Olivier Mukuna : « Ce film s’est réalisé dans des conditions semi-clandestines »

par PM
mercredi 25 novembre 2009

Après deux livres consacrés à Dieudonné, le journaliste remet le couvert ! Cette fois en image et avec les moyens du bord. Inutile de dire que ce film va encore faire bondir la « bien pensance ». Ces Tartuffes nouvelles formules qui n’hésitent pas à interdire la liberté d’expression quand elle dessert leurs intérêts. Ou à prendre l’avion et le train pour distribuer « fatwas », conseils communautaires en Belgique, aux Etats-Unis.

Olivier Mukuna raconte les coulisses, une première. Et une exclusivité Agora Vox. Ca ne plaira pas à tout le monde, c’est clair ! Et ce n’est pas une farce…
- Vous avez écrit deux livres sur Dieudonné dont un qui a fait beaucoup de bruit dans le milieu Germano-Prontin (Egalité zéro ! Enquête sur le procès médiatique de Dieudonné, Editions Blanche). Aujourd’hui, vous produisez un documentaire sur l’humoriste, documentaire réalisé, je rappelle, au cours d’un débat en Belgique.
 
Pourquoi cette démarche ? Vous êtes le Jacques Vergès de Monsieur M’Bala M’Bala, « le salaud lumineux » ? Son avocat commis d’office !
 
« C’est trop d’honneur que d’oser me comparer à l’étincelant Jacques Vergès. Restons précis et rationnels : le reste de ma vie professionnelle ne me permettra pas d’arriver à la cheville du célèbre avocat anticolonialiste et qui a combattu les nazis durant la seconde guerre mondiale. Ensuite, la confusion entretenue entre le métier de journaliste et celui d’avocat n’est décidément pas prête de s’éteindre lorsqu’on aborde les sujets sérieux, ceux qui fâchent ... Néanmoins, je reconnais une certaine passion professionnelle et citoyenne pour le parcours atypique et risqué de Dieudonné depuis 2003. En ce sens, je dois effectivement être le seul « journaliste commis d’office » sur le sujet. Mais commis d’office par qui ? Certainement pas par les autorités de mon milieu qui, concernant Monsieur M’Bala M’Bala, privilégient trop souvent un discours de propagande plutôt que deux principes de base du journalisme : défendre la liberté d’expression et favoriser le vrai débat contradictoire. »
 
- Alors, pourquoi réaliser un film après avoir écrit un livre d’entretien, puis un essai sur le traitement médiatique de « l’affaire Dieudonné ?
 
« Depuis trois ans, j’estime que ce qu’a révélé et provoqué la démarche hors-normes de Dieudonné méritait un temps d’arrêt, propice à l’explication et à l’échange critique à travers le prisme d’un canal plus accessible, celui de l’audiovisuel. Cela n’a rien de sorcier. Tout journaliste qui se penche sérieusement sur les tenants et aboutissants de « l’affaire Dieudonné » a sûrement eu la même idée. Après, évidemment, c’est une question de courage, de ténacité et d’opportunité … En six ans, seul l’animateur Frédéric Taddéi a organisé un vrai débat audiovisuel entre Dieudonné et d’autres humoristes français[1].
 
Dans cette optique, j’ai souhaité confronter cette fois l’artiste engagé à des intellectuels et culturels de mon pays. Une démarche journalistique d’autant plus intéressante qu’en France, elle est désormais impossible … En résumé, proposer un tel débat filmé m’a paru beaucoup plus novateur et informatif que, par exemple, l’opération mercantile d’Anne-Sophie Mercier. Refourguer « vite fait mal fait » un livre datant de 2005, péniblement augmenté d’une quinzaine de pages et regorgeant d’un nombre hallucinant de fautes factuelles, cela n’a rien d’original, ce n’est pas du journalisme, c’est du commerce idéologique frisant l’escroquerie. » 
  
- Apparemment ça n’a pas été simple de faire ce film, de rassembler tout ce beau monde.
 
On m’a dit que des intellectuels vous ont planté au dernier moment. Que le film ne devait pas être tourné là où il a été réalisé, que vous avez du faire contre mauvaise fortune : bon cœur…
 
Eclairez les futurs téléspectateurs et internautes. Présentez-nous le casting.
 
