Où vont les admirateurs de Poutine ?

par Jean Dugenêt
jeudi 31 mars 2022

Depuis le début de l’invasion ukrainienne, les admirateurs de Poutine nous abreuvent de la propagande venant tout droit du Kremlin. Plus les protestations contre cette manifeste agression se font entendre à travers le monde, et notamment en Russie, plus les ploutinolâtres nous font part de leur admiration inconditionnelle pour leur héros. La plupart d’entre eux n’ont jamais émis la moindre critique le concernant. Souvent ceux-ci se disent de « gauche ». Nous sommes en droit d’attendre de personnes qui prétendent être plus ou moins socialisantes qu’elles nous expliquent pourquoi elles admirent un archi-milliardaire qui a en plus accumulé sa richesse par des méthodes de gangster comme les 60 autres oligarques russes. Avant même de parler de la crise ukrainienne, il y a lieu, pour le moins, d’avoir des jugements nuancés sur cet individu. Or, de nuances, nous n’en trouvons aucune. Nous ne trouvons que des louanges pour des actes quelque peu critiquables. Il a décidé d’envahir un pays. Que tous ceux qui approuvent cela nous disent s’il y a d’autres cas où ils approuvent l’invasion d’un pays !

Nous n’avons jamais vu autant de personnes et de soi-disant militants « de gauche » vanter les mérites d’un dictateur sauf à revenir aux sombres années où le stalinisme triomphant avait étouffé le mouvement ouvrier mondial. Nous pensions que les organisations ouvrières s’étaient relevées depuis longtemps de la répression conjuguée du nazisme et du stalinisme. Or, il semblerait que nous revenions à ces sombres années : quand il était minuit dans le siècle et que, non seulement l’avant-garde, mais toutes les organisations ouvrières et démocratiques avaient été physiquement liquidées dans les deux bastions de la lutte pour le socialisme qu’étaient l’Allemagne et la Russie. Certes, précédemment le cas de Bachar el-Assad avait lui aussi suscité l’admiration de toute l’extrême-droite mondiale rejointe par cette même « gauche » issue du chavisme et des débris du stalinisme. Les uns et les autres se retrouvent à nouveau ensemble sans aucune gêne.

Voici ce à quoi se réduit, pour l’essentiel, la misérable argumentation des ploutinolâtres :

Que leur reste-t-il pour justifier les abominations de ce dictateur ? Bien peu de choses si ce n’est d’exhiber à satiété que d’autres font pire. Est-ce que la censure et la répression des uns pourraient être justifiées par celles qui sont pratiquées ailleurs ? Est-ce qu’une propagande nous rapproche plus de la vérité qu’une autre propagande ? Est-ce qu’un massacre est plus joli qu’un autre ? Est-ce qu’une invasion est plus justifiée qu’une autre (je me répète) ? Bien sûr que non !

Soyons plus précis ! Ce n’est que depuis peu de temps que Poutine apparaît sur la scène internationale comme étant à la tête d’une puissance impérialiste venant concurrencer les USA/OTAN. Que personne ne se fasse trop d’illusions en ce qui concerne le rapport de forces militaires ! Le budget « de la défense » de la Russie et environ 10 fois moins important que celui des USA. Quand on entend, par exemple, Asselineau dire avec emphase que la Russie est la première puissance nucléaire au monde, il faut sérieusement relativiser et ne pas se contenter de compter les têtes nucléaires (7 290 et 7 000). L’armée de Poutine est très efficace pour raser des villes comme Grozny, Alep ou Marioupol quand la population n’a pas d’armes pour se défendre contre les avions et les canons mais il est évident que « l’opération militaire spéciale » de Poutine trouve quelques difficultés face à un pays qui n’a aucune prétention à posséder une grande armée. Cela incite à relativiser à propos de la puissance militaire de l’URSS. Cependant, Poutine vient agir en contre-révolutionnaire sur l’arène mondiale de la lutte des classes à côté des USA. Il a participé à la répression de la révolution syrienne et à celle du mouvement populaire au Kazakhstan. Il vient en même temps concurrencer les USA pour le partage du monde, pour la distribution des « zones d’influences », du capital financier, de la redistribution des restes du colonialisme (le néo-colonialisme) … Il vient notamment de s’imposer au Proche-Orient au moment où les USA sont en échec par rapport à leurs objectifs d’occupation de 2001 et 2003 de l’Afghanistan et de l’Irak. Leur départ précipité d’Afghanistan en août 2021 en est la preuve la plus éclatante.

