Notre univers est-il le produit d’une idéologie ?

par Romain d’Aspremont
lundi 11 février 2019

Pour certains penseurs, comme Raymond Kurzweil – directeur de l'ingénierie de Google et inventeur du concept de singularité technologique – ou Vidal Clément (auteur de « The Beginning of the End »), la création d'univers serait de l'ordre du possible. Ces univers obéiraient à d'autres lois que les nôtres : non pas de simples variations de proportions entre les différentes forces (gravitation, électromagnétique, force nucléaire faible et forte) ou d'une modification de la vitesse de la lumière, mais des lois radicalement différentes.

Les implications d'une telle théorie sont considérables.

Force est de constater que notre univers obéit à des lois arbitraires : elles auraient fort bien pu être différentes. Or si ces lois sont arbitraires, les lois nouvellement forgées – si la création d'univers devenait un jour possible – obéiraient nécessairement à des préférences particulières, c'est à dire à des valeurs et à une idéologie (qu'elle soit anarchiste, communiste, socialiste, libérale, conservatrice ou fasciste). Précisons toutefois que ces valeurs ne concernent que les lois de ces univers, et ne préjugent en rien des valeurs des consciences individuelles contenues par ces mêmes univers.

A supposer que les lois arbitraires de notre univers soient le produit d'une intelligence, il devient légitime de s'interroger sur ses préférences idéologiques. Ce qui implique de nous pencher sur l’œuvre elle-même.

 

LES VALEURS DE NOTRE UNIVERS

 

Les systèmes en équilibre – l'univers en est un – sont soumis aux deux principes de la thermodynamique, qui s'appliquent à l'ensemble des théories physiques.

Le premier principe est celui de la conservation de l'énergie. Un système clos possède une quantité d'énergie constante : si certaines régions accroissent leur quantité d'énergie, c'est au détriment des autres. Cette conservation et ce jeu à somme nulle s'accordent harmonieusement avec la pensée de la droite conservatrice et s'opposent à la vision libérale du doux commerce (comme processus gagnant-gagnant).

Cette loi érige la logique compétitive et conflictuelle comme horizon indépassable. Vivre – et donc consommer de l'énergie – se fait nécessairement au détriment d'autrui car, par-delà les logiques de coopération, cela limite la quantité d'énergie disponible ailleurs.

Le second principe est, à l'inverse, anti-conservateur et anti-réactionnaire. Il est un principe d'évolution : un système ne peut jamais retrouver son état précédent, tout changement est irrémédiable. Ce principe affirme également que l'entropie – le désordre – peut croître ou stagner, mais jamais diminuer. Ainsi, un surplus d'ordre – d'organisation de la matière – à un endroit se paye nécessairement par une augmentation du désordre ailleurs.

Même si ce principe ne présente pas l'évolution d'un système comme nécessaire (la quantité d'ordre d'un système peut stagner), l'univers est bel et bien un système en évolution : du Big Bang à l'accélération de l'expansion de l'univers, sous l'effet de l' « énergie noire ».

Or que nous donnent les valeurs de droite – discipline, élitisme, force, conservation – lorsqu'on remplace le conservatisme par une aspiration au mouvement et à l'évolution ? Le fascisme.

De fait, la matière inerte est – tout comme le vivant – soumise à l'évolution. Au cours de l'histoire de l'univers, elle n'a cessé de se modifier : les nucléons apparaissent au bout de 20 microsecondes, les premiers noyaux atomiques – d'hélium – au bout d'une minute, tandis que les premières étoiles donnent naissance au carbone et à l'oxygène (tous deux indispensables à la vie). Ce jeu de combinaisons se poursuit : les particules s'associent au hasard, et seules celles qui s'avèrent les plus viables perdurent. La sélection naturelle, déjà.

Ainsi, les lois physiques ne sont ni de gauche, ni libérales (car la matière, vivante comme inerte, est entièrement déterminée, ne laissant aucune place à la liberté, au sens d'actions ou de pensées spontanées), ni même conservatrices ; c'est bien du fascisme qu'elles sont les plus proches.

Le vivant répond plus clairement encore à des lois fascistes. Il est fort possible d'imaginer un univers dans lequel la vie n'aurait pas besoin de consommer. Un univers aux lois pacifistes, dans lequel la prédation serait, au sens propre, hors-la-loi (c'est-à-dire physiquement impossible).

Le fait que le vivant ait besoin d'énergie pour se développer est une loi arbitraire. Le vivant requiert des nutriments, c'est à dire de la matière organique ou inorganique.

Pour les cellules, il existe deux façons de se nourrir : la photosynthèse et la prédation. Les êtres vivants qui pratiquent la photosynthèse se nourrissent grâce au soleil. Mais cette façon pacifique de s'alimenter ne fait pas pour autant disparaître la concurrence. Ainsi, les plantes doivent lutter entre elles pour avoir accès aux photons, à l'eau et aux sels minéraux. C'est la nécessité de se nourrir, dans un contexte de ressources et d'espace limités, qui engendre la lutte pour la vie.

