« Ouf, on a évité le fascisme ! »

par Alexandre PAGE
mardi 26 avril 2022

Ainsi donc, sans grande surprise (sans grande surprise compte tenu de l’idylle macroniste née entre les deux tours de la droite jusqu’à l’extrême gauche), Emmanuel Macron rempile pour un second mandat de président de la République française au son de l’hymne européen. On aura bien compris que depuis qu’il est «  président de l’Europe  », la France lui est une chaussure trop petite. Il est réélu avec 58 pct des suffrages exprimés, une victoire d’apparence confortable, mais qui a tout de la Bérézina en vérité. Les chiffres sont là : une abstention comme plus vue depuis belle lurette, 42 pct des électeurs d’Emmanuel Macron qui ont voté pour lui dans le but de faire barrage à Marine Le Pen, Marine Le Pen qui dépasse pour la première fois les 40 pct lorsque son parti voici vingt ans ne faisait pas 20 pct au second tour de la présidentielle. Si l’on ajoute la perte totale des outremers pour le président sortant et les 63 pct de Français qui lui souhaitent une cohabitation, on peut comprendre le silence de mort qui a accueilli en guise de fête sa réélection. Finies les liesses d’antan, finies les grandes espérances, finie la gloire de jadis, en 2022, son élection conclut une campagne médiocre et en porte tous les stigmates.

 

Néanmoins, le revoici aux commandes pour cinq ans avec ce que cela signifie d’ores et déjà : les soignants suspendus ne seront pas réintégrés (15000, rappelons-le), la retraite à 65 ans va arriver sur la table très vite (Elizabeth Borne répète qu’il «  faudra la faire » et Bruno Le Maire annonce déjà l’emploi probable du 49.3 si l’assemblée ne joue pas son rôle de vieille godille de l’exécutif), et les mesures d’exception, notamment concernant le prix du carburant régulé, commencent également déjà à sentir la charogne, le gouvernement ne souhaitant plus ménager les Français avec ces «  coûteux cadeaux électoraux  ». Mais les Français ont choisi, ils ont adoubé en connaissance de cause leur président, ils ne seront probablement pas hypocrites au point de s’alarmer à présent de ce qu’Emmanuel Macron ne leur a pas caché. En revanche, certains révèlent déjà le pire visage de l’hypocrisie française. Ceux qui voici deux semaines appelaient de manière unilatérale à faire élire Macron, se retrouvent dix minutes après son élection à crier comme de beaux diables qu’il faut leur donner la majorité à l’assemblée pour qu’ils puissent jouer leur rôle de première opposition au pouvoir macroniste. Pardon  ? Ceux qui percent le navire France veulent maintenant écoper l’eau qui s’infiltre partout  ? Et recevoir une paye de député et de 1er ministre pour cela  ? Car oui, tous les partis qui hier appelaient à faire élire Macron sont désormais tournés vers les élections législatives, le fameux «  3e tour  », et après ce bref intermède à cirer les bottes du futur président, les revoici en «  Zorro  » des Français, prêts à les sauver de «  l’hydre monstrueuse  » devant laquelle pourtant ils ont incliné le genou. «  Votez Macron les amis, votez Macron et faites de moi son 1er ministre  !  », «  Votez Macron les amis, votez Macron, c’est moi son opposant légitime  !  », voilà ce qu’en substance les Français ont pu entendre ces derniers jours. Quelle bouffonnerie  !