Bien évidemment, les USA ont derrière eux une bien plus longue expérience que Poutine dans cette lutte de conquêtes, de pillages, de brigandages et il est certain, dans ces conditions, que les USA ont fait bien pire que Poutine. Ce n’est que depuis la révolution syrienne que Poutine s’est positionné comme un concurrent des USA en tant que contre-révolutionnaire cherchant à augmenter son territoire et sa zone d’influence. Avec un passé aussi récent, il est loin d’avoir accumulé un « palmarès » à la hauteur de celui des USA.

En quoi cela pourrait-il justifier que Poutine s’y mette à son tour ? Il exhibe sa volonté de reconquérir la Grande-Russie. Comme tous les autres dictateurs qui l’ont précédé avec de tels objectifs, il commence par vouloir s’accaparer tous les territoires où la population est russophone. Nous reconnaissons notamment la démarche d’Hitler qui annexait en priorité l’Autriche puis les Sudètes et commençait à promettre que ses volontés d’extension seront limitées pour renier ensuite toutes ses promesses notamment, plus tard, celles du pacte Hitler-Staline.

Pour l’heure, il semblerait que Poutine, au cours des négociations, ait manifesté quatre exigences :

— Une Ukraine démilitarisée.

— L’inscription de sa neutralité dans sa Constitution

— La reconnaissance du rattachement de la Crimée à la Russie

— L’indépendance des Républiques de Donetsk et Lougansk.

Il n’y a cependant pas lieu de se tromper sur ses objectifs à plus long terme. L’objectif avoué lors de l’invasion était l’annexion de toute l’Ukraine même si Poutine a évolué depuis dans ses déclarations. De plus, il ne revient nullement sur ses intentions clairement affichées de reconquête de la Grande-Russie. C’est bien dans une lutte de conquête impérialiste qu’il est engagé depuis plusieurs années. Rappelons son palmarès :

Le 6 février 2000, Grozny, la capitale de la Tchétchénie est rasée par les troupes russes de Poutine. Celui-ci remet la Tchétchénie au pas. Elle devra se satisfaire du nationalisme Grand-Russe.

Août 2008, après avoir installé l’armée russe en Géorgie à l’issue d’une guerre, Poutine annexe l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie. La reconquête continue !

Mars 2014, Poutine annexe par la force une partie du territoire ukrainien : la Crimée.

Mai 2014, dans la foulée de l’annexion de la Crimée, Poutine apporte son soutien politique, économique et militaire (hommes et armes) à la Nouvelle Russie (novorossia), nommée Union des Républiques populaires du Donbass.

Le 30 septembre 2015, Poutine décide d’aider le dictateur syrien, El-Assad, afin qu’il écrase la révolution syrienne. La Syrie va-t-elle devenir une province russe ?

6 janvier 2022. Les troupes de Poutine viennent briser le mouvement de protestation populaire au Kazakhstan. Elles procèdent à 8 000 arrestations.

Depuis janvier 2022 et sans doute même auparavant, les troupes russes se sont massées à demeure en Biélorussie où sévit d’une main de fer un satrape illégitime, allié de Poutine : Loukachenko.

