Orelsan : question d’expression, question de rupture

par Christian Delarue
lundi 20 juillet 2009

Deux problématiques sont abordées, d’une part celle des limites à la tolérance face aux propos hypersexistes, d’autre part la question du droit de rompre.

I - ORELSAN, UNE LIBERTE QUI OPPRIME LES FEMMES.

Les textes du rappeur ne sont ni de l’art ni de l’érotisme mais une éructation apologétique de la brutalité machiste la plus radicale.

En fait Orelsan ne sait plus quoi écrire pour radicaliser la pulsion de mort et de destruction qui l’habite. Il n’est plus dans l’ambivalence des sentiments que connait tout être humain qui se débat parfois dans la douleur avec ses limites mais qui choisit ordinairement de construire de l’amitié, du respect, de la reconnaissance et de faire le bien. En fait, il a choisi le camp qui le rapproche de la pathologie nazie. Qu’il ait fait cela pour se faire connaitre, pour se distinguer n’est pas une excuse. Cela voudrait simplement dire qu’il n’a pas sombré dans la destructivité mais qu’il joue avec. C’est un mauvais jeu pour lui (mais cela le regarde) . C’est aussi et surtout un jeu diabolique pour la société. Car les rappeurs disposent d’un potentiel d’influence sociale important, notamment auprès de certains jeunes fragilisés par la société et en phase d’opposition et de contestation. Bref, Orelsan a choisi la pente radicalement mortifère.

Peut-on défendre la liberté d’expression du rappeur Orelsan ?

Malgré l’horreur des propos tenus (voir note), certains défendent la liberté d’expression du rappeur car les « répressifs » (dont je serais) « feraient de la morale ». D’abord, la morale n’est pas si simple qu’il est dit à évacuer. Le problème est qu’il n’y a pas de morale partagée si ce n’est celle du consentement des intéressées. Quelle femme accepte ce déferlement verbal de haine des femmes. Très peu ! La tolérance libéale doit-elle reculer face au souci "démocratique" qui tend à refuser de tout ce qui constitue une oppression manifeste du genre humain ou au cas présent de sa moitié féminine. Car Oreslan s’exprime dans une société tolérante. Il le sait. Il en use et abuse. C’est bien l’abus qui justifie qu’il faille le faire taire. Il faut déterminer avec justesse ce qu’est une oppression manifeste, s’il y a abus. Le mieux est de le faire collectivement après débat comme pour la question de la burka. Mais on ne saurait trop attendre car il y a risque de contagion sexiste . Il importe de stopper au moins provisoirement la pente du déchaînement sexiste et poser rapidement la question des modalités de la faire taire : interdiction ou boycott.

Les altermondialistes - dont je suis - défendent un projet de société qui déploie un maximum de libertés mais à la condition que ces libertés ne viennent pas appauvrir, blesser, diminuer les capacités de développement et d’émancipation de l’autre. La question est parfois complexe : on ne sait trop distinguer le prédateur de la victime. Ici c’est clair. Oreslan c’est le loup mangeur de poules. Et bien les sociétés libérales et démocratiques au plan des moeurs ne doivent pas défendre la liberté du loup dans le poulailler ! Sinon ce libéralisme prend la couleur de la domination, de l’exploitation, de l’oppression. La liberté doit s’accompagner - il convient de le répéter - d’égalité, de fraternité et plus récemment de laïcité, ce qui exclue le racisme, le sexisme et l’emprise du religieux tant "par en haut" (via les institutions) jadis, "par en-bas" (via la société civile) aujourd’hui. Les mots sont importants, c’est pourquoi les féministes emploient le mot adelphique au lieu de fraternité et sororité. C’est pourquoi, on tend de plus en plus à parler des droits humains ou des être humains et non des droits de l’Homme même avec un grand H ! Voilà pour ce qui est nouveau dans un débat fort ancien. Ernst Bloch a écrit tout un chapitre sur le triptyque républicain "liberté, égalité, fraternité". En somme la liberté ainsi encadrée permet l’émancipation de tous et toutes et non l’avidité et la cupidité d’une minorité au dépend de l’immense majorité. Il ne s’agit pas ce faisant de défendre en matière de mœurs un "ordre moral" républicain rigide. Il s’agit de bloquer le déferlement médiatique de la haine des femmes . Il faut le faire en ce sens mais aussi parce que le passif historique de la violence contre les femmes est déjà lourd.