« Vous êtes bien informé ! Excepté mes reportages à Kinshasa et dans les Territoires occupés, autoproduire ce film a effectivement été l’exercice journalistique le plus difficile de ma carrière. Aucune structure de production, aucun soutien télévisuel, aucune perspective de diffusion classique. Le tout, dans un climat de terrorisme idéologique et de censure politique. A deux moments charnière, ce film a bien failli ne pas exister. Tout est parti de ma rencontre avec Antonio Gilardi, directeur du Théâtre Saint-Michel à Bruxelles. Contraint de déprogrammer l’avant-dernier spectacle de Dieudonné, Gilardi ne voulait pas en rester là. Il souhaitait organiser, dans son théâtre, une conférence-débat avec Dieudonné face à un public restreint, composé de représentants du milieu culturel francophone belge. Son idée coïncidait quelque peu avec celle que je caressais depuis deux ans. Je l’ai convaincu d’organiser un vrai débat contradictoire, sur la scène de son théâtre, entre Dieudonné et six intervenants des sphères culturelles, intellectuelles et médiatiques. En tant que spécialiste du sujet, il m’a volontiers confié la médiation du débat et la tâche de dénicher six intervenants pertinents dotés d’une colonne vertébrale. Antonio Gilardi, lui, se chargeait de remplir son théâtre d’un public majoritairement issu des sphères culturelles (théâtre, cinéma, télévision, etc.).
 
Mais cinq jours avant la date du débat, j’apprends que Gilardi a été victime d’un grave malaise cardiaque. Il est dans le coma depuis deux jours … Le directeur-adjoint du Théâtre Saint-Michel affirme ne pas être au courant de notre évènement et refuse de remplacer son supérieur au pied levé. J’insiste. Il me laisse dans l’expectative. Le lendemain après-midi, il me rappelle : Antonio Gilardi est sorti du coma ! Mais il me demande de reporter le débat ... Depuis deux mois, je venais de suer sang et eau pour fixer un « plan de table » qui tienne la route. Réunir Dieudonné et six intellectuels et culturels le même jour en un même lieu : ce n’était pas de la petite bière ! Au vu des agendas respectifs et des difficultés pour rassembler ces sept personnes, il était clair que « reporter » signifiait en réalité abandonner. Je m’y suis refusé. Avec mon co-réalisateur, on a immédiatement cherché un lieu de remplacement. Plusieurs salles étaient libres pour le jour dit, mais leurs propriétaires ont tous refusé. Dès qu’on prononçait le prénom « Dieudonné », les visages se décomposaient, les arguments bidons affluaient, les faux-fuyants se bousculaient et la peur envahissait la pièce. La vielle du débat, à midi, mon co-réalisateur est parvenu à louer une petite salle de formation appartenant à un théâtre du sud de Bruxelles. Et si ça a marché, c’est parce qu’il n’est pas venu à l’esprit de la préposée aux locations de demander l’identité des intervenants du débat … 
 
C’est l’un de mes regrets : ce film s’est réalisé dans des conditions semi-clandestines et il en reste quelques scories. Tout au long de sa préparation, j’ai vraiment eu l’impression de vivre dans un pays soviétique. »
 
Quand même !
 
« Toutes proportions gardées, plusieurs comportements m’ont même rappelé ceux que j’ai pu observer dans ma jeunesse au Congo sous la dictature de Mobutu. Si braver l’interdit sous la dictature peut conduire à la mort, en démocratie, le même acte peut aboutir à une « mort sociale ». Plus que Dieudonné lui-même - dont ces gens ne savaient rien sinon le matraquage médiatique -, c’est la peur du lynchage médiatique, de la condamnation politique ou du retrait des subventions et autres représailles qui dictaient leurs comportements. 
 
C’est pourquoi je remercie à nouveau les six intervenants qui ont répondu positivement à mon invitation. Il s’agit de l’écrivain Jean Bofane, du cinéaste Jan Bucquoy, du chercheur en économie de la discrimination Souhail Chichah, du journaliste d’enquêtes de la RTBF José Dessart, de l’écrivain et spécialiste en littératures comparées africaines Antoine Tshitungu et du Professeur en linguistique, Dan Van Raemdonck, ancien président de la Ligue des droits de l’Homme. Ce sont des hommes d’honneur authentiquement attachés au vrai débat contradictoire. Ils ont chacun apporté une analyse différente concernant la démarche de Dieudonné. Ce qui permet d’entendre et de voir enfin autre chose sur le sujet que la pure bêtise, l’irrationnel diabolisant ou la désinformation à visée idéologique. Les intervenants comme le public sont des personnes qui s’interrogent et/ou défendent leurs convictions dans le respect et l’écoute de l’autre. Des qualités en voie de disparition dans nos sociétés occidentales … » 
 
- Pourquoi cette désertion des élites, je veux dire : courage, fuyons ! Qu’est-ce qui se joue autour de l’humoriste selon vous ?
 
