Offensive tous azimuts des atlantistes : le cas de René Balme

par Disjecta
vendredi 20 juillet 2012

11 septembre, armes de destruction massive, crise économique, Tarnac, Libye, Syrie. Cela fait un moment que la presse française se goure à peu près sur tout. Mais s'agit-il vraiment d'idiotie ?

Devant la crise européenne des dettes publiques, ce qui surprend le plus l'esprit éclairé c'est la propension des élites à aller droit dans le mur. L'austérité pour combattre le déficit des budgets étatiques est de fait la pire solution qui soit, ou plutôt la pire option économique qui soit étant donné l'impropriété lexicale du mot "solution" dans le cas présent. Le principe du cercle vicieux faisant que l'attrition des dépenses publiques conduit nécessairement à une perte de recettes fiscales et donc à un endettement de l'état plus important n'est pas seulement une évidence pour tout économiste digne de ce nom, il a surtout été démontré sur le terrain à peu près cent mille fois. Qu'est-ce qui alors empêche les dirigeants les plus en vue de l'Europe de comprendre une telle évidence et d'adopter par rapport à elle les politiques de relance qui s'imposent ?

On donne généralement à cette question deux réponses. Les élites au pouvoir, autant de gouvernement que médiatiques, n'ont pas les moyens de comprendre l'évidence d'un tel cercle vicieux, gorgés qu'ils ont été - dans les "grandes écoles" qui les ont formés - des théories néo-libérales les plus ineptes. En somme, l'horizon intellectuel qui leur a été inculqué, et qui leur a permis d'atteindre la position sociale qui est la leur, ne peut simplement pas être dépassé. C'est parce qu'ils ont soutenu avec conviction les thèses ridicules de Hayek et consorts durant tout leur parcours politique ou professionnel qu'ils en sont arrivés là où ils sont (cf. les "grands" éditorialistes français ou les principales figures actuelles du PS - sans parler évidemment de l'UMP). Il est somme toute assez légitime pour eux de se conformer aux données intellectuelles qu'on leur a inculquées, puisque c'est à elles qu'ils doivent leur place. Peu importe que celles-ci soient des inepties tant qu'on leur reconnait encore une autorité suffisante. Et de fait, la crise des quatre dernières années - en soi une dénonciation complète des orientations préconisées par les ultra-libéraux - n'a absolument pas diminué l'influence des héritiers de Hayek. En Allemagne, en Angletterre, en Espagne (en France ? le point d'interrogation est probablement de trop), les thuriféraires de l'école de Chicago ont connu le succès électoral, alors qu'on installait en Italie ou en Grèce des semi-déments du même tonneau. Et l'on n'a pas vu, que l'on sache, de profonds bouleversements au sein du monde médiatique, particulièrement français. Ce n'est pas faute pourtant pour celui-ci de professer systématiquement les pires âneries.

Une seconde manière d'approcher la question de la faillite intellectuelle de nos élites est de considérer que celle-ci n'est pas seulement fortuite mais qu'elle participe d'un plan concerté. Que François Hollande, Pierre Moscovici, Marisol Touraine, Aquilino Morelle, Arnaud Montebourg et Najat Vallaud-Belkacem aient tous été des Young Leaders de la French American Foundation et soient aujourd'hui à la tête du gouvernement français, cela donne un poids indéniable à l'approche. Au moins cela laisse songeur. Le problème d'une telle approche ne manquera cependant pas de vite apparaître. Elle rend son porteur très vulnérable à l'accusation "décisive" et parfois définitive de (tremblez dans les chaumières) "conspirationniste".

Pour n'avoir aucune valeur intellectuelle (que dénonce vraiment ceux qui l'utilisent ?), l'accusation de "complotiste" est une grande mode journalistique et politique depuis pas mal de temps. Elle est généralement accompagnée de la certitude que la destruction de trois tours un certain 11 septembre par une petite bande de terroristes à cutter dirigée par un milliardaire réfugié dans des grottes high-tech qui n'existent pas au fin fond de l'Afghanistan ne constitue d'aucune manière, elle, une thèse complotiste. Ceux qui prétendent le contraire sont (outre des "complotistes" donc) des négationnistes qui nient la valeur historique insurpassable de la Commission d'enquête américaine convoquée par le président Bush (connu pour sa probité dans "l'affaire" des ADM) ; commission qui publia le 22 juillet 2004 un rapport "définitif" sur les événements du 11 septembre, quoique les rédacteurs dudit rapporteur aient eu l'indécence de déclarer deux ans plus tard que la commission qu'ils présidaient n'avait été mise en place que pour "échouer". Dénoncer un rapport aussi probant d'un point de vue historique, cela s'appelle du négationnisme en France.

