Novatrice ! La promotion de ses turpitudes par l’Éducation nationale…

par Paul Villach
jeudi 9 juin 2011

Comme elle ressemble à sa nomenklatura, cette publicité que l’Éducation nationale aurait payée 1,3 million d’euros (1), pour tenter d’attirer à elle 17.000 pigeonnes et pigeons et en faire des professeurs. Deux affiches, comme les WC, l’une pour les hommes, l’autre pour les femmes, montrent une jeune femme et un jeune homme, comblés, l’une absorbée par la lecture d’un livre, l’autre affairé devant son ordinateur portable. Elle, dit le slogan, « a trouvé le poste de ses rêves », la veinarde, l’autre, celui « de ses ambitions  », le verni ! Tous deux sont adonnés à une même mission au service de « la réussite de chacun de leurs élèves  » pour leur transmettre valeurs et savoirs. 

Comme dirait avec son langage fleuri Gégé, joué par Eddy Mitchell, à son ami Francis qu’il appelle « Lapin », interprété par Michel Serrault, dans le film d’Étienne Chatilliez, « Le bonheur est dans le pré » : « (Ils ont) le c… bordé de nouilles ».

Une mise en scène d’une affligeante banalité

Mais on est d’abord frappé par l’absence de tout procédé susceptible de capter l’attention. Photos et slogans n’exercent aucun attrait particulier. Ils respirent même un parti pris d’affligeante banalité.
 
Les deux personnages sont photographiés hors-contexte, de sorte que la métonymie choisie ne permet pas à elle seule de reconnaître dans ces deux personnages des professeurs : on s’est gardé de les mettre en action devant des élèves par exemple. La lecture et le travail à l’ordinateur exhibés ne désignent pas forcément leur profession d’enseignant. La métonymie des fenêtres reste elle-même ambiguë : on devine à leur forme que ce ne sont pas celles de leur intérieur personnel. Sur l’une des affiches, un tableau mural blanc et peut-être un bureau désignent cependant une salle de classe.
 
D’autre part, conformément à un usage tout aussi banal du leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée, les personnages, de profil, ignorent soigneusement l’objectif, feignant d’être accaparés par leur activité, comme s’ils étaient surpris à leur insu et/ou contre leur gré. Or, il n’en est rien évidemment : ils adoptent une pose sur commande pour conférer àl’information donnée de cette mise en scène affectée la fiabilité de l’information extorquée. Mais qui se laisse prendre à ce leurre éculé ? Ils baignent, en outre, dans un univers de couleurs plutôt fades, blanchâtre, bleuâtre, grisâtre ou beigeasse, dont la charge culturelle est celle de l’ennui de l’uniformité. À la différence du roi Midas qui transformait tout ce qu’il touchait en or, l’Éducation nationale serait-elle condamnée à tout changer en ferraille ?
 
Une légende qui trahit les turpitudes de l’Éducation nationale
 
Il faut donc impérativement une légende pour persuader le lecteur d’avoir affaire à des professeurs. Or, elle révèle assez bien les turpitudes de l’Éducation nationale. C’est novateur mais surprenant parce que, selon le principe qui régit la relation d’information, nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire. De deux choses l’une alors : ou ces informations révélées le sont involontairement, ou l’institution n’est pas bien portante.
 
1- Une relation classiste réservée aux domestiques
 
La première turpitude est trahie par le choix des seuls prénoms attribués aux deux personnages. Par intericonicité, deux rapprochements sont suscités :
 
- l’attribution d’un prénom est, par exemple, une mode adoptée par les médias sous prétexte de préserver l’anonymat des témoins qu’ils sollicitent. Seulement, cet anonymat n’est pas une garantie de fiabilité de leur témoignage. La certitude de ne pas avoir à répondre de ses propos en se dissimulant sous un pseudonyme, ouvre même la porte à toutes les délires et délits : on le voit sur Internet tous les jours chez des commentateurs masqués sous un pseudonyme. La fiabilité du message de l’Éducation nationale n’est donc pas garantie.
 
- Le second rapprochement est celui d’une antique tradition de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie qui n’octroie qu’un prénom à leurs domestiques. Ces professeurs identifiés par leur seul prénom seraient-ils donc des domestiques ? Un indice tend à le confirmer : la liberté d’expression ne leur est pas accordée. Ce ne sont pas eux qui parlent de ce qui est pourtant présenté comme ce qu’ils ont de plus précieux en eux-mêmes, le sens qu’ils donnent à leur vie ; mais c'est l’institution scolaire qui s’exprime d’autorité à leur place par une légende dans les deux sens du terme : celle-ci explique ce que l’on voit sur la photo et en même temps elle en offre une représentation édifiante et idyllique bien éloignée de la réalité.
 
Dans ce contexte, la version radiophonique entendue sur France Inter qui laisse, au contraire, la parole à Laura et à Julien pour énoncer le même slogan, fait penser par intericonicité à ces propos convenus que des otages sont tenus de tenir sous la contrainte de leurs ravisseurs.
 