Les sémiologues- je pense à Dominique Wolton, Régis Debray, Ignaccio Ramonet, Serge Halimi, Alain Gresh et consorts -, devraient se régaler mais on ne les entend pas. 
 
A chacun sa merde ?
 
« Pour rester sur votre dernière question et reprendre une formulation assez juste de Dieudonné, je dirais : « Dès qu’on parle d’Israël, ils chient tous plus ou moins dans leur froc » … Aujourd’hui, évoquer Dieudonné autrement qu’en termes de condamnation définitive ou de psychologie de bazar façon Paul Amar, c’est mettre en danger ses plans de carrière. L’humoriste, lui-même, a sacrifié une partie de la sienne pour ses engagements anticolonialistes et son aspiration à exercer son art comme il l’entend. L’un des comédiens les plus talentueux, le meilleur humoriste de France qui - comme l’a souligné avec brio Grégory Protche[2] sur Tropiques FM- produit un nouveau spectacle par an depuis six ans ; bref cette « bête de scène » reste strictement interdite de télévision et de cinémafrançais. A l’instar des photos retouchées pour faire disparaître les dissidents sous l’ère soviétique, chaque émission de télé consacrée aux comiques français ne dit mot, ne diffuse une image concernant Dieudonné. Comme s’il était mort ou en arrêt maladie...
 
Loin d’être anecdotique, il s’agit d’un signal clair pour les leaders d’opinion et autres personnalités qui ont accès aux médias dominants. Aucun de ces privilégiés n’évoquera d’initiative l’humoriste, même si le thème ou le sujet de la conversion s’y prête. Ils ont trop de choses à perdre ou se fichent éperdument des questions cruciales que pose pourtant cette affaire depuis six ans. L’un des rares à avoir récemment dérogé à la règle, c’est le photographe William Klein sur France 2. Dans l’émission Les mots de minuit, Klein commence à évoquer Dieudonné avec l’humoriste Patrick Timsit. Ces quelques minutes sont extraordinaires.
 
A l’évocation du « patronyme interdit », on sent directement le malaise chez le présentateur Philippe Lefait. Or, le journaliste, plutôt frondeur, n’est pas connu pour sa propension à cirer les bottes. Que fait-il ? Il interrompt l’échange, regarde Klein droit dans les yeux et lui dit ceci : « Ici, franchement, on dira que Dieudonné a des comportements que jamais nous ne supporterons et on ne l’invitera pas sur ce plateau parce que, il a beau être drôle, ses prises de positions politiques dépassent l’entendement, heu… normal, aujourd’hui, voilà !  » … 
 
Le silence des sémiologues que vous citez s’explique peut-être par le fait qu’ils ont intériorisé le message explicite de Lefait bien avant qu’il ne l’exprime « franchement ». Un mot d’ordre qu’on peut résumer ainsi : la dernière idéologie occidentale colonialiste, bafouant le droit international, pratiquant et glorifiant l’apartheid, torturant et tuant des milliers de civils arabes depuis soixante ans, doit être soutenue et bénéficier d’une apologie de tous les instants. Ceux qui combattent cette idéologie et ses défenseurs en se réclamant de l’antisionisme, soit d’un anticolonialisme véritable et non à géométrie variable, devront être diabolisés et bannis. Comme Dieudonné. Ce qui est « normal », c’est le sionisme. L’antisionisme, lui, « dépasse l’entendement ». C’est peut-être l’avis sincère de Philippe Lefait, mais ce n’est pas celui d’une majorité de citoyens d’Europe et du monde. Raison pour laquelle, les journalistes francophones, s’ils étaient réellement indépendants et soucieux des principes démocratiques, devraient défendre la possibilité de médiatiser l’opposition politique au sionisme. »
 
- Il y en a…
 
« A quelques rares exceptions, ils ne le font pas. La dernière preuve en date est l’interdit médiatique dont souffre l’excellent ouvrage de Paul-Eric Blanrue intitulé « Sarkozy, Israël et les Juifs »[3]. Edité par l’éditeur belge Marco Pietteur, ce livre brillant et mesuré récuse d’abord l’assimilation fallacieuse entre judaïsme et sionisme. Il décortique ensuite avec minutie l’influence majeure du lobby pro-israélien sur la vie politique française. Blanrue démontre enfin - références incontestables à l’appui - que le premier défenseur de ce réseau communautariste et xénophobe n’est autre que l’actuel Président de la République. Une situation inquiétante, au premier chef pour les Français juifs que l’auteur appelle à se rebeller contre cette politique pro-israélienne désastreuse à terme. Pour eux comme pour tous les Français...
 
