du XIIIe semble s’être concentré dans cet hymne de pierre !

C’est ici que s’exprimèrent de grandes et belles voix : Bossuet, Lacordaire.

C’est ici également que Paul Claudel venait y prier.

Car Notre-Dame de Paris est consubstantielle de l’Histoire de France.

Saint-Louis y vint, pieds-nus pour y amener la « couronne d’épines ».

Napoléon y fut sacré Empereur en 1804.

C’est là encore, qu’eurent lieu les funérailles nationales de Maurice Barrès, le Maréchal Foch, Raymond Poincaré, le Maréchal Leclerc.

Le 26 août 1944, un grand Te Deum fut donné, en l’honneur de la libération de Paris, en la présence du général de Gaulle.

De ce quartier hautement spirituel, seule Notre-Dame de Paris demeure, dernier vestige du Paris médiéval.

En effet, après la rénovation de Paris sous Napoléon III, il ne restait quasiment rien de l’époque médiévale.

« Le reste n’était guère qu’un quartier ravagé, officialisé par Haussmann, caserne, préfecture, Hôtel Dieu. Un seul ilôt dans l’Ile, la partie qui va de la Cathédrale à la Seine, garde un peu l’âme de la vieille cité ».

Sur le parvis de Notre-Dame, les soirs d’été, y étaient autrefois donné le « Mystère de la Passion ». Une foule extraordinaire y assistait dans une même communion spirituelle.

Il faut dire que Notre-Dame par ses attributs architecturaux représentait avec sa masse imposante, un somptueux décor.

Le chef-d’oeuvre qu’est Notre-Dame, cet "alpha et oméga" de l’art religieux, subit hélas les outrages de la haine "dure" des conventionnels durant la Révolution française.

Ce fut envers Notre-Dame de Paris une période de sacrilèges par des fanatiques qui décidèrent de dédier la cathédrale à la déesse Raison en 1793, pendant la Terreur, ensuite à l’Etre Suprême en 1794. Elle fut transformée en magasins de vivres où des bandes de soudards saccagèrent entièrement le statuaire.

Il faudra attendre 1845 pour que des travaux de restauration soient entrepris par Lassus10 et Violet-Leduc.

En effet, Paris se trouve en pleine effervescence architecturale et urbaine, sous l’impulsion de Haussmann qui, pour tenter de préserver l’unité parisienne, décidait d’aérer la ville en détruisant des quartiers entiers très anciens, une véritable masse urbaine. Pour ce, il fit percer de larges artères et avenues rayonnant de l’Étoile, de la République et de la Nation.

« On dégage la croisée de Paris en lançant les axes Rivoli-St-Antoine et St-Michel-Sébastopol. Le point de jonction du Châtelet est agrandi grâce à l’excavation de la Butte de St-Jacques-la-Boucherie ».

Ces transformations touchèrent tous les îlots d’habitations de l’Île de la Cité. Haussmann les fit sauter, sauf la place Dauphine et le pâté Nord de la Cathédrale Notre-Dame de Paris. Il est à noter que le Baron Haussmann par ses dépenses somptuaires, (ce que ses détracteurs appelaient « les comptes fantastiques d’Haussmann  », et son manque de respect pour les vestiges du passé, des constructions rasées, datant de l’époque médiévale), ont accentué le déséquilibre social entre la partie Est et Ouest de Paris.

De plus, le souci sous-jacent d’Haussmann en sus de la modernisation de Paris fut de créer de longues avenues rectilignes pour surveiller les faubourgs et le centre. C’est la raison pour laquelle il fit installer une caserne dans la Cité. En effet, il fallait parer aux émeutes, aux soulèvements populaires nombreux en cette seconde moitié du XIXe siècle, à cause de la grande misère prolétarienne avec l’industrialisation à marche forcée de la France et la destruction progressive de la ruralité, contraignant les provinciaux confrontés au chômage, de venir s’entasser dans les quartiers pauvres de Paris.

Dans les larges avenues, les places et les grandes artères conçues par Haussmann, la maréchaussée et la cavalerie pouvait débouler et réprimer plus facilement les mouvements insurrectionnels.

Bienheureusement Notre-Dame de Paris échappa aux démolisseurs.

 

Sources : Précis sur l’Histoire de l’Art – L’art Gothique – de Henry Martin ( archiviste Paléologue) – Edition Flammarion.

Encyclopédie Larousse.

 

1Tribune : Lieu élevé d’où parlaient les prédicateurs.

2Arc-boutant : Construction en forme de demi-arc, à l’extérieur d’un édifice pour soutenir un mur contre la poussée des voûtes.

3Etrésillons : pièces de bois placées en travers.

4Ressauts : Saillie d’un bâtiment en dehors de la façade.

5Tailloir : Partie supérieure d’un chapiteau de colonne.

6Arc-doubleau : Partie faisant saillie sur une voute

7Doubleau : Arc en saillie.

8Jubé : Tribune en forme de galerie entre la nef et le choeur.

9Nicolas Coustou : Sculpteur français né à Lyon en 1658, mort en 1733, auteur de « la Descente de Croix », la « Pieta », de Notre-Dame.

10Lassus : Jean-Baptiste Antoine Lassus, architecte et archéologue français né à Paris en 1807, mort en 1857, a restauré St-Séverin, et a commencé la restauration de Notre-Dame de Paris avec Violet-Leduc.


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