2- La perversité du leurre d’appel humanitaire
 
On y reconnaît, en effet, les tics de langage propres à l’administration de l’Éducation nationale, que les communicants nomment dans leur jargon, « des éléments de langage ».
 
1- Ainsi le leurre d’appel humanitaire résume-t-il les raisons qui auraient poussé, selon elle, ces deux jeunes gens à choisir le métier de professeur : « L’avenir, pour elle et lui, prétend-elle à leur place, c’est de faire vivre et partager (leur) passion, transmettre des savoirs et des valeurs, se consacrer à la réussite de chacun de (leurs) élèves. C’est pour cela qu’(ils ont) décidé de devenir (enseignants) ». À vrai dire, la stimulation du réflexe de compassion et d’assistance à élèves et de celui de la flatterie des malheureux qui s’y laissent prendre, est la seule issue qui reste à l’Éducation nationale faute de pouvoir rendre le métier attrayant par sa rémunération.
 
2- Elle fait, en outre, un usage pervers du leurre d’appel humanitaire qui chavire les cœurs sensibles. Il est, en effet, au cœur de la politique de destruction du service public d’Éducation depuis une quinzaine d’années. La protection de « l’élève (dit) en difficulté  » (le programme socialiste en est même à parler d’ « élève en souffrance  ») a permis de laisser le champ libre aux voyous, confondus habilement sous cette appellation d’origine non contrôlée avec les élèves méritants qui travaillent sans réussir et méritent, eux, d’être aidés. Sous couvert de sollicitude humanitaire, en effet, les voyous ont été utilisés par l’administration comme indicateurs et provocateurs contre les professeurs opposés à ce désordre qui fait fuir vers le privé les élèves de famille aisée : sous le titre abscons pour les non-initiés, « La faisabilité politique de l’ajustement  », un rapport de l’OCDE, paru en 1996, a fixé la marche à suivre vers la privatisation pour ne pas déclencher la révolte des usagers.
 
3- Un sexisme latent
 
On reconnaît, enfin, aux objectifs assignés à chacun des deux personnages l’imprégnation sexiste de l’institution scolaire. La jeune femme se voit cantonnée dans le rêve : « Laura a trouvé le poste de ses rêves », dit le slogan féminin, quand le jeune homme, lui, a droit d’afficher une légitime ambition : « Julien a trouvé un poste à la hauteur de ses ambitions  », annonce le slogan masculin. On ne peut mieux affecter aux deux sexes des choix distincts qui leur seraient propres « par nature ». Le rêve passif serait une inclination féminine, tandis que l’ambition active appartiendrait au volontarisme masculin. L’Éducation nationale reste donc encore empêtrée dans les préjugés sexistes stéréotypés d’un autre âge. 
 
Cette campagne publicitaire coûteuse a du moins le mérite de permettre d’évaluer sur pièces l’expertise de l’Éducation nationale en matière d’information. Ces affiches sont des travaux pratiques qui ne valent guère plus de 2/20. Or l’institution n’est-elle pas chargée d’enseigner l’information à ses élèves ? Faute de savoir que l’univers médiatique est constitué de leurres et d’illusions, elle en use sans discernement, et, qui plus est, à son détriment. Mieux, sa nomenklatura paraît aussi ignorer qu’on ne fait pas la promotion du métier de professeur comme celle d’un paquet de lessive ou d’un restaurant de « malbouffe ». Seule, la preuve par l’exemple peut convaincre en la circonstance. Mais, il est vrai que, si des films comme « Entre les murs  » ou « La journée de la jupe  » constituent des exemples de la réalité scolaire quotidienne (2), on comprend que l’Éducation nationale préfère user des leurres de la publicité pour tromper les malheureux sur le sort qui les attend et que décrirait plus fidèlement l’inscription gravée à entrée de l’Enfer de Dante : « Lasciate ogne speranza, voi ch'intrate », vous qui entrez ici, quittez toute espérance ! Paul Villach 
 
 
(1) Arrêt sur images, « L'Education recrute... moins que l'an dernier », 01.06.2011
http://www.arretsurimages.net/vite.php?id=11320
 
(2) Paul Villach,
- « « Entre les murs » vu du CNDP de l’Éducation nationale : un déni de la réalité tragique mais sans doute stratégique  », AgoraVox, 14 octobre 2008.
- « La Palme d’or du Festival de Cannes : un blâme académique et une gifle pour les enseignants ? », Agoravox, 29 mai 2008 ;
- « Entre les murs : une opération politique réfléchie pour un exorcisme national ? », Agoravox, 29 septembre 2008.
- « La présentation par « France 2 » de « La journée de la jupe » : indigence ou malhonnêteté intellectuelle ?  », AgoraVox, 25 mars 2009.
- « Elle est belle, l’impartialité judiciaire, sauce Cour européenne des Droits de l’Homme !  », AgoraVox, 7 juin 2011.

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