Enfin, j’ajouterais que si on n’entend pas les sémiologues que vous citez, c’est aussi parce qu’aucun journaliste de médias mainstream ne les interroge sur les rapports entre Dieudonné et les médias ou sur le traitement médiatique de « l’affaire Dieudonné ».
 
- Sans trop révéler le documentaire, quels sont les thèmes que vous abordez, votre angle ? Que vouliez-vous montrer ?
 
« Sous les auspices de la liberté d’expression, le film est subdivisé en neuf chapitres qui abordent notamment la provocation, ses aspects pédagogiques, révolutionnaires ou néfastes. La hiérarchisation victimaire, le racisme institutionnel, l’antisionisme, la diabolisation médiatique et les dernières élections européennes sont également abordées. Comme je vous l’ai dit, je souhaitais recadrer de façon journalistique la « question Dieudonné » en favorisant une vraie controverse, un débat digne et enrichissant. Et je dois dire que le résultat a dépassé mes attentes. Mais c’est au public qu’il revient de trancher et de répondre à la question-titre du film « Est-il permis de débattre avec Dieudonné ? ».
 
- Comment avez-vous trouvé Dieudonné justement ? A certains moments je le sens dépassé, paumé, absent.
 
« Chacun jugera sur pièce. En ce qui me concerne, je ne l’ai pas senti perdu ou dépassé. Comme n’importe quel être humain, il n’a pas réponse à tout et le reconnait. Confronté pendant plus de deux heures à six intervenants et des personnes qui lui ont renvoyé questions pertinentes et critiques argumentées, j’estime qu’il s’en est pas mal tiré. Je pense qu’il a aussi été surpris - il le dit dans le film - de constater qu’il était encore possible d’échanger rationnellement sur sa démarche, sur les questions et inquiétudes que celle-ci a soulevées. »
 
- Avez-vous été subventionné pour faire tout ça ? Les mauvaises langues disent que Dieudonné recrute et que c’est sa boîte de prod qui a arrosé… 
 
« Bien sûr que non. Les « mauvaises langues » devraient chercher autre chose pour tenter de décrédibiliser mon travail. Objectif qu’elles ne parviennent pas à atteindre depuis cinq ans. Que leur reste-t-il sinon recouvrir de silence mes livres et aujourd’hui ce film ou raconter n’importe quoi à l’instar du polémiste belge Claude Demelenne ? C’est lui l’auteur d’un papier qui m’est consacré, titré « Dieudonné recrute ». En résumé, selon lui, je ferais partie d’un courant « de gauchistes belges pro-iraniens » qui tentent notamment « de jeter des ponts entre les communautaristes noirs et la jeunesse d’origine maghrébine qu’ils cherchent à radicaliser ». C’est tellement crétin et absurde - le « communautarisme noir » n’a aucune existence en Belgique - que cela se passe d’autres commentaires. Profondément incapable de mener la moindre enquête journalistique sérieuse, ce type d’idéologue est contraint de recourir à l’insinuation débile, la malhonnêteté intellectuelle ou même l’insulte (en 2006, Demelenne publiait un article non-signé titré « Dieudonné, sale con »).
 
Etre financé par Dieudonné, ce serait évidemment de la corruption intellectuelle et de l’anti-journalisme ! Contrairement à Demelenne, je ne mange pas de ce pain-là. L’humoriste engagé ne m’a jamais rien demandé ni offert et c’est en toute indépendance que j’ai travaillé sur sa démarche. S’agissant de mon film, Dieudonné n’est intervenu ni dans l’écriture, ni dans le choix des intervenants ni dans le financement ou la postproduction assurée par Moshi Moshi Productions. Tout cela est aisément vérifiable, mais cela intéresse-t-il des menteurs pathologiques façon Demelenne ? Aujourd’hui, le polémiste mène une croisade islamophobe et anti-arabe en étroite collaboration avec la droite sioniste belge qui vénère Sarkozy. Et c’est ce type qui a le culot de me donner des leçons d’indépendance ! En tout cas, médiatiquement, ça marche du tonnerre : il enchaîne les plateaux télés et deux quotidiens belges publient avec empressement toutes ses opinions ineptes et réactionnaires. Encore un bel exemple de la liberté d’expression à deux vitesses, chez nous comme en France… » 
 
- Est-il encore possible en Belgique de parler de Dieudonné librement, sans s’étriper, sans connaître le destin du placard ou d’être blackboulé ?  
 
