Origines et aspects méconnus de la conquête de l’Algérie. Partie n°2

par Nicole Cheverney
lundi 6 juin 2022

 

La question d'Orient. 

Les lois spéciales promulguées par la République et renforcées plus tard par Napoléon (Consulat) avec la loi du 30 floréal an X – (20 mai 1802) en vertu de la Constitution de l’an VIII, soumettent la gestion des colonies au régime des « décrets ». Les colonies sont régies par des commissions chargées des réformes administratives.

Le 29 décembre 1813, Joseph Vicomte Laîné (1767-1835), auteur d’un rapport auprès du corps législatif, en concluait à la recherche de la paix dans les colonies, avec des réformes consécutives aux révoltes des populations noires. Ce qui déclencha la réticence de Napoléon, peu nuancé pour ne pas dire intransigeant sur la question. L’Angleterre jamais bien loin concernant la question coloniale et la France dans le viseur permanent des Britanniques, les traités de 1815 constituent la pierre d’achoppement entre l’Angleterre et la France.

La Restauration se retrouve avec sur les bras, un Empire colonial en constante ébullition, des situations insurrectionnelles au moment où les esclaves des plantations se révoltent contre les planteurs. Inspirées par les révoltes d’esclaves des colonies américaines, le mouvement fait tache d’huile dans les territoires lointains de l’Empire français. J’y reviendrai plus en détail, notamment avec la révolte des esclaves conduite par Toussaint Louverture.

En ce qui concerne les établissements du Sénégal, ceux-ci deviennent de simples comptoirs. « La traite de la gomme et son commerce constituent une des ressources principales ».

1825-1830.

Depuis quelques années, un mouvement, le « Philhellenisme », (du grec "Philos" qui aime et Hellene - Grecs") s'étend en Europe.

De quoi s’agit-il ?

Ce mouvement réunit des personnalités « non grecques » qui prennent fait et cause pour la Grèce contre l’Empire ottoman, lorsque la guerre d’indépendance grecque éclate en 1821 jusqu’en 1832. L’admiration que l’Europe porte à la Grèce n’est pas nouvelle, elle perdure depuis des siècles, en fait depuis l’Antiquité.

Or, ce mouvement du début du XIXe siècle naît avec la guerre d’indépendance des Grecs et verra des Européens s’engager dans l’armée grecque contre les Ottomans. (423 étrangers dont 118 Français). 1

La victoire des Grecs sur les Ottomans change le regard et la perception de la France sur les colonies, et s’oriente plutôt vers l’Orient - comme nous l’indique Salaberry2.

Esprit curieux, grand voyageur, Salaberry visite l’Allemagne, l’Italie, la Turquie, avec une forte prédilection pour l’Europe orientale.

Salaberry publie en 1821, des essais sur la Valachie et la Moldavie, théâtres de l’insurrection dite Ypsilanti.

Salaberry voyage également à Constantinople, en Hongrie, en Roumanie où il peut se rendre compte de l’état social des populations de ces pays. Son ouvrage fourmille de renseignements précieux sur les « Daces « 3, et les « Zalmoxis »4. Il s’intéresse aussi aux monnaies trouvées lors de fouilles archéologiques « marquées au coin d’Amyntas5 et de Philippe de Macédoine ».

Qui est Ypsilanti ?

Ypsilanti appartenait à une famille de Grecs du Phanar, descendante des Comnènes6 de Trébizonde7. Son grand-père et son père étaient drogmans8 de la « Sublime Porte » après avoir été hospodais9 de la Valachie et de la Moldavie.

Ypsilanti mène l’insurrection contre les Turcs dans ces deux provinces danubiennes. Salaberry, très proche de Metternich reproche à Ypsilanti son appartenance aux Sociétés secrètes, et « d’adopter une éthique d’inspiration révolutionnaire ». En effet, Ypsilanti présiderait « l’Hétaïrie », (en Grec, la Filiki Eteria).

L’Hetaïrie ».

C’est une société secrète du XVIIIe et XIXe siècle qui s’inspire des idées révolutionnaires américaines et françaises. Ces idées révolutionnaires avaient pris corps dans la Grèce de l’Asie mineure, beaucoup plus que dans la Grèce « européenne » quasiment ruinée, suite au soulèvement dans le Péloponèse suscité par les Russes. Le Filiki Eteria recrute principalement ses adeptes dans les Iles Ioniennes occupées par les troupes françaises où se propagent les idées nouvelles. « L’Hétairie » multiplie ses « éphories ». Les éphories sont des cellules révolutionnaires situées dans le quarticer grec de Constantinople (le Phanar) dont est originaire la famille d’Alexandre Ypsilanti.

Or, la Sainte-Alliance contrariée par la diffusion des idées des « Lumières » ( craignant l’anti-christianisme affiché, « retranché de Dieu », qui en appelle à la Raison érigée en déesse, rejetant les lois naturelles, séparant l’humanité de l’idée d’un créateur divin), juge que des changements utiles et nécessaires du point de vue législatif et administratif sont indispensables. Aussi, le congrès de Laybach servira de fil conducteur en faveur de la constitution d’une nation moldave, valaque, roumaine, s’appuyant au besoin sur les écrits de Lord Bacon où « … l’on a besoin de lettrés », dans ces futures nations. En même temps qu’une divergence éclate à propos de la question grecque. L’insurrection d’Ypsilanti débute en Février 1821, celle de Morée (ancien nom donné à la Grèce au XVIII siècle), au mois de Mars.

