On a débriefé Sainte-Soline

par Roland Gérard
lundi 10 avril 2023

C'était comment Sainte Soline ? Le plus simple pour répondre à cette question, c'est de demander à son voisin ou sa voisine qui pour une raison ou une autre y était. L'entendre dans un échange à deux c'est une chose, se mettre en cercle à une douzaine et y consacrer deux heures s'en est une autre. Nous avions envie d'entendre, dans un moment collectif, les paroles de témoins ayant vécu les événements, c'est cela qui nous a motivé. Ce doit être la même chose partout en France, ça n'a vraiment pas été compliqué de réunir en Haute-Bigorre, une poignée de personnes qui y étaient et forcément avaient des choses à dire. Disons le tout de suite les télés ont oublié quelque chose d'important et qui pourtant, c'est clair ici pour nous maintenant, y était... comment dire … la joie, la fraternité, un haut sens des responsabilités... une ferveur partagée... c'est si rare.

 

La bataille

 

Les premiers mots de notre échange furent pour la bataille. Comment dire autrement. C'est le point dur, le point fort, le point douloureux, celui qu'on ne peut taire. L'émotion était encore là. « Cela a été court et intense « plus de 4000 grenades en 2h », « des flics cagoulés au RIO caché »... plusieurs jours après une des témoins constatait sa « difficulté à ouvrir la bouche »... tant dans ces instants de tous les dangers, les mâchoires sont serrées... ou alors effets des gaz ? La même jeune femme dit dans le feu de l'action, son hésitation entre son « envie de reculer, mais aussi de voir, d'aider... ». « Nous voyions des groupes qui arrivaient de chaque cotés de la bassine ». « Ce que nous voulions nous c'était juste faire une chaîne humaine autour de la bassine »... Cela n'a pas été possible : « On n’a pas réussi à faire la chaîne humaine, les craintes de s’approcher et se donner la main étaient grandes et fondées. »

 

Plusieurs couleurs

 

Il y avait plusieurs couleurs. « Les roses qui suivaient l'outarde, sont partis en premier, ils devaient passer par le village pour embarquer des participants sur leur passage », « Les loutres étaient les plus en avant »... « au beau milieu de cet océan grouillant d’âmes et de blouses bleues les hélicos tournent inlassablement, 8 a compté l’un de nous dans l’autre champ joue une fanfare, j’y suis allée m’y réveiller on a dansé, ça fait du bien, follement, et je découvre un autre sens à la danse »

 

Violence ou non violence ?

 

Un participant dira « je ne suis pas en paix avec cramer des camions de flics » Cela a ouvert un deuxième temps de la rencontre sur la culture zadiste. « La culture zadiste est horizontale », dira un participant qui lui, était passé du côté de Notre Dame des Landes, « ceux qui cassent et ceux qui méditent font parti du même combat … chacun prend ses responsabilités ». Une témoin dit qu'il y avait des enfants sur place, ils se sont trouvés exposés... c'est un « bouquet » dit une participante. Le journal « le monde » diffuse en ce moment une vidéo de 11 minutes qui conclue sur le même sujet de l'articulation entre action non violente et action violente. La question des formes de la lutte devient LA question d'actualité. Ça va être l'heure de revenir à Henry-David Thoreau et sa Désobéissance civile, sans oublié de passer par Gandhi pour arriver au Manifeste des 343 et aux faucheurs volontaires.... et a aujourd'hui nouveau moment de lutte.

 

Moment de culture et de fraternité

 

« Les repas étaient supers » des yeux brillent chez les participant.es de Sainte-Soline en évoquant certains desserts. La mairie de Melle est chantée par les témoins, qui disent combien les 5 ou 10 000 personnes rassemblées dans la ville étaient responsables … qu'il n'y avait « pas un papier par terre », « autant de monde avec aucun vigile et tout s'est très bien passé. Fanfares, danse, chorales, conférences... c'est ce qui a été vécu à Melle. « Il avait été dit pourtant aux commerçants qu'il fallait mieux fermer ce jour la, que des vitrines allaient être fracassées... Ce que nous entendions nous alors dans notre groupe, quelques jours plus tard en Bigorre, c'est que ces jeunes citoyennes et citoyens avaient vécu un grand moment d'humanité dans un esprit de responsabilité et de respect mutuel. « Des plateaux de gâteaux circulaient, préparés par l’intercantine...L’intercantine.... truc de dingue encore. Des cantines et asso du coin se sont coordonnées et activées pendant des jours pour préparer de quoi nourrir ces dizaines de milliers de personnes. C’est l’intercantine qui avait préparé des tonnes de wraps pour qu’on ait toutes et tous de quoi manger dans la journée !!!... Un festival incroyable avait lieu à Melle. 3 scènes, 2 chapiteaux, 1 salle des fêtes, bal trad, metal, dj queer, une
programmation s’approchant de notre d’ivressité. Chapeau et bravo à la mairie de Melle pour ce soutien engagé ! »

 

Contraste saisissant.

