On devient Oufs !

par Ben Ouar y Villón
samedi 11 juillet 2009

J’ai longtemps résisté au voyage de Londres. Que savais-je de cette ville, à part son statut de première place financière et coloniale du monde ? Rien.

Pourquoi donc l’école ne nous a-t-elle rien appris de la culture anglo-saxonne et du monde anglais encore moins. Même pas une ligne de Shakespeare lue à l’école, tenu pour trop difficile. Ne nous parviennent que les caricatures, l’idée d’un thé réglé sur le carillon, les sketches comiques de l’affreux Benny Hill ou du génial Mr Bean, la Panthère rose...
Lorsqu’enfin je me décidai de faire plaisir à mon italienne épouse, j’arrivai à Londres avec une méfiance quasi atavique pour l’Anglais, tout Picard que je suis, et tout ignorant aussi.
 
Moi, un républicain de gauche, un gaulliste, je conçois au retour de cette île un sentiment de divorce avec la France.
 
Encore embrumé de sommeil, c’est une multitude de petits détails qui me frappèrent dès ma descente du train. La sympathie du bistrotier, qui nous avait préparé vers 8 heures le matin un breakfast complet, composé d’oeufs au bacon et de haricots blancs sucrés, tranchait singulièrement avec la façon dont les serveurs parisiens vous jettent le jus de café à figure. Mais je me gardai bien d’en faire une généralité. Les parisiens, de l’avis général, sont cassants, préssés, stressants. Puis, c’est après avoir pris le premier bus, en longeant les couloirs du métro, où je ne constatai nulle trace de dégradation sur les sièges ou de vandalisme sur les murs, que je me surpris à penser soudain : -“Pauvre de nous... qu’avons-nous raté, de quoi souffrons-nous, quelle mauvaise conscience avons-nous, pourquoi nous sommes-nous arrêtés d’être excellents, comment expliquer la dépression morale collective dont la France semble être affectée en l’an 2000 ?...”.
Une image triste de mon pays m’envahit alors par une sorte d’effet miroir. Une comparaison bien involontaire heurtait la fierté que j’ai pour mon pays, si souvent à la tête des grandes avancées humaines.
 
L’ambiance d’un métro reflète beaucoup de choses d’une cité traversée.
J’ai pris celui de Lisbonne, de Rome, de Marseille, de Lyon, et j’utilise tous les jours le métro parisien ; à Rome c’est l’individualisme de qui ne veut pas se salir au contact des autres qui saute aux yeux ; à Lisbonne, l’allure engourdie des passagers, la saudade portugaise ; à Marseille les regards qui s’évitent, à Lyon la froideur indifférente, le règne des apparences jaugées. À Paris, ce qui frappe c’est la violence prête à exploser, latente, asociale, de passagers que le nombre des autres gêne, la crasse des couloirs et des rames, leur odeur putride, la mendicité des nouveaux Roms européens, les alcooliques venus s’abîmer dans la capitale française pour quelques sous, le spectacle pessimiste des fous toujours plus nombreux à hurler leur maladie à la face des gens, coupables de rien.
 
À Londres, ce qui frappe c’est la discipline des usagers, même lorsqu’ils sont touristes Romains, Lyonnais ou Lisboètes (!). On dirait qu’il en va du calme dans la cohue, dans la fluidité des relations et des translations, comme il en va de la fluidité des transactions et des relations commerciales, sur fond de dureté sociale acceptée. La propreté aussi : pas un clébard, pas une crotte glissante ou puante, pas de pigeons envahissants, et même un écureuil à Russell Square... Nous avons croisé 2 chiens en 36 h ! Pas de mur déguelasse de pipi ou de peinture...
Un chauffeur de bus nous a spontanément demandé où nous voulions aller en descendant à Trafalgar, et nous a conseillé les lignes à prendre, quand à Paris ils ne vous regardent même pas ou pour vous signifier que vous les dérangez.
 