Alors ? Faut-il considérer nos élites comme de simples ahuris passés à la moulinette de SciencesPo ou de Harvard, ou bien des traîtres en puissance ? La propension de la Commission Européenne, dont les membres sont tous passés par les plus grandes écoles, à nous amener tous dans le mur, est-ce le fruit d'une éducation de décérébration permanente de longue haleine n'ayant perdu au moment d'être appliquée aucun de ses pouvoirs de nuisance, ou bien a-t-on affaire à quelques individus parfaitement conscients des conséquences des politiques qu'ils préconisent ou qu'ils appliquent (paranoïa feinte concernant les dettes publiques, offrant l'opportunité de démolir les avancées sociales obtenues au cours du 20ème siècle par les "gueux") ?

Entre deux explications, pourquoi choisir forcément ? L'affaire René Balme offre en tout cas un éclairage intéressant sur la question. Suspecté d'abriter les thèses "conspirationnistes" de Thierry - brrrr - Meyssan sur son site Oulala, René Balme (candidat pour le Front de Gauche aux dernières législatives) a finalement choisi de quitter le Parti de Gauche après lesdites élections. Prenant acte du fait, le Parti de Gauche crut bon de déclarer, en guise d'explication et avec le courage qu'il faut pour tenir de tels propos aujourd'hui en France, "que nous ne partageons en rien les théories « complotistes » d’individus comme Thierry Meyssan. Et même, nous les condamnons." Ceci expliquant cela, c'est-à-dire le peu de conviction que l'on eut pour défendre René Balme durant cette fameuse affaire.

Mais le plus intéressant n'est pas tant la pusillanimité des dirigeants du PG, qui ne font que céder à l'omerta générale de rigeur en France lorsque sont évoqués les événements du 11 septembre (qui équivalent à peu près aujourd'hui à la crucifixion du Christ, par rapport à laquelle il convient seulement de dire "amen"). Le plus intéressant c'est de relever d'où l'attaque est venu, et nous n'avons pas affaire là à une inconnue. Ornella Guyet s'est déjà distinguée pour sa charge, autant inepte que bruyante, contre le site Le Grand Soir. Lequel a le malheur de ne pas avoir exactement les mêmes idées que le président des USA concernant (au choix) l'Irak, l'Iran, la Libye, Israël, la Palestine, Chavez, Castro, la Syrie (à peu près tout en somme). Idées qu'il convient de qualifier, selon la terminologie remarquable de rigueur d'Ornella Guyet, de "rouges-brunes".

En soi, rien d'extraordinaire finalement. Encore une atlantiste de plus, complètement illuminée mais a priori pas encore trop méchante. Il ne faudrait cependant pas mésestimer l'adversaire. Et ne pas avoir trop de doutes quant aux maîtres-chiens qui nous l'envoient. L'intrusion des services secrets étasuniens dans les milieux progressistes des pays jugés trop indépendants n'est pas une nouveauté, pour ceux qui ont lu le livre Les Guerres scélérates de William Blum (cf. notamment le chapitre 16 "La CIA et ses syndicats mafieux" ; lire aussi les Armées secrètes de l'OTAN de Danièle Ganser). Qu'on soit sûr que la France n'échappe pas aujourd'hui à une telle infiltration et que le Front de Gauche, pour ce qu'il a pu représenter durant les dernières élections, soit surveillé de très près.

De l'aveuglement des dirigeants du PG jusqu'au travail de sape réalisé par une Ornella Guyet un temps infiltrée au sein d'Acrimed, ce ne sont là que les deux faces d'un effort de propagande qui part de loin et qui se donne tous les moyens pour parvenir à ses fins. D'une part, maîtriser le champ d'intellection dans les limites duquel ceux qui visent le pouvoir auront le droit de s'exprimer (enseignement de Hayek à SciencesPo et à L'ENA). D'autre part, poster quelques cerbères aux points les plus névralgiques (les grands médias mais aussi les médias dits "contestataires") dont les aboiements ("complotiste", "négationniste", antisémite", "ouaf") suffiront en principe, sinon à ramener les brebis égarées au sein du troupeau, du moins à les garder loin du troupeau si celles-ci ne font pas amende honorable.

Reste évidemment à définir ceux qu'un tel effort de propagande intéresse. Un premier indice ici.


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