Pas de confusion entre ordre moral et l’apologie du viol, de la violence physique et morale des femmes.

Autant la liberté des pratiques sexuelles, y compris avec l’emploi de mots crus, doit être défendue pour peu que ces pratiques soient consenties, vraiment consenties. Autant ces mêmes pratiques imposées sont condamnables. A fortiori lorsqu’elles sont à ce point sadiques.

Pas de quartier pour l’apologie de la torture ! Pas d’apologie de la barbarie !

Combattre le radicalisme machiste et sexiste des athées ou des religieux, religieux intégristes ou non est là la première chose à faire pour améliorer les rapports homme/femmes déjà historiquement alourdis des expériences ordinaires du sexisme. La seule apologie qui vaille est celle qui favorise les liens de compréhension, d’amitié, de plaisirs partagés. A chaque femme estropiée, injuriée, humiliée, blessée, pénétrée violemment et en principe sans consentement constitue un nouveau recul pour une bonne intimité entre homme et femme.


(La violence d’Orelsan lui vient d’une rupture sentimentale.)

Quitter l’autre est un droit. Un droit qu’il faut affirmer contre les pouvoirs des hommes (et parfois des femmes) et des religions. On sait que les violences contre les femmes et les jeunes filles dans le cadre familial sont monnaie courante. Elles perdurent au moment de la rupture. Il y a souvent une recrudescence des coups et des insultes à ce moment-là. Rester avec l’autre n’est absolument pas une obligation. Ce qui est affirmation basique pour certains ne l’est pas pour d’autres. Et ce aussi bien en France - et pas que dans les quartiers délaissés- que partout dans le monde.

Mais deux points essentiels méritent d’être souligné. 1 - Qui ne voit qu’ il s’agit d’un droit "dur", un droit blessant voir destructeur. On sous-estime cet aspect. 2 - Par ailleurs, il n’y a pas que le droit qui règle ce qu’il est bon de faire en société. Autrement dit, il y a des gestes et des paroles qui peuvent venir atténuer la portée du coup. Lesquels ?

Il n’y a pas de recettes toutes prêtes. Une de ses paroles qui endiguent la souffrance consiste à rassurer l’autre sur tout le bon de la relation passée (si tel est le cas).

La reconnaissance est la base radicale de bonnes relations en général et de relations ultérieures pour les personnes qui peuvent se croiser. On sait aujourd’hui mieux qu’hier les bienfaits de la reconnaissance grâce notamment à P Ricoeur et A Honneth. Il y a là une ouverture vers un "plus civilisationnel".

Il se peut que cette reconnaissance ne viennent pas spontanément ou que la demande explicite ultérieure reste pendante. Cela est problématique. A la différence d’un mort tout individu peut parler et agir. Il dispose de cette liberté. Il a aussi la liberté irréductible de ne rien faire. Mais il peut aussi faire du bien. Ce qui n’est plus problématique mais très nuisible, c’est de faire sciemment du mal, comme par exemple, de traverser la route pour ne pas saluer son ex .

Ce qui est parfaitement possible concrètement, c’est de manifester l’estime et la considération pour l’autre à travers des gestes et des paroles d’amitié et de respect mutuel. Cela suppose d’abandonner les mécanismes de défense pour s’engager sans mégoter, et tant que nécessaire, afin de faire basculer la relation vers la reconnaissance réciproque, la paix, l’avenir et in fine l’amitié.

L’amitié c’est " boire enfin de l’eau claire ! " Qui dans sa vie n’a pas eu l’occasion de devoir (au plan symbolique et non au plan alimentaire) "se contenter de boire de l’eau sale plutôt que rien du tout". C’est dire de façon imagée ce que les spécialistes de l’analyse transactionnelle signalent en disant qu’à défaut de strokes positifs nous recherchons les strokes négatifs plutôt que de subir l’indifférence.

Christian Delarue

les textes des "chansons" et les réactions : Oreslan ne doit pas chanter  ! (faute sur le nom lire Orelsan)

http://bellaciao.org/fr/spip.php?article83159


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