Les êtres vivants qui ne pratiquent pas la photosynthèse sont contraints de se nourrir des autres organismes : c'est la prédation. On considère généralement qu'elle exclut les herbivores, car la plante n'est pas une proie que l'on pourchasse. Pourtant, l'herbivore fait bel et bien acte de prédation, dès lors qu'il ingère un organisme vivant, même végétal. La prédation est par conséquent une pratique qui englobe la quasi intégralité du monde animal et même un partie du monde végétal (avec les plantes carnivores).

Sans la prédation, l'évolution du vivant aurait certainement stagné. Ainsi, le passage des organismes unicellulaires aux organismes pluricellulaires s'explique par la prédation : si les cellules qui se sont associées pour former un seul organisme se sont multipliées, c'est qu'elles avaient moins de probabilité d'être dévorées (en gagnant en taille, elles deviennent des proies moins vulnérables).

De même, la prédation a engendré le développement du système nerveux, puis du cerveau. Si tous les organismes se contentaient, pacifiquement, de vivre comme des panneaux solaires, l'appareil de décision qu'est le système nerveux n'aurait jamais vu le jour. S'il a été retenu, c'est que certains organismes doivent chasser pour se nourrir. Sous la pression de la sélection naturelle, le système nerveux n'a cessé de se sophistiquer, jusqu'à l'émergence de l'organe de décision qu'est le cerveau, extrêmement consommateur en énergie mais qui offre un avantage décisif, notamment en terme de prise de décision, fondée sur la mémoire. Comme l'écrit le neurophysiologiste Alain Berthoz : « La mémoire du passé n'est pas faite pour se souvenir du passé, elle est faite pour prévenir le futur. La mémoire est un instrument de prédiction. » Autrement dit, pas d'intelligence ni de conscience sans prédation.

Or la prédation répond davantage aux valeurs de droite que de gauche : ce sont les plus faibles qui se font dévorer, sans états d'âmes. Elle n'est certes pas une loi, mais une façon de se nourrir. Mais elle est si répandue, si avantageuse pour l'évolution et la complexification des espèces, qu'elle impose sa marque à l'ensemble du vivant.

A nouveau, rien n'empêche d'imaginer un univers aux principes différents, peuplé d'organismes vivants en tous points semblables et immuables (donc égaux), qui ne souffrent pas, indestructibles (ne pouvant par conséquent pas se nuire mutuellement), stériles (abolissant la lutte pour l'espace vital).

Terminons avec la loi fasciste par excellence : la sélection naturelle. Ce principe, découvert par Darwin, gouverne l'ensemble du monde vivant. Seuls les plus adaptés, les plus aptes à la vie, survivent – car ont davantage de chances de se reproduire – tandis les moins adaptés disparaissent, privés de descendance. Ce principe sélectif s'applique par ailleurs à la totalité de l'univers : au vivant comme à l'inerte (dans la chimie des premières molécules). Le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux va jusqu'à affirmer que la formation du cerveau des nouveau-nés est soumise à cette sélection.

Le territoire et les ressources étant limités, le vivant est nécessairement soumis à la lutte de tous contre tous – la solidarité est possible mais, dans un contexte de pénurie, ceux qui survivent sont les individus ou les groupes les plus aptes à la vie et/ou les moins altruistes. La coopération intra-groupe et l'empathie sont possibles, mais il s'agit de comportements voire de stratégies, et non pas de principes du vivant et encore moins de lois.

Le concepteur d'une telle hygiène pourrait-il décemment se réclamer de la gauche, qui n'a de cesse de s'indigner contre toute forme de sélection ? Mais il ne pourrait pas davantage se réclamer de la droite conservatrice, car la sélection naturelle est le moteur de l'évolution : elle sélectionne les mutations aléatoires, selon leur degré d'adaptation – d'efficacité. Toute espèce monolithique (conservatrice) périra.

Bien entendu, que notre univers obéisse à des lois « fascistes » n'implique en rien que l'humanité doivent faire sienne ces valeurs. Les valeurs égalitaristes et pacifistes n'ont a priori pas moins de légitimité que les valeurs élitistes. On peut même se demander si notre univers ne tendrait pas, mécaniquement, à engendrer des consciences aux valeurs opposées aux siennes : la nature ultra-compétitive de notre univers étant difficilement supportable, les civilisations tendraient naturellement à se « gauchiser », afin de contrebalancer voire d'abolir les lois naturelles et les lois de la vie (sélection naturelle, prédation), via l'Etat-providence, la redistribution, l'humanitarisme aujourd'hui, et le transhumanisme version progressiste de gauche (à la Julian Huxley) demain.

 

LA CREATION D'UNIVERS

Selon quel processus les univers seraient-ils engendrés ? Au XIXème siècle, l'Homme découvre que la vie est soumise à une évolution - c'est la théorie de la sélection naturelle de Charles Darwin. Au XXème siècle, il découvre que l'Univers a une origine et qu'il connaît une évolution. Au XXIème siècle, il découvrira peut-être que le Macro-Univers – l'ensemble des Univers – est également soumis à une évolution.

Cette théorie des « univers procréateurs » repose sur différentes constatations et postulats :

 

Romain d'Aspremont, auteur de « Penser l'Homme nouveau : pourquoi la droite perd la bataille des idées ».

https://www.amazon.fr/Penser-lHomme-nouveau-Pourquoi-bataille/dp/1983070254/ref=asap_bc?ie=UTF8

 


Lire l'article complet, et les commentaires