« Concernant la discussion et le débat privé, certainement. C’est d’ailleurs l’un des facteurs qui m’a poussé à tenter cette aventure audiovisuelle. En six ans, les discussions et débats passionnés autour de Dieudonné et sa démarche se sont multipliés. En France comme en Belgique. Globalement, le comportement du milieu journalistique sur le sujet est en mimétisme avec celui des élites politiques. Soit c’est « courage, fuyons ! » en gardant le silence, soit on se range peu ou prou derrière le discours hystérique et mensonger des pro-Israéliens. Je ne donnerai qu’un exemple. Sur fond d’alarmisme médiatique et de censure politique avortée, Dieudonné a pu jouer son avant-dernier spectacle à Bruxelles en mars dernier.
 
Durant cette période, trois journalistes de trois médias différents (Le quotidien Le Soir, la télévision de service public RTBF et la télé régionale Télé-Bruxelles) ont voulu m’interviewer. Les deux premiers confrères ont été directement censurés par leur hiérarchie. Le dernier est parvenu à tourner un sujet le soir du spectacle. Il m’a notamment interrogé face caméra plus de cinq minutes. Son sujet n’est jamais passé à l’antenne. Cette anecdote répond-t-elle à votre question ? »  
  
- Oui ! Les rédacs dans votre pays, sont-elles aujourd’hui aux ordres d’un lobby pro israélien ? Vous disiez dans une interview que Paris et les « intellectuels communautaires » déteignaient gravement sur le climat. Et que tout ça n’était pas de bonne augure pour la démocratie, la liberté d’expression qui ont fait, jadis, la réputation de la Belgique. Qu’en est-il concrètement ?
 
« Non, je ne dirais pas que les rédactions belges sont aux ordres d’un lobby pro-israélien. Mais, en termes de médiatisation et de sélection de l’info, la plupart se rapproche dangereusement du « deux poids deux mesure » pratiqué par les médias français. Celles et ceux qui en appellent à l’objectivation et critiquent pacifiquement la politique menée par Israël sont directement accusés d’antisémitisme voire de terrorisme et, bien sûr, ne sont jamais interviewés. Un objectif poursuivi depuis longtemps par vos intellectuels communautaires et désormais repris, à la belge, par une partie de la classe politique et des pseudo-journalistes tels Claude Demelenne.
 
Malheureusement, la francisation des médias belges francophones se poursuit. »
 
- C’est-à-dire ? 
 
« Chez nous, les médias s’enorgueillissent de décliner sur tous les tons que, lors de la visite d’une usine française, Nicolas Sarkozy a fait sélectionner des personnes de la même taille que lui pour la prise de photos ou encore, qu’à Bruxelles, le Président français avait visiblement bu une vodka de trop avec Vladimir Poutine avant de s’adresser à la presse européenne. Amusant, certes. Mais lorsque l’historien français Paul-Eric Blanrue vient se réfugier en Belgique pour publier son dernier livre qui démontre et critique les orientations sionistes du Président Sarkozy, là … aucun média belge francophone n’est preneur ! Et personne ne semble s’interroger sur la terreur qu’a provoqué ce livre dans les maisons d’éditions et les médias français. 
 
