On est né dans la rue

par alinea
vendredi 13 octobre 2017

On est né dans la rue, tout nu, sans dents, tous pourtant ; certains en ont pris ombrage, les bras doux d’une mère manquant, et le ciel aussi beau que nuages, la mélodie des oiseaux sur harmonie du vent n’étaient pas suffisants pour guérir les dommages.

Nous sommes nés de la rue, tous pourtant, il n’y a pas si longtemps, d’exilés, de fuyards de nomades de chercheurs d’herbe verte ou d’un coin reposant.

Nous sommes nés par hasard, tous pourtant. Certains se croient élus des dieux.

Quand je dis rue, c’est plutôt gué, chemin ou sente, voie ou sentier, les oiseaux en archanges les orages en baptême, les éclairs en feux sans artifice. Je veux y mourir, loin des tuyaux et des asphyxies qu’on hésite à programmer.

La pluie est un miracle pas survenu depuis cinq mois ; on recrée les charriages d’eau et on décide au jardin de qui crèvera en premier ; mais les petits millimètres de l’autre jour en furent un, oh, pas un arrosage, à peine ont-ils collé la poussière, les puits sont toujours vides, les nappes repassées, une allumette et tout crame, les arbres sont roux ou dénudés, cependant, dans ce jour gris repos depuis cinq mois, tout revit ; les insectes bourdonnent, les plantes rebourgeonnent, les pics-bœufs de retour balancent sur la croupe des chevaux au trot pour m’accueillir. Je n’aime pas voir souffrir autour de moi, les écureuils se noyer dans les bacs des chevaux car le lac du barrage est à sec, tous les poissons y ont crevé, et je sais qu’ils sont nombreux à fouir désespérés. Les hirondelles sont parties en août. Que sont devenus les vers de terre ? Le silence dans la plaine brûlée est celui de la mort.

Tous ceux qui vivent ici citadins dans l’âme, ne voient rien de tout ça, ce sont des indices, pas des preuves. Tant que l’eau coule au robinet n’est-ce-pas, les avertissements préfectoraux qui se multiplient ne les inquiètent guère ; sans doute, du reste, ne gaspillent-ils pas. Ce fut un bel été pour les touristes. Jamais vu les trous d’eau de l’oued à sec, que sont devenus les ragondins ? Je commence à paniquer, plus un brin d’herbe à l’horizon et octobre arrive.

Octobre arrive, une première pluie, oh, délicate, mais l’herbe avide se gorge de la moindre goutte, on aperçoit un peu de vert, oh, timide, mais cela suffit pour faire chanter les oiseaux.

D’être à nouveau confrontée aux éléments, faire face, agir, trouver des solutions, remet mon regard de manière un peu plus lucide sur les débordements humains.

Je rêvais de ces friches pour mes chevaux, depuis longtemps, mais la nécessité donne de l’audace ; j’ai ces friches ; j’y ai sué quelques après-midi pour fermer les sentes qui débouchaient sur l’a-pic du ruisseau desséché, j’ai découvert des clairières aux herbes printanières, protégées par les hauts chênes des rives et des jeunes pousses anarchiques que les sangliers parfois étêtent. Regardant mes trois lascars se reposant à l’ombre légère de jeunes frênes, j’attendais de voir quel animal, lent et discret, sortirait des hautes herbes, eh oui, un ragondin, lent et las comme ma vieille chienne ! Complètement indifférent à ma présence, droit au but ! J’ai failli bondir pour chercher une gamelle un peu plate où il puisse s’abreuver, mais je l’ai vu descendre la pente raide du fossé et resurgir un peu plus bas dans la luzerne jaunie et clairsemée, et s’en délecter. À voir à la vitesse où le niveau d’eau descend dans le bac des chevaux, je me doute que, nuitamment, quelques biches ou chevreuils, quelques sangliers y viennent s’abreuver. Cela me remplit de joie.

On dit qu’il ne pleuvra pas avant fin octobre, six mois de sécheresse alors, il est tombé onze millimètres d’eau en trois fois pendant ce temps, c’est le viticulteur d’à côté qui me l’a dit, il tient un compte précis des précipitations depuis plus de quinze ans ! Moi qui ne tiens pas de comptes précis, je sens depuis une petite dizaine d’années un changement net dans notre climat, en viendrons-nous aux saisons sèches et saisons des pluies, comme au Cameroun ?