— Le 24 février 2022, Poutine décide d’annexer la totalité de l’Ukraine, et déclare le Président de l’Ukraine, Zelensky, son ennemi n°1. Outre les bombardements, il envoie 10 000 mercenaires tchétchènes sous les ordres de Kadirov, le célèbre criminel de guerre ainsi que les célèbres commandos Wagner.

Avec cette dernière provocation, Poutine lance la menace de guerre nucléaire. Les poutinolâtres inversent immédiatement les rôles en expliquant que ce sont ceux qui refusent de céder à toutes les exigences de Poutine qui sont responsables du risque de guerre nucléaire alors que nous savons tous que Poutine n’a nullement l’intention de s’arrêter-là.

Les ploutinolâtres veulent aussi nous donner des leçons en matière de liberté et de démocratie. Le comble c’est qu’ils pratiquent eux-mêmes la censure dès qu’ils en ont les moyens, notamment sur Agora Vox où ils se vantent d’agir pour éliminer les articles de ceux qui condamnent l’invasion de l’Ukraine. Ainsi, un des intervenants m’envoie une menace à peine voilée. Le 25 mars à 13:08, il écrit :

« De plus vous pouvez apparemment, curieusement et facilement vous exprimer. Ce qui prouve que vous ne dérangez pas trop. Profitez-en ! »

A l’évidence, ceux qui pratiquent cela ne cherchent pas en priorité la confrontation des idées par le libre débat démocratique. Ils admirent Staline et Poutine. Ils prônent assurément des stratégies qui s’inspirent de celles de leurs héros.

Les mêmes nous expliquent que les grands médias français font de la censure et de la propagande. Ils se fatiguent inutilement. Nous sommes convaincus depuis longtemps. Je me permets à ce sujet de faire un peu de publicité pour mon livre intitulé « Macron démission — Révolution ». J’y explique notamment que c’est seulement par une opération médiatique que des milliardaires ont fabriqué le personnage Macron. Inutile d’enfoncer des portes ouvertes. Le chapitre 3 de ce livre est intitulé « un régime totalitaire et fascisant ». C’est dire que je suis loin de penser que notre régime politique en France est vraiment démocratique.

Cependant, dans mon livre je ne dis pas que le régime politique de la France est une dictature. La nuance avec « régime totalitaire et fascisant » n’est pas négligeable. Si je parle de la Russie de Poutine, je parle en effet de dictature. Poutine et sa police font en sorte qu’il soit matériellement impossible de manifester. S’il y a le moindre risque, un énorme déploiement policier permet de contrôler toute personne qui met le nez dehors et une quantité de simples passants sont envoyés immédiatement en prison de manière complètement arbitraire. Un étudiant a peu de chance, dans ces circonstances, de ne pas être envoyé en prison s’il est contrôlé. C’est à ce prix de la suppression totale de la liberté de manifester que Poutine a pu faire en sorte de limiter les manifestations contre l’invasion de l’Ukraine. Il faut saluer le courage des russes qui ont tout de même réussi à se faire entendre. Sur ce point il est préférable d’être en France. Les gilets-jaunes ont pu manifester même si ce fut au prix de bien des blessés.

En ce qui concerne la censure en France, on est loin de ce qui se passe en Russie où les mots « invasion » ou « guerre » sont interdits quand on parle de l’Ukraine, où il est interdit de contester que l’opération militaire spéciale se déroule exactement selon les modalités prévues.

Le comble c’est qu’il se trouve des intervenants pour nous abreuver sur Agora Vox d’articles qui ne sont que des traductions de cette propagande. Ceux-là expliqueraient bien que ceux qui condamnent l’invasion de l’Ukraine sont abreuvés par la propagande occidentale.