 

Une des témoins dit que c'est seulement en rentrant qu'elle a eu connaissance de tout ce climat de violence. Elle n'en revenait pas que tout était résumé à ça dans les media. Elle lors de ce rassemblement, c'est autre chose qu'elle a vécu... le sens des responsabilités des personnes rassemblées, leur niveau d'information, la convivialité... elle en était enchantée. Évoquant l'ensemble de ce qu'elle à vécu une autre dira : « c'était très beau … cette organisation... cette solidarité ... » Les quatre témoins sont unanimes, cette expérience les a boostée, elle a augmentée leur détermination. « Même si on y va seul.e on n'est pas longtemps isolé.e... Il y a eu plein de conférences, cela est le signe d'un collectif fort, engagé constitué de personnes bien informées. »

 

« Puissance douce »

 

"Je me dis que les choses ont évolué depuis mon passage à Notre Dame des Landes en 2012... quelle organisation, quelle convergence, quel tissage fin et solide, aujourd’hui, nous rassemble. Sentir la puissance douce qui émane de ce cortège...On apprend aussi que plus de 300 mètres de haies ont été plantées durant le cortège par les paysannes et paysans de la Confédération Paysanne, car elles sont un moyen majeur pour retenir l'eau dans les sols. Une serre a également été montée sur une parcelle de Sainte-Soline pour montrer qu'il faut plafonner et prioriser l'eau (accès à l’eau très difficile pour le maraîchage). Une pompe de remplissage de la méga-bassine a été démontée. Comme beaucoup l’ont dit, si les gendarmes n’avaient pas été là, il n’y aurait pas eu de blessés, nous aurions simplement fait une chaîne humaine autour de la bassine, et quoi de plus ? ... »

 

La suite...

 

Il y a déjà en moins d'une quinzaine de jours 75 000 signatures de la tribune mise en ligne par les soulèvements de la Terre. Déjà le mot d'ordre est lancé la prochaine étape a déjà démarré sur le chantier de l'A69 entre Castres et Toulouse où pour faire gagner 12 minutes, à ceux qui pourront payer 17 €, on envisage de bétonner 400 ha de terre et abattre quantité d'arbres centenaires... Rendez-vous est donné pour les 22 et 23 avril pour un week-end de rassemblement. Déjà pour ce week-end le ton est donné avec l'invitation de La voie est libre pour le 5 avril « A partir de 12h pour un repas partagé, puis pour une après-midi tous ensemble, avec les enfants, avec des jeux en plein air, des ateliers cuir, dessin…" Très bon parfum de non violence habituel au Groupe National de surveillance des Arbres GNSA toujours en première ligne quand on s'en prend aux arbres.

 

En conclusion d'une rencontre.

 

Les témoignages au nombre de quatre se sont complètés, des réflexions ont émergées... On sait mieux maintenant ce qui s'est joué à Sainte-Soline et ce qui ce joue en ce moment en France et dans le monde. C'est comme une confrontation de l'ancien monde et du nouveau. Le monde de la vitesse, des profits à court terme, de la débauche d'énergie, de la monoculture, des rendements très élevés, de la simplification des paysages ... doit maintenant céder le pas à un monde plus joyeux, plus respecteux du vivant non humain, plus ancré dans le long terme, plus attentionné... Chacune et chacun a raconté son histoire singulière, elles se sont complètées. Les gens sont revenus boostés et avec une envie encore plus grande de s'investir. Nous sommes repartis avec le sentiment d'avoir vécu un moment de "partage et de transparence", un moment qui "fait du bien à notre démoratie" dira une participante..

 

Roland Gérard

 

P.S. Avec un remerciement particulier à Lise qui nous a livré un témoignage écrit de grande qualité :

« nous sommes la terre qui se soulève
nous sommes le vivant qui s'exprime
nous sommes l'eau qui circule
nous sommes infini
nous sommes unis
multiples
et multipliées
par
toi »


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