Mais le vent, ce vent incessant qui dessèche jusqu’à la peau … qui claque les volets et rendait tellement inquiète Erevan… j’ai retrouvé le plaisir des muscles endoloris, des os qui craquent des charges portées, de la peau moite de la sueur qui goutte, tombe et pique mes yeux et au bout, le bonheur indicible de les voir tous les trois organiser leurs déambulations et leurs rituels dans ce nouvel espace eldorado.

Tandis que les hommes...s’assassinent, se font mal, souffrance imposée comme jouissance octroyée et toutes ces barrières qu’il pose pour haïr, vomir l’autre, veuleries, mensonges, calomnies, violences, tandis que certains éperdus osent encore poster dans ces lignes encombrées, quelques douceurs, rares. Ne pas faire le tour des choses toutes semblables, répétées encore et encore, rien ne nous nourrit, aussi ce manque s’exprime-t-il comme il peut sans se rendre compte du mal qu’il fait aux autres.

Tout est à faire, tout est à entretenir à réparer tandis que des milliers de gens crèvent de n’être pas utiles et ceux qui croient l’être rajoutent au chaos l’artificiel à leur arrogance ; je les vois rouler vite importants et pressés, aveugles à l’entour. Comment accepter d’être éternellement ce peuple masse

obéissant qui part sur ordre en guerre parce qu’il est programmé ou devient ces ombres anonymes qui se pressent dans les couloirs du métro ? Comment attendre d’en haut les petits arrangements de notre confort, se plaindre de ne les point voir venir et chez soi, pour soi, se prendre pour un ?

Chaque jour ou presque l’écrou se resserre dont on comprend qu’il exclura les hommes de leurs affaires : j’ai reçu un message de la préfecture via ma mairie qui m’explique que dorénavant les cartes grises ne pourront se faire que par internet ; depuis le premier octobre les services de la Préfecture ne le font plus. Bientôt la déclaration d’impôts ne se fera que par ce biais ; alors, ceux qui n’ont pas internet ? Ceux qui savent mal écrire ? Trouveront-ils une bonne âme pour le faire à leur place ? Mais c’est comme ça, comme l’incendie dans les granges, il n’y a rien à faire contre le diable ; certains se réjouiront de ce moins de fonctionnaires.

Au hasard d’un échange, j’ai découvert l’horreur dans les écoles primaires ; j’ignorais que l’on fît faire aux enfants des exercices de simulation d’attentat, ils doivent se précipiter par terre et ne plus bouger. Certains instits se rebiffent et pointent le traumatisme infligé, mais la majorité obtempère et impose. J’ignorais que les grilles étaient fermées dès la cloche sonnée et dans les collèges où les horaires sont élastiques, quand le contrat aidé qui ouvrait les grilles a été supprimé, il n’y a personne pour le faire ; l’humain est adaptable : tous les enfants sont contraints d’arriver à la première heure ! Et tout le monde obéit.

Qui a ôté de l’humain toute jugeote ? Qui a pu lui faire croire qu’il était libre et unique à posséder comme tous les autres le dernier téléphone mobile qui fait tout ? Et que pour cette merveille, tout le reste pouvait bien se suspendre ?

L’honnêteté m’oblige à dire que la pourriture englobe la société toute entière, les politiques sont à l’image du peuple qui est à leur image mais que dans cette fange, la distance du pouvoir aux soumis est bien exactement la même. Sans détailler, ce que tout le monde sait qui a un minimum de lucidité, la mauvaise foi, la calomnie, le mensonge pour en haut plus prégnant, sont le jeu du moi. Et tout le monde y passe.

C’était un lieu au charme fou qui me rappelait mon enfance en d’autres contrées, tout à fait dépaysant dans cette plaine ; des jeunes il y a quelques années avaient tenté d’en faire un jardin mais je ne les voyais plus, sauf un, étrange, que j’avais croisé dans son petit 4X4 au printemps. En préparant le terrain pour mes chevaux, j’en avais ôté des tuyaux avec des vannes de prix et j’avais découvert qu’ils avaient coupé un énorme chêne dont le trou laissé dans la haie découvrait la plaine au nord ; des rondelles de troncs étaient entassées sur la berge et comme je savais désormais que ces laborieux étaient des squatteurs, je ne leur pardonnais pas cet assassinat. Ce qu’ils avaient emporté de bois devait représenter quelques beaux stères. Les trois parcelles étaient séparées par des haies épaisses et le bois gagnait les prés qui avaient succédé aux jardins et à une vigne ; je mettais ma lenteur à me mouvoir malgré l’urgence et ma patience à en découvrir les deux autres propriétaires sur l’émotion d’enfin occuper ces lieux. Et puis tout fut conclu en cinq minutes : que j’occupe le terrain ne posait aucun problème au contraire. Quand je ne coupais pas du bois dans le lit du ruisseau, je coupais des ronciers, des ardialas chez les chevaux pour laisser l’accès aux herbes qu’ils abritaient. La cuve d’eau et le bac étaient tout au fond du terrain, invisibles du chemin.

