Notre Dame des Landes : à qui la faute ?

par Emmanuel Glais
mercredi 21 novembre 2012

A un Vinci vénal ? Au Ayrault arrogant ? Aux CRS écervelés ? Ou bien aux bobos empressés de colorier une nouvelle destination sur la carte du monde de son réseau social favori ?

Le transport aérien

 En 1971, dans Technique de la non-violence, Lanza del Vasto écrit « La Technique est efficace à procurer l'accélération des transports, abstraction faite de la question s'il est bon de se précipiter sans savoir vers quoi, s'il est bon par la précipitation générale d'abréger le temps. »

 Construire un aéroport, cela va sans dire, c'est une façon d'accélérer cette « précipitation générale », de continuer la révolution des transports que nous connaissons depuis plus de 150 ans et l'essor du train et du steamer. Nous sommes désormais, et ce depuis une cinquantaine d'années au moins, dans un sous-moment (autoroute, TGV, avion) de cette longue révolution des transports qui n'en finie plus. A l'évolution de la technique et de l'offre du transport, les hommes se sont habitué. Ils n'ont plus peur des vitesses supérieures à celle du cheval pour leur santé. Ils ont su adapter leurs comportements pour donner l'impression que ces gares, ces aéroports, ces autoroutes, étaient indispensables. Les économies se sont ouvertes et les ports dotés de plateformes multimodales.

 La télévision a construit une imagerie d'Épinal internationale dictant aux masses ce que signifie une vie bien remplie. Mais au fond, personne ne s'interroge. Pourquoi faut-il absolument voir les chutes du Niagara, avoir fumé à Amsterdam, et s'être pris en photo au pied de Khéops avant de mourir ? Les plus distingués verront aussi le site fantastique de Petra et auront baroudé dans je ne sais quel désert de sel d'Amérique du Sud.

 Serait-ce que l'imagination a déserté l'époque ou que l'on a peur de ne pas trouver mieux que la Terre dans l'au-delà ? Le paradis, est là, sous tes pattes, profites-en !

 Et si nous commencions par faire le bien autour de nous avant d'accueillir d'aimables polyglottes dans nos appartements via le site couchsurfing ? Peut-être retrouveraient-on l'espoir perdu de nos aïeux pour un Walhalla féérique ?

 On oublie trop souvent de se poser la question « qu'est-ce qu'on retient ? ». Ressort-on de nos voyages à jamais plus riches ; ou bien tout s'en va-t-il avec notre bronzage ? Ayant observé les interminables autoroutes américaines, Baudrillard notait « Rouler est une forme spectaculaire d'amnésie. Tout à découvrir, tout à effacer. » (L'Amérique, 1986).

 On va parfois quelque part sans savoir dire bonjour, et d'autres fois on repart sans avoir même écouté une autre musique que celle, partout la même, livrée par les enceintes des discothèques. A quoi bon manger un hamburger à Moscou, une pizza à Rio, quand on y reste que quelques jours ?

 Notre boulimie de lieux n'est-elle pas coupable ? En tout cas la construction d'aéroports internationaux n'est-elle pas sa conséquence irrémédiable ? Ce n'est pas le voyage qu'il faut condamner, mais peut-être la façon dont nous l'abordons, comme un pur échappatoire à nos vies citadines. Ne doit-on pas repenser le rythme de nos vies ? Un seul long voyage initiatique à dos de mulet n'est-il pas préférable à une série de va-et-vient revitalisant ?

 

Une question de mode de vie

 J'ai entendu aujourd'hui à la télévision que les français étaient ceux qui avaient le plus de vacances (30 jours/an). On nous le répète assez, dans le but d'admettre que nous sommes des fainéants, et si les industriels et les banquiers l'exigent, que nous renoncions bientôt à une ou deux semaines, pour nous retrouver dans la sacro-sainte norme européenne. Mais il faut mettre je crois ce chiffre en relation avec celui des antidépresseurs que nous avalons, et des rêves que nous tronquons en abîmant notre sommeil. Comme avec notre productivité. Nous sommes, cocorico, dans ce domaine également, les champions du monde (en terme de productivité horaire). Hélas, le Médef en demande plus, en jouant sur les mots, et claironnant sur un manque de compétitivité.

 C'est toute notre façon de vivre qu'on devrait peut-être interroger. Rectifier la trajectoire que nous avons pris il y a deux siècles prendra du temps. Le projet de faire de l'Aéroport de Nantes un « Rotterdam aérien de l'Europe1 » a cinquante ans, puisqu'il remonte à la création de la DATAR en 1963 pour rééquilibrer un pays anciennement tourné vers Paris. Nous croyons qu'il y a d'autres façons d'habiter la province que d'accroître les possibilités de s'en échapper. Il faut que nous réapprenions ce que nos pères n'ont pas voulu apprendre de nos grand-pères, et c'est semble t-il ce que font les opposants les plus déterminés au hub nantais, en habitant et cultivant avec intelligence les 2000 hectares de bocage menacés. Paradoxalement, l'ancienneté du projet a protégé ces terres de l'industrialisation agricole qui a défiguré les campagnes de l'ouest, comme l'explique le Collectif de Lutte Contre l’Aéroport de NDDL.

 « Depuis plus de 40 ans ces terres n’ont subi aucune politique d’aménagement du territoire, car le conseil général avait créé, avec l’aide de l’État, une Zone d’Aménagement Différé. Celle-ci bloque tout remembrement/urbanisation en vu d’un projet : ici le projet d’aéroport. »

 Malgré quelques opérations de remembrement, cet espace représente un patrimoine qui témoigne d'un type original de nature anthropique. Intelligemment pensé, il pourrait être un atout et retenir quelques touristes ayant des envies d'ailleurs.

 Plutôt que d'investir de l'argent public dans un projet pharaonique qui pourrait faire gagner une demi-journée aux grands voyageurs, pensons plutôt à ceux qui quotidiennement perdent des heures dans les transports en commun pour se rendre au travail ou à Pôle Emploi. Privilégions des projets moins clivant qui bénéficient à plus de personnes, notamment parmi les moins aisés. Je rejoins ici totalement Olivier Razemon, blogueur ''transports'' au Monde' dans cette question rhétorique : « doit-on encore privilégier les gares TGV, les autoroutes et les aéroports, qui seront principalement utilisés par les catégories aisées et disposant déjà de nombreux moyens de transport, ou faut-il favoriser les transports de proximité ? »

 Et pour l'amour de Dieu ! que l'on se moque des centièmes de point de croissance que telle ou telle option pourrait nous rapporter en continuant de lire Lanza del Vasto : «  L'Économie est efficace à l'augmentation des richesses, abstraction faite de la question si les richesses portent bonheur ou corruption et trouble. ». Aussi n'est-ce pas mal de créer de l'emploi, mais parfois préserver des jobs utiles c'est mieux. Ayons un souci qualitatif. Personnellement, j'ai le pressentiment que dans une zone humide, maintenir des exploitations agricoles est plus durable et économiquement rationnel que couler du béton.

 


1 : terme du sénateur Michel Sauty en 1970 selon Wikipedia. http://fr.wikipedia.org/wiki/Projet_d%27a%C3%A9roport_du_Grand_Ouest


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