Nous avons gagné mais rien n’est encore acquis

par Jean Dugenêt
samedi 13 juillet 2024

Le soir de l’élection une évidence s’impose pour tous les jeunes, les travailleurs, les militants du mouvement ouvrier :

Nous avons gagné !

Cependant, les plus anciens se souviennent qu’il y a 43 ans, en 1981, nous avons déjà connu un moment d’euphorie après l’élection de Mitterrand. Nous avons maintenant surtout le souvenir amer des mille trahisons qui ont suivi :

Alors le soir de l’élection de Mitterrand nous avions fait la fête. Nous nous souvenons que Place de la République, le service d’ordre était essentiellement composé de militants de l’OCI, une organisation cataloguée comme trotskyste. C’est dire, que ceux qui auraient dû être l’avant-garde, au lieu de préparer les travailleurs à la nécessaire mobilisation pour concrétiser une victoire, se sont dissous dans les organisations traditionnelles du mouvement ouvrier dont ils disaient pourtant qu’elles sont définitivement passées du côté de l’ordre bourgeois.

Il n’est pas question aujourd’hui d’accepter les trahisons sans broncher. Mélenchon, sait que nous sommes nombreux à rester sur nos gardes y compris dans LFI, dans ses propres rangs.

Nous avons gagné et nous sommes fiers d’avoir participé à cette victoire contrairement aux « gauchistes » comme Lutte Ouvrière qui ont refusé d’appeler à voter pour le NFP. Nous savons depuis longtemps qu’entre les trois camps du paysage politique français celui des organisations ouvrières est le plus populaire (les deux autres camps sont la droite traditionnelle et l’extrême-droite). Si nous avions pu mettre en place auparavant la stratégie adoptée par le NFP (Nouveau Front Populaire) Macron, le candidat fabriqué par les milliardaires, n’aurait jamais été élu et Mélenchon aurait été président de la république depuis 2017. Mais Mélenchon n’a pas voulu prendre une France une place similaire à celle occupée en Grèce par son ami Tsipras car il aurait été confronté à la même réalité. Mélenchon a fait preuve d’une grande intransigeance lors des deux campagnes électorales de 2017 et 2022 pour refuser toute possibilité d’unité. On se souvient d’ailleurs qu’il a été aidé en 2022 par le NPA qui a « eu une opportunité » pour présenter Poutou. Oui ! Comme ils le disent eux-mêmes, les dirigeants du NPA ont « eu une opportunité » pour participer à la division : ils ont eu les parrainages des réactionnaires qui avaient intérêt à cette division.

Maintenant, Mélenchon pourrait faire la même politique que Tsipras. C’est ce que nous ne voulons pas. C’est ce que les travailleurs ne veulent pas et Mélenchon est conscient de cette pression populaire qui limite sa marge de manœuvre. Or, nous savons que le programme du NFP (Nouveau Front Populaire) se heurtera inévitablement à la politique de l’Union Européenne et que la question du Frexit va se poser. Il faudra choisir soit de rester dans l’UE soit de faire comme Tsipras et, dans ce dernier cas, il faudra s’opposer au peuple.

Au soir ce cette première victoire, Mélenchon ne peut pas se permettre de répéter ce qu’avait dit son grand ami Mitterrand. Plus question de dire qu’il va faire la politique de tous les français c’est-à-dire aussi la politique des deux droites plus ou moins extrêmes. Il a dit qu’il va appliquer son programme, tout son programme. Son programme n’est pas le nôtre mais nous voulons qu’il l’applique. Dès maintenant, par décret, nous voulons : le retour à la retraite à 60 ans, l’augmentation du SMIG et son indexation sur les prix…

Il est contraint de dire lui-même qu’il faut rester mobilisé. Il est d’ailleurs talonné, dans sa propre organisation, par ses dissidents dont quelques-uns viennent d’être élus députés : Danielle Simonnet, Hendrik Davi et Alexis Corbière. Il est remarquable qu’Alexis Corbière et Danielle Simonnet ont été élu, chacun dans leur circonscription, malgré et contre une candidate LFI. Notons que la dissidente Raquel Garrido s’était désistée à l’avantage du candidat LFI officiel. Parmi les autres ex-LFI élus se trouve aussi François Ruffin, Christophe Bex et Clémentine Autain, réélue dès le premier tour en Seine-Saint-Denis. La suprématie de Jean-Luc Mélenchon est contestée dans ses propres rangs. Cela limite sa marge de manœuvre.

 

Bien évidemment qu’il faut rester mobilisés. Selon toute vraisemblance, bien que nous n'en ayons aucune preuve, c'est Bernard Arnault qui a choisi de dissoudre l’Assemblée Nationale à la suite de la victoire du RN aux élections européennes. Pour lui, comme pour les autres milliardaires c’était l’occasion de confirmer cette victoire au niveau des institutions françaises. Macron leur a obéi comme il l’a toujours fait depuis qu’il a été élu président par leur volonté. Mais au soir de cette élection législative, Arnault et ses amis sont un peu déboussolés. Ils hésitent sur la conduite à tenir. Attal le soir de l’élection dit qu’il démissionnera le lendemain. Mais, les milliardaires, par la voix de Macron lui disent d’attendre. Ce ne sont pas des démocrates et ils n’ont pas l’intention de laisser d’emblée le NFP au pouvoir revenir sur leurs dernières grandes victoires de réactionnaires : les atteintes aux libertés, la réforme des retraites…

Mélenchon est prêt à jouer le jeu de la cohabitation, première forme de collaboration de classe. Mais, même sous cette forme, les milliardaires ne veulent rien céder. A l’évidence, c’est une défaite pour les capitalistes qui se préparaient à utiliser le RN comme arme de gouvernement. Ils avaient prévu que leur larbin (Macron) cohabiterait avec Bardella comme premier ministre quand les députés de Renaissance, Horizon et du Modem auraient perdu leur majorité relative à l’Assemblée nationale. La donne n’est pas celle qu’ils avaient prévue. Ils peinent à reconnaître leur défaite. Le nombre de députés NFP est d’ailleurs, en fait, supérieur à celui qui est annoncé dans la presse. Si on prend en compte quelques élus PS du Sud-ouest, et surtout plusieurs élus autonomistes d’outremer et l’indépendantiste Emmanuel Tjibaou en Kanaky, le nombre de députés NFP et apparentés est en réalité de 195.