Le rôle de la Sainte-Alliance.

Pour l’élite européenne, la Sainte-Alliance se substituerait aux Turcs pour « rétablir l’ordre » et serait garante de l’exécution des traités. Le rôle de la Ste-Alliance serait de jouer l’intercesseur auprès du Sultan. D'autant plus aidé pour la Ste-Alliance que « ni l’Autriche ni la Russie ne convoitent la Valachie et la Moldavie ». La Ste-Alliance serait utile au cas où les Turcs opposeraient quelques velléités d’interventions. La Sainte-Alliance serait en quelques sortes, un protectorat, la Valachie et la Modavie n’ayant pas des notions de patrie très affirmées, peu de conscience nationale. Salaberry est avant tout soucieux de préserver tout autant les intérêts valaques et moldaves que turcs.

Le Duc de Richelieu, (déjà évoqué dans la première partie de cet article et note de bas de page) en France, reste sur la réserve tandis que la presse se passionne pour l’aventure grecque et révolutionnaire d’Ypsilanti.

Bonald10 , très phillellène, et les milieux royalistes dont il est proche, s’enflamment littéralement pour la révolte des Grecs. Metternich dénonce cet engouement de la part des royalistes pour un révolutionnaire inspiré par les sociétés secrètes : « … Elles croient (les familles royalistes), sans doute en suivant cette ligne être chrétiennes, et elles oublient que ce sont les radicaux qui ont levé l’étendard de la croix, dans l’espoir de le couvrir, le jour propice, du bonne rouge. »

Quant aux duc de Fitzjames, premier gentilhomme du Comte d’Artois, il tient un raisonnement similaire aux royalistes enthousiasmés par l’aventure Ypsilanti.

« Rien ne pourra et nous être plus avantageux à la France qu’une guerre contre la Turquie. La Russie prendra ce qu’elle voudra, l’Autriche ce qu’elle pourra, et nous autres, nous reprendrons notre Belgique.  »

La question d’Orient revient à la charge et va ouvrir des perspectives inespérées à la France qui va y attacher une attention particulière.

Le Sultan se déclare prêt à évacuer ces provinces. Metternich se félicite d’un succès diplomatique, assuré que le Tsar Alexandre 1er, n’interviendra pas dans le processus. En 1823, Nesselrode11 charge Lord Strangford (l’ambassadeur d’Angleterre à Constantinople et qui représente les intérêts russes auprès de la Sublime Porte), de remettre au Sultan une note lui rappelant tous les non-respects de la Turquie en matière d’accords conclus. Cette note qui n’est rien d’autre qu’un ultimatum, permet à Metternich de faire pression sur le Sultan.

Alphonse de Chateaubriand, alors ministre des Affaires étrangères, chargé d’appuyer ces démarches par le chargé d’affaires à Constantinople n’y attache pas une grande importance, et il faudra attendre début Janvier 1824, pour que Chateaubriand se penche réellement sur la question d’Orient.

En Juin 1824, le Général Armand-Charles de Guilleminot est nommé ambassadeur à Constantinople. Voilà tracées les premières lignes de la question d’Orient qui va occuper toute la première moitié du 19eme siècle de la diplomatie française et aller crescendo. Elle va trouver son apogée avec la conquête de la Régence d’Alger et le débarquement des troupes françaises à Siddi-Feruch en 1830.

 

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Cet article a pu être rédigé à partir de la thèse de Pierre Gourinard, Historien, Docteur-ès-Lettre, intitulée « Les royalistes français devant la France dans le monde », présentée à l’Université de Poitiers en 1987 et de l’ouvrage du même auteur, édité en 1992 chez Lacour-Editeur, (préface de Jacques Valette professeur de l’Université de Poitiers).

Sources bibliographiques complémentaires pour les parties 2-3 et suite :

Encyclopédies Alpha, Larousse, Quillet.

Histoire de la civilisation Will Durant.

Le destin tragique de l’Algérie française – Collection dirigée par P. Miquel.

 

1Sources Internet chez Wikipedia

2 Charles-Marie Salaberry, Comte puis marquis d’Yrrumberry (1766-1847) est originaire de la Havane. Son père est mort sur l’échafaud.

3Daces – Habitants de la Dacie, ancien pays d’Europe compris entre la Theiss, le Danube et Pont-Euxin, le Dniestr et les Karpates. Les Roumains sont les descendants des Daces.

4Zalmoxis – figures religieuses de l’antiquité thrace.

5Amyntas – Rois de macédonie. Amyntas III fut le père de Philippe II de Macédoine.

6Comnènes : Famille byzantine ayant donné 6 empereurs d’Orient dont les dynasties s’étalent de 1057 à 1461.

7Trébizonde ou Trébyzonde ou Trabzon : ville de Turquie située sur la Mer noire – Capitale d’un Empire fondé par les Comnènes.

8Drogmans ou Tardjoumans : inteprète officiel auprès d’une ambassade à Constantinople et dans tout le Levant.

9Hospodais : mot slave, ancien prince vassaux du Sultan, principalement en Moldavie et en Valachie.

10Phanar : quartier grec situé à Constantinople.

11Nesselrode : Charlobert, comte de Nesselrode, diplomate russe néà Lisbonne en 1780 et mort en 1862, il dirigea la politique extérieure russe sous le Tsar Alexandre 1er, et Nicolas 1er, de 1816 à 1856.


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