Idem lorsque la Direction du commerce extérieure du gouvernement régional bruxellois s’apprête à envoyer une mission économique et commerciale à Tel-Aviv en décembre prochain. La discrétion et la gêne de nos médias est saisissante. Ce sujet a fait royalement l’objet de deux entrefilets dans deux quotidiens[4] ... Un an près le carnage de Gaza qui a fait 1300 morts palestiniens dont 300 enfants et 9 Israéliens, le « business as usual » entre entreprises belges et israéliennes doit reprendre sans attendre ? Sans médiatisation sérieuse, sans débat public et malgré trois interpellations de parlementaires belges ainsi que l’adoption par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU du rapport Goldstone qui accuse Israël d’avoir commis des crimes de guerre lors de son attaque contre Gaza ?
On juge, paraît-il, la santé d’une démocratie à la vitalité de ses médias... » 
 
- Les déboires de Dieudonné ne sont-ils pas liés à ce que j’appelle une anti-pédagogie. Qu’entre ce que le saltimbanque veut dire (montrer du doigt, dénoncer…) et le message que le public reçoit (faire venir Faurisson au Zénith par exemple), il y a comme un décalage, une sorte d’illisibilité qui fait que Dieudonné devient à la longue, insupportable, incompris. Certains disent même qu’il est « fou ». Que le théâtre de la Main d’or est un hôpital psy pour demeurés cosmopolites, Toubabs réacs, « antisémites » notoires et « islamo bamboulas » au chômage...  
 
« Le manque de pédagogie quant à la démarche de Dieudonné est justement un des thèmes abordés dans le film. Et diverses réponses sont proposées que je ne dévoilerai pas ici. Néanmoins, en raison de l’ethnocentrisme occidental, j’observe que Dieudonné est souvent réduit à son engagement pour la cause palestinienne. A tort, car il ne traite pas uniquement cette question. Son sketch historique du dictateur africain fait exploser de rire des milliers de personnes et plus particulièrement celles qui ont des origines africaines. L’interprétation de ce personnage qui rappelle plusieurs autocrates africains, disparus ou encore au pouvoir, est d’une finesse et d’une justesse qui font mouche. Idem pour son sketch dénonçant l’actuel génocide des pygmées par la déforestation industrielle, un sujet tabou propre à déranger tout Africain et à la hauteur de l’indifférence totale du monde quant à l’extinction programmée de ce peuple. » 
 
-Et Faurisson, c’est quand même pas Fernandel ?
 
« Si pour certains, faire monter Robert Faurisson sur la scène du Zénith est insupportable, pour d’autres cela s’inscrit comme un pied-de-nez contre le pavlovisme médiatique partial qui se garde bien de lyncher les autres révisionnistes et négationnistes d’autres crimes contre l’humanité. Par ailleurs, en filigrane de plusieurs sketchs et provocations, il y a toujours chez Dieudonné la dénonciation d’une inégalité citoyenne persistante au sein de la République. Ce que j’ai appelé « égalité zéro » ou cet interminable « deux poids deux mesures » au désavantage des Français d’origine africaine, antillaise et maghrébine. Cette citoyenneté au rabais qui se vit dans la discrimination à l’emploi et au logement, dans le révisionnisme ou le négationnisme des crimes perpétrés par l’Empire français esclavagiste puis colonialiste, et enfin, dans l’accès à la liberté d’expression critique et médiatique concernant ces questions. 
 
Quant aux qualificatifs dénigrants que vous relayez pour définir celles et ceux qui fréquentent le Théâtre de la Main d’Or, je les trouve totalement déplacés et dignes d’un délire d’Alain Finkielkraut. » 
 
- Est-ce délibéré (l’anti-pédagogie) auquel cas tout change. Quitte à être isolé, grillé. Ou paraître l’étendard du GRECE[5], de la nouvelle droite, du FN ? D’ailleurs Alain Soral n’est-il pas son ami, son binôme ? Enfin, corrigez-moi si je me trompe mais Marc Georges, encarté FN, n’a-t-il pas été son directeur de campagne pour la présidentielle de 2007 ? 
 
«  Toutes ces questions s’inspirent d’interprétations abusives signées Anne-Sophie Mercier et d’autres confrères. Des personnes pour qui la vérité factuelle n’a que peu d’importance lorsqu’elle ne coïncide avec leurs a priori idéologiques. Dieudonné n’est ni l’étendard du GRECE, de la nouvelle droite ou du FN. En revanche, diabolisé lui-même, il a décidé de provoquer le débat en cessant de participer à la diabolisation de Jean-Marie Le Pen, désigné depuis trente ans comme le « danger raciste exclusif » en France. Mais en cette matière, que font ou ont fait Julien Dray (PS), Bernard Kouchner (PS), George Frêche (PS) Brice Hortefeux (UMP) où Nicolas Sarkozy (UMP) ? Ces politiciens si respectables appartenant à des partis dits démocratiques qui ne se sont nullement débarrassés de réflexes racistes, paternalistes et colonialistes. Contrairement au FN, ces partis ont exercé le pouvoir et co-gèrent en alternance la République depuis des décennies. 
 