Si le Français est un Italien de mauvaise humeur, selon le mot de Cocteau, l’Anglais est-il un Français royaliste, avec un grain de folie ? Si nous étions au moins aussi serviables et courtois, nous pourrions donner des leçons au reste du monde. Si, comme eux l’ont fait avec leurs aristocrates en 1943* (les Bevin boys) nous avions fait descendre nos jeunes néo-aristocrates des Grandes Ecoles au fond de la mine avec les mineurs au titre de l’effort de guerre, nous pourrions peut-être donner quelques conseils.
 
Mais nous n’avons jamais fait que protéger 200 familles, qui ont multiplié et sont aujourd’hui 500.
 
À ce propos on se dit que nous avons un Président à l’image parfaite du français d’aujourd’hui, arrogant, inculte, insécure, clinquant, filou, paranoïaque, prétentieux. Il nous ressemble.
 
Il est sûr que Londres n’est pas le Royaume-Uni, et qu’il serait absurde de vouloir mettre sur le même plan l’humeur d’un londonien de la City, avec son niveau de revenus, son plan de carrière, et celle d’un sujet de la banlieue de Manchester, qui partage sûrement la même difficulté à survivre avec l’employé sous-qualifié de Lubelskie ou de Moselle. Ce n’est pas que je veuille idéaliser la vie londonienne, rapide, laborieuse mais plutôt que j’aie pris conscience de la formidable régression que la France connaît depuis peut-être vingt ans, au niveau économique (bien sûr) mais surtout sur le plan sociologique.
 
Comment la France, qui se targuait naguère d’être la troisième puissance mondiale, qui fut au XX° siècle en pointe de la plus haute technologie, nucléaire, de télécommunications, de la chirurgie, de l’aéronautique, des mathématiques, de la psychologie infantile, qui berça des générations de musiciens jusqu’à Messiaen et Poulenc, des auteurs dramatiques jusqu’à Guitry et en attira d’autres comme Beckett ou Copi, nourrit des peintres comme Seurat ou Van Gogh, ce pays dont les images des fraîches années d’après-guerre nous montrent une société solidaire, où les bals populaires et les églises tenaient lieu de rassemblement festifs, ce même pays où maintenant la seule “Fête de la Musique” voit se concentrer de tristes masses d’individus qui s’amusent la tête dans un haut-parleur, dont les parents vivaient mieux que leurs parents mais qui vivent moins bien qu’eux, où le taux de suicide est depuis plus de dix ans la première cause de mortalité, qui a perdu la souveraineté de son économie, de sa monnaie, de sa politique, comment cette France sous nos yeux disparue a-t-elle vu son dynamisme, sa joie de vivre avec elle, littéralement disparaître ?
 
Comment ce pays, considéré dans le monde comme le berceau des avancées intellectuelles, a-t-il vu son influence diplomatique, militaire, industrielle, décroître à ce point en l’espace de trente ans ? Comment ce fer-de-lance de la construction européenne a-t-il vu sa création le renverser, comment est-il devenu celui des émeutes et des banlieues armées, pourquoi est-il devenu le pays de la première consommation de psychotropes au monde et champion du chômage record des jeunes de moins de 25 ans en Europe (à moins que ceci n’explique cela), ce pays développé qui voit revenir le même taux d’illettrisme qu’au début du siècle précédent ?
 
