Nuit et brouillard à 10 ans...

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lundi 18 février 2008

Enfant, voir « Nuit et brouillard » avec l’esprit de résistance pour héritage.

Le sang de Simone Veil s’est « glacé » à l’annonce du projet de Nicolas Sarkozy de confier à la mémoire de nos enfants de CM2, celle de nos 11 000 autres enfants assassinés dans les camps d’extermination de l’Allemagne nazie, entre 1942 et 1945.

Mais encore, la grande dame, rescapée de l’univers concentrationnaire, estime que c’est « inimaginable, insoutenable, dramatique et, surtout, injuste » (L’Express.fr 15/02/08).

En effet, la tentative d’extermination de tout un peuple, parce que juif, et par les procédés les plus barbares et inhumains, est inimaginable, insoutenable, dramatique. Quant à « surtout injuste »...

Inimaginable, mais effroyablement réelle. Cette réalité, pas un être humain ne devrait jamais l’oublier ou se mettre à imaginer que cela n’a pu réellement se passer. Pire, estimer que tout cela n’est plus que du passé. Incantation naïve ou dépassée ?

La réaction de Simone Veil est singulièrement virulente. Mais, outre par des désaccords avec Serge Klarsfeld, semblable réponse peut se comprendre autrement. Voilà justement une personne qui a vu de ses yeux, touché de ses mains, éprouvé dans son cœur et le tréfonds de son âme, l’inimaginable. Qui a vu mourir ses semblables, oubliés de l’humanité, dans les pires souffrances et d’incommensurables humiliations. Ni hommes ni bêtes.

Ainsi, comment Simone Veil pourrait-elle envisager de confier à un enfant, la mémoire d’un autre enfant, assassiné dans l’inracontable ? Sans doute, à ses yeux, ce serait lui infliger en quelque sorte, le même supplice.

Ne dit-on pas communément que ces rescapés de l’enfer ont vécu l’indicible ? Mais cette indicibilité est la leur, bien légitime. Rarement la nôtre, moins encore celle de nos enfants.

Voilà pourquoi c’est à tous les hommes, et non seulement aux victimes et leurs descendants, d’apprendre à chaque enfant, ce qu’il s’est passé. Afin qu’ils sachent, se souviennent et transmettent à leur tour, l’horrible avertissement de l’Histoire sur la haine et la folie des hommes.

Plus grave, dans quelle solitude et quelles craintes, parmi les « autres » hommes, se trouve encore Simone Veil, cinquante-trois ans plus tard, pour se demander : « Comment réagira une famille très catholique ou musulmane quand on demandera à leur fils ou à leur fille d’incarner le souvenir d’un petit juif ?  » Las, Simone Veil - dont sa loi pour l’avortement fut, devant elle, comparée à un génocide par quelques parlementaires à la mémoire intacte - semble penser que ces familles « très catholiques ou musulmanes » entendront d’abord sonner à leurs oreilles le mot « juif » avant celui « d’enfant ».

Et que dire des réactions des lecteurs de Libération (certes, sélectionnées par le journaliste Karl Laske - 16 et 17/02/08) qui semblent préférer que soit rappelé dans les écoles, le souvenir des enfants de sans-papiers, expulsés de France ? L’amalgame est bien sûr odieux. Ces enfants, aussi cruelle et injuste soit leur situation ainsi que celle de leurs parents, sont-ils déportés, entassés dans des trains de marchandises plombés, voués à une mort certaine et par colonnes entières, dans les chambres à gaz d’un pays ayant basculé dans la folie exterminatrice ?

Sans surprise et encore une fois, notre président se révèle d’une incroyable légèreté et d’un narcissisme pathétique, à tout le moins sur la forme. Et Agoravox possède de bien meilleurs littérateurs pour fustiger les dangereux vertiges de notre président.

Il reste que toutes les écoles laïques, de France ou d’ailleurs, demeurent le lieu le plus sûr pour transmettre la mémoire de la Shoah et celle de tous les crimes massifs contre l’humanité. Et cela, dès que la compréhension d’un enfant le permet. Combien d’adultes et parfois même d’adolescents (déjà) sont contaminés par la haine, la tentative de l’exclusion, du racisme et de l’antisémitisme ? Sont donc inaptes à transmettre ?

Enfin, j’ai vu Nuit et brouillard (1), alors que j’avais 10 ans et demi, lors d’une séance d’un Ciné-club de lycée à laquelle ma grande sœur m’avait emmenée. J’ai, en effet, ressenti un immense choc, suivi d’une peine indescriptible. Je me suis senti souffrir et périr à la place de chacune de ces ombres suppliciées. Je me suis donc parfaitement identifiée, comme le craint aujourd’hui Simone Veil. L’inimaginable et l’insoutenable qui étaient le réel défilaient sous mes yeux d’enfant. Je fus prise d’une pitié et d’une empathie infinies pour ces millions d’êtres humains au sort monstrueux, édicté par d’autres êtres humains.

Evidemment, mais comment pouvait-il en être autrement, ces images m’ont profondément marquée et à tout jamais. Mais, j’ai survécu ! Qui plus est dignement et souvent, avec bonheur. Je remercie, ici, cette grande sœur aujourd’hui disparue, pour m’avoir fait cette confiance, celle de me croire capable de comprendre l’inimaginable, de m’en prémunir et de transmettre son histoire à mes enfants. De cette histoire, j’ai forgé ma valeur la plus chère et la plus inexpugnable, celle de l’esprit de résistance. Merci, bien sûr, à tous les instituteurs et parents qui, heureusement, n’ont pas attendu le pitre Sarkozy, pour s’atteler, de génération en génération, à cette même tâche.

Muriel Bastien

(1) Nuit et brouillard. Documentaire réalisé en 1956 par Alain Resnais. Il traite de la déportation et des camps de concentration nazis, en application des dispositions dites "Nuit et brouillard", nom également donné aux déportés par les nazis : les NN (Nacht und Nebel).


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