Après avoir longtemps satanisé Le Pen et ses électeurs, les démocrates de droit divin se retrouvent piégés par leur double discours. Ce n’est pas le FN, mais bien le PS et l’UMP qui restent comptables du pillage de l’Afrique via les sanglants réseaux de la Françafrique, comptables de l’occultation de l’histoire coloniale mortifère vécue par les parents de Français issus des ex-colonies, comptables de l’institutionnalisation décomplexée d’un racisme anti-noirs et anti-arabes. Comptables encore d’avoir laissé pourrir et enragée une jeunesse à la peau bronzée derrière les grilles sans avenir d’un apartheid social et spatial. Comptables enfin d’avoir abandonné la défense d’une Europe sociale au profit d’une guerre économique impitoyable précarisant chaque jour les couches populaires et une partie de la classe moyenne. La faillite politique de l’UMPS est sans appel ! Racisme et communautarisme sont au zénith, discriminations et injustices sociales plus criantes que dans les années 80. Agiter l’épouvantail Le Pen et la partie raciste de son électorat pour mieux masquer cette tragique faillite politique ne rend service à personne ... »
 
- Vous ne répondez pas à la question !
 
« Oui ! Dieudonné entretient une amitié avec Alain Soral. Ce qui ne signifie pas qu’ils sont d’accord sur tout. Lorsque Soral est devenu conseiller de Jean-Marie Le Pen, Dieudonné n’est pas devenu membre du FN. Au-delà de ses provocations, Dieudonné n’a pas appelé à voter pour le Front National lors des présidentielles de 2007 ou pour les élections suivantes. Enfin, lorsqu’Alain Soral a claqué la porte du FN pour figurer quelques mois plus tard sur la liste européenne antisioniste et anticommunautariste de Dieudonné, les premier mots de l’humoriste, lors d’une conférence de presse aux côtés de Soral, ont été ceux-ci : « Je suis content qu’il ait quitté le FN »... 
 
Quant à Marc Georges, je dois effectivement vous corriger : il n’est plus encarté au FN qu’il a quitté en même temps qu’Alain Soral. Précédemment, Marc Georges avait aussi quitté le PS, mais évidemment cette info-là n’a aucune importance. Au moment où Dieudonné était candidat à la candidature aux Présidentielles de 2007, Marc Georges a effectivement été son directeur de campagne. Avec le résultat que l’on connaît : l’humoriste a dû renoncer faute d’obtenir les 500 parrainages officiels permettant d’être candidat ... »  
 
- Aux Européennes de 2009, il a fait avec Alain Soral et sa liste anti-communautariste et anti-sioniste moins de 2%. Autant dire tout de suite qu’il doit abandonner la politique, vous en conviendrez avec moi !
 
«  Dans mon film, il développe également les motivations qui l’ont amené à créer cette liste européenne. En termes de débat, l’existence de cette liste a permis de montrer à quel point défendre une conviction politique antisioniste en France est assez dangereux. Dieudonné investit le champ politique électoral pour créer des débats et favoriser des prises de conscience. Doit-il arrêter en fonction de ce dernier résultat ? Non. Pas pour cette raison-là, mais parce que lors de cette campagne électorale, j’ai vraiment eu le sentiment qu’il risquait sa vie. J’espère sincèrement me tromper, mais il s’est à nouveau fait agressé physiquement durant cette campagne. La haine des milices sionistes et l’impunité dont elles bénéficient sous la présidence Sarkozy me font craindre d’autres dérives. » 
  
- Moi, il y a eu une chose qui m’a géné, Anne-Sophie Mercier, Alain Gérard Slama me paieraient un verre au café Flore en tout bien tout honneur mais je vous pose la question, le diable se cache parfois dans les détails. En regardant le film, j’ai eu l’impression, à un moment, qu’on lui soufflait les réponses, qu’il était une sorte de ventriloque, qu’il roulait pour une organisation. Il ne faisait pas sincère…
J’en veux pour preuve ses explications sur la venue de Faurisson au Zénith à Paris en décembre dernier. J’avoue avoir été troublé…
 
« C’est votre impression et je ne la partage pas. Pour avoir enquêté sur Dieudonné et l’avoir fréquenté à quelques reprises ces six dernières années, je suis assez convaincu de sa détermination à ne plus se laisser instrumentalisé par qui que ce soit. Si ses explications sur la venue de Faurisson au Zénith ne vous semblent pas sincères, je vous invite à le cuisiner en interview pour en avoir le cœur net … » 
  
Je le ferai et sans concession comme avec vous ! Suite à un article qui a fait pas mal jaser chez vous, vous disiez sur Agora Vox, je cite, que Dieudonné est un véritable Républicain ?
 