Notre pays, premier à voter Non au projet de Constitution Européenne, est-il réduit à être la patrie des exclus et donc des refus, de l’intégration culturelle à marche forcée, des combats larvés, de l’abstention électorale, de l’impuissance démocratique, du déficit commercial ? Ou pour poser la question autrement : par qui, ou “pour qui” un tel pays a-t-il vu sa superbe ainsi mise à mal ? Car le portrait de l’orgueilleuse France des années 70 avait de quoi inquiéter les plus grandes puissances comme le Japon, les U.S.A, le Royaume-Uni. À consulter les grandes statistiques, L’Angleterre a le même déficit commercial que la France, avec beaucoup moins de rentrées touristiques, les sujets de sa gracieuse majesté voyageant deux fois plus qu’ils n’accueillent.
Londres accueille plus que Paris d’immigrés sur son territoire. Mais sont-ils moins malheureux qu’en France ? En deux jours de présence in-extenso dans la ville de Dickens, pourquoi nous ne vîmes que deux chiens, aucun fou furieux, ne vîmes aucune inscription à l’aérosol sur les murs ou sur les trains, n’entendîmes aucune altercation, toutes choses inciviles qui sont depuis des années le quotidien, fatigant, du parisien moyen ?
 
Je n’ai plus aucun complexe à déclarer que oui, c’était mieux avant.
 
Mais avant quoi ? L’acte unique européen, avant la traité de Maastricht, avant Mitterrand, avant Tchernobyl, avant Sarkozy, avant la vague d’immigration de 1963, avant le choc pétrolier, avant le chômage de masse, qui répondra ?
 
D’abord chacun sait que Londres est une terre d’immigration depuis plus longtemps que Paris. Mais à la différence qu’il s’agit là d’une immigration réussie, victorieuse économiquement, et pas une immigration comme en France qui vécut son arrivée comme un débarquement dans une société a priori hostile. Nous payons un lourd tribut dans les esprits à la guerre d’Algérie et ses atrocités, même si les effets se tassent avec le temps. Un petit camarade de classe, Abderazack, avec qui je jouais beaucoup, me confiait, sans mesurer la portée de ce qu’il disait, que ses parents, arrivés en France à la fin des années 60, lui disaient :”Tu sais, nous, on est là pour niquer les Français...” Hélas, triste condition pour un enfant qui grandit, et tentera de trouver positivement sa place chez des ennemis. Pourquoi, dans une région aussi proche de nous que Londres, et qui obéit à peu près aux mêmes règles économiques et financières, les banques ont-elles l’air de faire leur travail, capitaliser, aider l’entreprise, et ici, à quelques encablures pourtant, les même commerces ou entreprises ferment, ou pire ne s’ouvrent plus, au profit du rachat cash des boutiques parisiennes par la même organisation chinoise ? Pourquoi diable ? (500 boutiques pour un seul arrondissement de Paris).
 
Il fallait observer ce samedi soir 23 heures, en descendant du train, Gare du Nord, le boucan infernal que faisaient quelques jeunes gens, usagers du métro, dans les couloirs, dans les rues, qui avaient l’air de s’amuser en poussant des cris. Un Anglais se serait exclamé : “des animaux, des animaux...” Nous observions cela alors que nous revenions à peine de l’une des villes les plus grouillantes au monde. La veille au soir, nous ne nous étions pas reclus dans notre petit hôtel familial (une petite entreprise familiale anglaise, pas une multinationale du sommeil), et nous avons même traversé Soho, le quartier animé du West End, où un autel avait été élevé à la mémoire de Michael Jackson sous l’affiche de son prochain concert. Pas de sentiment d’insécurité, pas d’agent de police dans tous les coins, nulle rixe, pas un mendiant, pas de provocations. Une population qui avait l’air d’être en paix et qui voulait juste décompresser de sa semaine. Jeune ou moins jeune, vivante, rieuse certes, mais pas tapageuse. Tout comme ces lycéens costumés qui venaient de visiter le Globe theater, et qui sortaient déjà en rang deux par deux, sans avoir l’air d’être malheureux du tout. Aucun n’avait de Game-boy ou autre Ipod sur les oreilles.
 
Ce n’est pas l’impression qui se dégage d’une sortie scolaire aux même heures dans un quartier de Paris, de Marseille ou de Lyon. C’est même tout l’inverse.
 
*Lire page 20, Bertrand Lemonnier, Culture et société en Angleterre de 1939 à nos jours, ed. Belin Sup

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