Nuit debout pour enterrer le grand soir

par Bernard Dugué
mercredi 13 avril 2016

Il n’y a plus de grands récits depuis les années 1970. C’est la thèse suggérée par Lyotard dans une fameuse étude sur la post-modernité qui en vérité, est plutôt une hyper-modernité. Le grand soir n’est plus à l’ordre du jour mais chaque fois qu’une contestation dans la rue prend une ampleur suffisante, les médias font semblant de croire à une lame de fond qui pourrait changer la donne politique et transformer la société. Il y eut les grèves de décembre 1995, les manifs contre le CPE et puis le désenchantement et cette fois, c’est reparti avec un mouvement contre une loi sur le travail assortie d’une pétition à succès et de manifestation sans grande ampleur et même un essoufflement. Il n’y a pas vraiment de cohérence. Des jeunes peinant à trouver du travail et des syndicats qui ont trahi les travailleurs. On ne fera pas une révolution avec de si petites ambitions.

La nuit debout. Le mouvement est sympathique mais rien de commun avec la lame de fond et la taupe gauchisante ayant précédé mai 68. C’est plutôt une expression de la banque de la colère. Il manque cruellement une vision d’avenir. Ce n’est pas avec des émotions et des ressentiments qu’on change une société. Ce n’est pas en jouant à la récréation que l’on donne un contenu à un pays. Même si quelques réflexions peuvent se dessiner. Les intellos préférés des bobos ont sauté sur l’occasion pour soigner leur image en jouant la posture du penseur engagé. Mais l’époque de Sartre est révolue avec ses espérances du grand soir assortie d’une adhésion aux idées collectives pour ne pas dire collectivistes. La société est pour l’instant dans une impasse. Le problème de ces mouvements sociaux, c’est de bâtir une société alors que l’individualisme est majoritaire. Et que les pensées se déstructurent à la vitesse de production des réseaux sociaux, tweets et autres applications.

Les années 1960 avaient en quelque sorte une substance idéologique et un ressort collectif puissant avec les idées attenantes à un gauchisme pluriel, souvent autoritaires avec le parti communiste et plutôt libertaire avec les mouvances diverses, certaines émanant des lieux universitaires, d’autres en marge comme les situationniste et puis la figure tutélaire de Sartre et enfin un monde en transformation, à construire, avec une élévation du niveau de vie et une pop culture oscillant entre la soupe et le grand art. Et chaque année avec son lot de découvertes. Et le mouvement ascendant des classes.

Ce processus est achevé. Il n’y a plus rien de cette époque qui pouvait nourrir légitimement l’espoir d’un grand soir ou d’un avenir radieux. En 2016, les gens sont désillusionnés, en désarroi, sans espérance, la plupart blasés, avec des ressentiments, des envies, des frustrations. Chacun tente de s’en sortir et nombreux sont ceux qui disposent d’une situation protégée. Les nouvelles économies ne sont qu’illusion. Ubérisation, développement durable, économie collaborative, rien que du vent productif signant l’ultime stade de l’aliénation moderniste de l’homme encarné dans les machines et les systèmes numérique. Un homme devenu addict aux écrans plats et quelque peu narcissique. Envoûté et fasciné par les images.

Il manque quelques grands penseurs pour éclairer notre époque. La nuit peut bien se dérouler debout, il n’en ressortira rien si au petit matin, les gens sont à nouveau dans le brouillard diffus du chaos informationnel et des médias de masse diffusant les gesticulations narcissiques d’élites en pleine décomposition morale et intellectuelle.

Le travail pour tous n’est qu’un moyen. L’essentiel est de créer les conditions pour que la jeunesse revienne dans la civilisation et les seniors avec. Remettre les gens sur le chemin de la civilisation, apprendre aux citoyens à se parler, à s’écouter et à s’intéresser aux choses difficiles. A entendre les paroles profondes et non pas les bavardages superficiels qui alimentent les désirs et frustrations narcissiques. Cesser de se focaliser sur la forme. Vous croyez avoir de l’importance en cliquant sur la primaire des citoyens, mais vous risquez de n’être que les marionnettes d’un théâtre de substitution. Il faut aussi cesser de croire aux formules magiques et que le fait de prononcer « constituante » conduit vers la passion de Marat ou de Danton. Le mot « unitaire » laisse accroire à une force de transformation mais le troupeau de moutons n’est-il pas à sa manière unitaire ? Le monde ne fonctionne pas comme l’univers fantasmé de Harry Potter.

Un bon conseil. Faites une retraite et lisez les Evangiles, prenez congé du monde pour revenir ressourcé. Le sens de l’existence s’acquiert avec une attitude de religiosité et une contemplation accompagnée de quelques textes. Le sens de la vie ne se dévoile pas dans les bavardages d’intellectuels frisant la critique gastronomique ou le commentaire sportif. La nuit debout enterre le grand soir mais le mouvement reste dans l’ensemble sympathique, bon enfant comme le dit la formule. D’ailleurs, la politique s’adresse bien souvent à des enfants. Des promesses et quand elles ne sont pas tenues, les enfants pleurnichent ou se mettent en colère. La politique comme grand art repose sur une vision et non pas sur des promesses. On n’achète pas la jeunesse avec de l’argent de poche. On respecte la jeunesse quand on lui permet de voir les chaînes qu’il faut briser. Pour contempler une nuit transfigurée et partir à la recherche du mystère et se soucier du contenu des choses, de leurs valeurs qui les différencient. Tout n’est pas égale. La jeunesse doit s’élever. L’ascenseur social est devenu un fantasme. L’ascenseur spirituel conduit vers une sorte de bonheur qu’il faut savoir désirer et conquérir quand l’occasion se présente. Et puis le bonheur est contagieux. Mieux vaut propager la passion du beau et la folie artistique que le virus des ressentiments et de la haine.

La nuit précède l’aurore. Le 21ème sera une nouvelle aube ou ne sera qu’un crépuscule sans grand soir. Les matins délicieux s’offrent aux mutins facétieux. Que la fête commence !


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