Il a quand même été, je vous le rappelle, condamné par la justice pour incitation à la haine raciale ? Aujourd’hui seriez-vous plus modéré ? 
 
« Non, je maintiens : Dieudonné est un véritable Républicain. Au sens d’un citoyen qui défend les utopies que sont l’universalisme, le refus du communautarisme et de la hiérarchisation de traitement selon les origines de chacun. Dieudonné renvoie les principes de la République à ceux qui les trahissent. Oui, il a été condamné trois fois par la justice française pour « diffamation raciale » et … relaxé 25 fois de la même accusation et de celle de « négation de crime contre l’humanité ». C’est étrange : ces dernières informations, on ne les entend ni ne les voit jamais dans les médias français et belges. En réalité, au vu du harcèlement judiciaire des adversaires politiques de Dieudonné - qui a conduit à une trentaine de procédures en six ans dont plusieurs sont encore en cours -, il était difficile qu’il les gagne toutes. Mais même lorsque l’humoriste avait remporté une vingtaine de procès successifs sans en perdre un seul, cet élément factuel ne présentait aucune valeur pour les élites et les médias qui hurlaient à l’antisémitisme. Aujourd’hui que Dieudonné a été condamné trois fois, n’importe quelle dépêche d’agence, n’importe quel article se termine invariablement par ces lignes : « Plusieurs fois condamnés pour antisémitisme ». C’est ce que certains appellent « l’indépendance des médias »… 
 
- Que répondez-vous à ceux qui disent que Mukuna fait ses choux gras avec Dieudonné ?
 
Que sans lui il n’a pas de taf ?
 
« Je leur réponds : ridicule et bas de plafond ! Je travaillais comme journaliste avant de rencontrer Dieudonné et ai continué après. Comme d’autres consœurs et confrères, qu’on ne juge d’ailleurs pas utile d’interroger sur leurs motivations, j’ai décidé d’approfondir un sujet en commettant un triptyque (deux livres différents, un film). Pourquoi ? Parce que Dieudonné représente à la fois un « cas d’école » pour la liberté d’expression, une démarche artistico-politique hors-normes et un révélateur de débats sur des sujets cruciaux. Sans compter ses indéniables talents de comédien et d’humoriste. Ne comptez pas sur moi pour m’excuser d’avoir vendu quelques milliers de livres le concernant. »
 
- Je ne vous le demande pas !
 
« Cohérent avec ma déontologie mais à contre-courant d’un matraquage puissant, je vous garantis que travailler strictement sur Dieudonné ne nourrit pas son homme. Mais je reste fier d’être parvenu à faire exister ce travail. Au-delà d’une rencontre avec un homme courageux comme peu le sont dans une vie, parallèlement aux critiques injustes et aux suspicions infondées, de nombreuses personnes me félicitent et me remercient pour ce travail.
 
Ça, c’est que j’ai vraiment gagné en travaillant sur Dieudonné. Pouvoir se regarder dans un miroir, conserver sa dignité et bénéficier d’une certaine reconnaissance populaire. Pour moi, cela n’a pas de prix, cela vaut tout le fric et les honneurs factices auxquels je n’ai jamais aspirés. » 
 
Merci Olivier Mukuna, je rappelle que votre documentaire est sorti depuis le 24 septembre de cette année. On peut se le procurer en le commandant via l’adresse e-mail : kadtshi@yahoo.fr. J’en profite aussi pour dire que vous serez présent samedi 28 novembre au théâtre de la Main d’or (15 passage de la Main d’Or, 75 011 Paris, tél : 01 43 38 66 99) pour la projection de votre film à partir de 15h30 et à laquelle participera, bien sûr Dieudonné »
 
PROPOS RECUEILLIS PAR P.M


[5] Groupe de recherches et d’études européennes, appelé Nouvelle droite et dont la tête pensante est Alain De Benoist, journaliste et philosophe de formation. Louis Pawels, journaliste au Figaro a grandement participé à la diffusion des idées de cette cellule dans les années 1980.

Lire l'article complet, et les commentaires