Alors, l’extrême-droite, les macronistes et les milliardaires se remettent mal de leurs émotions après avoir été sonnés.

Malgré toute leur amertume, les milliardaires doivent se décider. Comme l’a dit Mélenchon : « Le président de la république doit s’en aller ou nommer un premier ministre dans nos rangs ». Mais, les milliardaires n’ont pas encore pris leur décision. Ils se doutent que s’ils refusent de s’incliner, la mobilisation sera lancée par tout le mouvement ouvrier avec, principalement les organisations syndicales. C’est alors la grève générale qui se profile… La CGT cheminot appelle déjà à manifester jeudi prochain (18 juillet 2024) et la secrétaire générale de toute la CGT, Sophie Binet, reprend cet appel (voir notamment cette vidéo de 0mn 53s à 1mn 14s). Il faut en effet préparer dès maintenant la mobilisation dans les entreprises et dans les syndicats.

Je transcris ci-dessous une partie essentielle du discours de Mélenchon, place Stalingrad, (de 20 mn 22 s à 23 mn 35 s) le soir de l’élection :

« Ce n’est pas la politique d’avant qui continue. C’est le peuple qui est sorti des quartiers populaires, de la jeunesse… de la sorte. C’est lui qui est la principale réserve. J’entends tous ceux qui me disent qu’il faut faire preuve… (Qu’ils parlent pour eux-mêmes) … de je ne sais quoi, de ceci ou de cela. Il faut faire preuve, comme nous l’avons fait dans cette élection : de détermination, de volonté politique, de discipline de combat. C’est-à-dire qu’il faut que loin de rentrer chez vous et de vous dire seulement : Ouf ! (Mais vous avez bien sûr le droit de vous dire : ouf !), il faut vous mobiliser. Nous allons avoir un premier ministre ou une première ministre du Nouveau Front Populaire. Tout à l’heure, Mathilde, la présidente du groupe Insoumis, Manuel et moi on bavardait : « Comment on s’y prend ? ». Ecoutez ! Elle vous a dit la liste de tout ce qu’on peut décider par décret. Vous l’avez entendue. Sur le plan national. Et sur le plan international, ça sera s’en doute un peu plus (comment dirais-je ?) euh… discuté. Mais c’est normal puisque la constitution donne au président de la république des prérogatives mais elle les donne aussi au premier ministre. Donc, il va falloir que les deux s’entendent pour, par exemple, reconnaître le plus vite possible l’Etat de Palestine puisque c’est un des rares moyens dont nous disposons de peser mais pas que… Il y aura d’autres sujets bien sûr (ici c’est notre jour de beauté). Mais, regardez, nous avons prévu… Dans les premières mesures, vous savez, il y a des augmentations de salaires, n’est-ce pas ? Dans la fonction publique et le SMIG. Ça, le SMIG, c’est par décret. Il n’y a pas besoin de voter. Mais, il est prévu, une convocation des conférences annuelles salariales par branches professionnelles. C’est-à-dire par branches d’activité. Là c’est la négociation et c’est là que vous entrez en lice vous autres sur votre lieu de travail avec vos syndicats parce que cette fois-ci non plus, rien ne vous sera donné comme ça. Il faudra aller le chercher. Il va falloir être présent. Il va falloir se mobiliser et, de même, que vous vous mobiliserez partout où vous le pourrez dans tous les secteurs de la société ? Non cette élection n’est pas une élection comme les autres. Non ce n’est pas un résultat comme un autre. »

Il faut que les militants d’avant-garde relèvent le défi. Il faut partout, notamment sur les lieux de travail et dans les syndicats, discuter des revendications ouvrières. Nous soumettons nos propositions à la discussion. Elles précisent et complètent ce qui est prévu par le NFP :

 

Nous savons très bien que les milliardaires et leurs larbins ne cèderont jamais cela de leur plein gré. Pour gagner, il faut assurément poursuivre la mobilisation. Ils ne cèderont que lorsqu’ils auront peur de tout perdre.

Le résultat de cette élection est aussi, au plan international, une victoire pour les palestiniens et les ukrainiens. Pour commencer, la France va reconnaître l’existence d’un Etat palestinien.

En ce qui concerne l’Ukraine, Poutine, Orban (premier ministre de Hongrie) et Trump (futur président des USA) comptaient sur une victoire du RN pour bloquer toutes les aides à l’Ukraine et la contraindre à abandonner tout ou partie des territoires en cours de russification par la dictature de Poutine. Il faut se féliciter que Gentillet, l’un des agents de Poutine au sein du RN, ait été battu. La défaite du RN est un soulagement pour les Ukrainiens.

Le mouvement ouvrier international vient de remporter une victoire. Nous voyons clairement ce que doit être la politique d’une Avant-Garde révolutionnaire. Cela doit être un point d’appui pour la construction d’une organisation internationale révolutionnaire. Il faut reprendre le combat de Marx, de Lenine, de Trotsky.

Pour la convocation d’une conférence européenne pour une internationale révolutionnaire.

Pour l’AGIMO, Jean Dugenêt, le 8 juillet 2024.


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