Nul ne sait où va l’Egypte

par Bernard Dugué
lundi 31 janvier 2011

Gouverner, c’est être responsable, ce n’est pas satisfaire ses ambitions et ses désirs d’existence luxueuse, tout en satisfaisant une minorité de notables près du pouvoir politique et tenant les rouages de l’économie et des finances. Ce principe de sagesse, les présidents Ben Ali et Moubarak auraient dû le prendre en considération depuis des années. Maintenant, c’est trop tard, l’exaspération populaire a gagné. Faute d’avoir su préserver les classes moyennes, la Tunisie et l’Egypte ont vu se dessiner ce que nous, d’un œil occidental, nommons révolution mais qu’il faudrait interpréter comme une révolte des masses. Ensuite, rien ne laisse présager quelles seront les évolutions respectives de ces deux pays. Sans doute, la Tunisie verrait une transition démocratique se dessiner, poussée par des « ressorts culturels à l’occidentale », liés à la proximité de ce pays avec l’Europe et notamment la France. Le cas de l’Egypte pourrait être très différent.

Il a été dit que les dirigeants des pays arabes ont peur des masses insurrectionnelles depuis les événements en Tunisie. Des informations circulent sur la gestion de stocks stratégiques de céréales et autres aliments de base par les gouvernants de ces pays. Ce qui représente un fait emblématique et hautement symbolique car pour des nations très avancées comme la France ou les Etats-Unis, la denrée faisant l’objet d’un soin particulier n’est pas alimentaire mais énergétique. Les stocks stratégiques sont composés de carburants. En vérité, si un pays doit réellement s’inquiéter, c’est Israël. Car le Proche-Orient semble orienté vers une recomposition politique qu’on voit se dessiner politiquement au Liban et maintenant, en Egypte, avec une initiative populaire. Il est évident que les Etats-Unis surveillent de près les évolutions politiques à venir dans cette région. Notamment parce que les Frères musulmans ont une influence considérable et pourraient bien gagner des élections législatives si la campagne était ouverte comme dans n’importe quelle démocratie. Et finalement, nous retomberions sur une situation telle qu’elle fut vécue par l’Algérie lorsque le FIS l’emporta dans les urnes et que l’armée s’efforça de barrer la route à une évolution islamique du pays. La démocratie peut avoir un goût amer. D’ailleurs, la France a savouré avec dégoût le résultat sorti des urnes un certain 21 avril 2002.

Nul ne peut prédire l’évolution de la situation en Egypte. La crise étant belle et bien présente, depuis des décennies, accentuée cette année par des facteurs économiques. Crise signifie décisions pour les Grecs, danger et opportunité pour les Chinois, alors qu’en sciences physiques, un point critique désigne l’état instable d’un système pouvant bifurquer ou pas vers un nouvel état, avec une indétermination telle qu’une simple fluctuation peut pousser le système dans une ou l’autre des directions, à l’image d’une aiguille suspendue à l’envers, tenant par miracle en équilibre. Ou alors d’un tas de sable qu’un grain supplémentaire peut faire écrouler. Les sociétés étant plus complexes, elles ne sont pas régies par les lois physiques mais se trouvent parfois dans des états critiques pouvant évoluer vers des transitions heureuses… ou parfois tragiques. Ce qui fut le cas de l’Allemagne en 1932. L’Egypte en 2011 est maintenant devenue une nation incertaine. Nous ne sommes que les spectateurs d’une histoire parvenue à un point sans doute critique, dont on ne sait quelle sera l’alchimie sociale et politique qui en sortira, avec une rupture ou alors une normalisation encadrée par l’armée et les notables en place. On image aisément l’inquiétude que pourrait représenter la venue au pouvoir des Frères musulmans dès lors qu’on connaît la géographie locale et notamment, ce point névralgique que représente la frontière entre l’Egypte et Gaza. On peut imaginer aisément qu’une gouvernance, ayant des connivences avec le Hamas et sans doute le Hezbollah, puisse fermer les yeux sur le passage de denrées par forcément alimentaires vers la bande de Gaza. Autant dire que la situation est inconfortable, semée d’ambiguïtés et d’hypocrisies car la sympathie envers cette prétendue révolution pourrait vite faire déchanter les observateurs occidentaux. Il est certain que le sort de l’Egypte se jouera en coulisses. Nous assistons en spectateurs d’une histoire que nous n’écrivons pas mais qui pourrait avoir un impact substantiel sur les équilibres géopolitiques. 


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