Nous avions décidé deux grosses journées de bois, et comme le deuxième jour il me fallait remplir la cuve, j’avais décidé que nous couperions du côté du puits, à l’autre bout de la plaine, ainsi je pourrais refendre et transporter les bûches pendant qu’elle se remplissait. Je n’étais pas partie de bonne heure parce qu’il m’avait fallu préparer le pique-nique, et j’étais patraque comme envahie d’un pressentiment que je ne décodais pas, évidemment, l’interprétant comme un reliquat d’inquiétude quant à l’eau. La voiture qui ne veut pas démarrer, la pompe qui ne veut pas pomper ; la mécanique comme sensible qui sent votre nervosité ; obtempérer et partir faire le plein d’un forage. Enfin quand nous sommes arrivés pour mettre en place la réserve, nos yeux ont trahi le bon sens, quelque chose n’allait et tout de suite nous avons vu quoi, mais c’était inconcevable : le bac des chevaux avait disparu ! vidé sur place et retrouvé au fond de l’oued quelques minutes plus tard, trois mètres plus bas. Ils avaient jetés les licols dans un coin sombre du bois mais fait aucun mal aux chevaux.

Dans les heures qui suivirent, le lendemain, ils sont revenus ; ils avaient posé à côté du bac encore plein, la bassine qui me servait de protection à l’attache de la remorque, et… ils l’avaient remplie d’eau !

Comme je fais feu de tout bois et garde toujours un coin de tête terre à terre, je voulais récupérer cet énorme tronc piteux en rondelles ; j’avais beau dire que s’ils avaient pu l’emporter ils l’auraient déjà fait, nous ressentions un sentiment d’urgence ; dès l’après-midi, un ami bouscatier est venu, a coupé les morceaux dans le sens de la veine et les a chargés dans son camion ! Alors, la vengeance des squatteurs s’étant faite agressive en gaspillant de l’eau par cette sécheresse, nous vînt à l’idée qu’ils pourraient s’en prendre aux clôtures ! Je ne sentais pas de menace sérieuse mais nous nous jouâmes un jeu de surveillance, les amis marcheurs ou cyclistes faisaient leur tout en passant par ici et à la tombée de la nuit, c’est par ici que je promenais ma chienne !

L’ignorance des ces citadins forcément, qui croient qu’un coin de friche est à personne, puis se sentent outrés d’en être dépossédés, me paraissait beaucoup moins sympathique ; il aurait été tellement facile de s’enquérir auprès de la mairie du nom du propriétaire de la parcelle et de lui demander l’autorisation -qu’ils auraient sûrement eue- d’y faire un jardin, et pour le même prix, c’est-à-dire rien ou pas grand chose, ils auraient reçu l’avertissement qu’il n’y avait pas d’eau l’été et qu’il ne fallait pas couper d’arbres.

Pendant ce temps le soleil galope à une vitesse folle vers le sud pour se coucher tandis qu’ici c’est encore l’été. Les buis sont morts, pas la peine de rêver les voir reverdir, quant aux autres, le printemps nous le dira.

L’humanité est nue, même quand elle se drape de bons sentiments, même quand elle se déguise en de pleutres avides, même si elle se cache derrière un dieu malfaisant, même quand elle fait mine de maîtrise, surtout quand elle s’avise de prévaloir sur nature souche.

Mais le plus nu est bien le plus encombré de vêtements car la nudité lui est odieuse mais c’est l’odeur de confinement qui l’est, et imprègne la moindre de ses pensées, de ses paroles, et de ses actions. Le ragoût dégoûtant qui encombre ses neurones me rend douces les duretés de la vie.

 


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