Une fois que tout cela est dit, nous avons seulement placé les bases qui permettraient de discuter sainement de ce conflit et de ses développements possibles. Je me contenterai de finir avec une pointe d’optimisme à ce sujet. Le retour à la paix pourra se faire par l’irruption de la classe ouvrière dans les pays concernés (Ukraine et Russie) et dans le monde entier. De ce point de vue, la situation se présente beaucoup mieux pour les ukrainiens que pour les syriens qui se sont fait massacrer (entre 350 000 et 500 000 morts) sous une lamentable indifférence et avec le consentement des admirateurs d’el Assad. Ce sont évidemment les mêmes que nous retrouvons aujourd’hui pour admirer Poutine. L’autre facteur positif, avec le soutien international, est l’armement de la population ukrainienne et son auto-organisation.

Le gouvernement a créé 150 « bataillons de défense territoriales  ». Sur le site web « La Tribune », Julien Théron écrit le 21 février 2022  :

« Les « bataillons de défense territoriale », (…) maillent l'ensemble du territoire. Dans ces unités de civils entraînées par l'armée, les citoyens apprennent comment conduire des tactiques de guérilla avec leurs propres armes contre des forces étrangères. Ces bataillons posent un sérieux défi à toute occupation.

Enfin, la population ukrainienne elle-même, profondément mobilisée en défense de la nation depuis la prise de la Crimée et la guerre dans le Donbass, a démontré une grande résilience. Un expert militaire à Kiev définit ce concept non comme de la passivité mais, au contraire, comme un comportement proactif. (…)

Du soutien matériel aux troupes à l'action directe, la société ukrainienne, traditionnellement autonome vis-à-vis de son propre gouvernement, est un sérieux atout pour mener une guerre de résistance  ».

Ces « bataillons » sont autonomes. Ils ne sont pas sous l’autorité du gouvernement de Zelensky. Au grand dam de bien des réactionnaires d’autres armes arrivent pour équiper la population. Déjà, les réactionnaires de tout poil qui craignent comme la peste la perspective d’un mouvement révolutionnaire s’inquiètent. Le gaulliste Asselineau nous fait part à ce sujet de l’angoisse de tous les contre-révolutionnaires (Ecouter à 2mn40s sur cette vidéo) :

 « Il n’y a rien de plus dangereux que d’armer une population qui ne sait pas manier les armes et de donner ça alors même que le pouvoir central d’un pays est en pleine déliquescence ».

Il a entièrement raison mais ce que les réactionnaires considèrent comme un danger est une source d’espoir pour les révolutionnaires. Il est possible que la classe ouvrière en Ukraine devienne incontrôlable par les appareils politiques et que les travailleurs prennent en main leur destinée, qu’ils fassent émerger leur propre pouvoir. Bref ! Une révolution ukrainienne est envisageable. Il faut œuvrer dans ce sens en Ukraine, en Russie et dans tous les pays.

Une population qui est menacée par une invasion tente en général de s’organiser pour assurer les taches nécessairement socialisées : organisation et distribution des approvisionnements en denrées alimentaires et en eau, organisation des secours et des soins aux malades et aux blessés, collecte et transmission d’informations pour les combattants, diffusion des informations sur le net et pour la presse étrangère... Des structures de pouvoir se mettent ainsi en place pour coordonner et fédérer les comités constitués à la base. Un comité unique apparaît finalement pour représenter tout le pays et venir s’opposer puis se substituer au pouvoir du gouvernement Zelensky « en pleine déliquescence ». C’est le chemin classique qui transforme une guerre en une révolution.

Je rappelle pour finir la position des internationalistes : 

— Troupes et matériel militaire des USA et de l’OTAN : hors d’Europe !

— Troupes russes : hors d’Ukraine !

— Troupes françaises : hors d’Afrique !

— Aucune vente d’armes par la France à l’Arabie Saoudite (guerre au Yémen) !

Les travailleurs et les jeunes qui sont confrontés à des occupations militaires crient toujours le même slogan que ce soit en français, en russe ou en anglais :

Rentrez chez vous ! Damoï ! Go home !

 

L’opération militaire spéciale en Ukraine se déroule exactement selon les modalités prévues. Elle a coûté la vie à quelques officiers supérieurs de l’armée russe :


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