 

Alors je sais bien, certains vont dire qu’il fallait choisir entre les camps de concentration, le retour des SS, la réouverture de Drancy, la francisque sur le drapeau tricolore et la retraite à 65 ans, les frais universitaires à l’américaine et le RSA payé moins que le SMIC horaire. D’après Alain Jakubowicz, il fallait carrément se souvenir de la Shoah au moment de mettre son bulletin dans l’urne, car oui mesdames messieurs, on a échappé au grand retour de la Gestapo  ! En clair, il fallait choisir entre le 4e Reich et la Macronie… Ne riez pas, certains le pensent vraiment  ! Ne riez pas, il y a eu des millions de Jean Moulin du XXIe s. dimanche dernier  ! La France n’en a jamais autant compté, on se demande comment elle peut aller aussi mal  ! Aussi, beaucoup n’ont pas eu le choix. Oui, c’était dur pour ce grand-père de 78 ans d’imposer la retraite à 65 ans à son fils, mais il a évité à son petit-fils d’être embrigadé dans les jeunesses mariniennes. Oui, c’était compliqué pour ce jeune de 18 ans qui votait pour la première fois de se mettre un emprunt de 100000 euros sur le dos pour ses études, mais il ne verra pas des milliers de ses camarades partir dans des trains dans la nuit et le brouillard. Oui, c’était pénible pour ce fidèle électeur marxiste de voter Macron, mais que voulez-vous, on ne peut pas approuver Staline et Hitler à la fois  !

Bref, chacun de ceux qui hier ont voté Macron pour le pourrir aujourd’hui a une bonne excuse, et se glissant sans scrupule dans la peau du parfait petit maquisard luttant contre le fascisme dimanche, il prend à présent son fusil contre «  l’affreux, vilain, terrible, méchant, dangereux Macron  ». Pendant cinq il va manifester, trépigner, il va gémir, il va pleurer… Mais allons que diable, c’est le prix à payer de votre lutte héroïque contre le fascisme  ! Soyez fiers et heureux  ! De quoi vous plaignez-vous, vous avez sauvé la France  ?! Ces plaintes ont d’ailleurs déjà commencé, les castors juniors rois du barrage, élevés dans les plus beaux amphithéâtres de nos universités ont manifesté hier et larmoyé, le gaz lacrymogènes dans les yeux. Mais allons, vous avez lutté contre le fascisme, pourquoi manifestez-vous  ? Vous avez ce que vous avez réclamé, vous avez ce que vous saviez que vous auriez, car vous l’avez depuis cinq ans. Vous n’aimiez pas Didier Lallement, vous n’aviez pas digéré sa Légion d’honneur, vous lui réclamiez vos yeux et vos mains perdus, mais vous l’avez conforté gracieusement en combattant le fascisme. Pourquoi vous plaindre  ?

Des voix d’électeurs macronistes commencent déjà à s’élever, prétendant combattre Macron, prétendant l’empêcher d’appliquer son programme en recourant à la cohabitation. Des électeurs macronistes commencent déjà à vouloir tirer la couverture de la lutte vers eux. Voilà qui me rendrait presque Emmanuel Macron sympathique  ! Après tout, il défend ses intérêts, il profite de la bêtise et de la médiocrité ambiante, il arrive à emmerder les Français et à recevoir gracieusement leurs voix  ! En revanche, ceux qui tout en le faisant élire veulent maintenant jouer les «  sauveurs  », ceux-là sont d’insupportables hypocrites, des faux jetons de la pire espèce, la lie d’une politique française pourtant déjà très fangeuse  ! «  Les Français ne m’ont pas élu président, bah, ce n’est pas grave, je vais faire voter Macron et tenter de devenir son 1er ministre.  » Ainsi chers Français, avec la grande ambition d’empêcher celui qu’ils ont appelé à faire élire de mettre en place son programme, tous les partis, de l’extrême gauche à la droite, vous demande de leur donner au moins 289 sièges à 7240 euros net par mois pendant cinq ans soit un peu plus de 125 millions d’euros pour le quinquennat. Sachant que les mêmes vous auront déjà pris à peu près la même somme pour avoir fait une campagne de 1er tour conclue par le magnifique «  Votez Macron  » qu’ils auraient pu prononcer dès le premier jour avec le souci de vous faire faire des économies.

 

Les législatives, c’est dans un mois. Aux Français de savoir s’ils veulent donner à Macron une opposition fantoche qui s’est compromise avec lui, une véritable opposition qui s’est opposée à lui ou une majorité. À chacun de décider en conscience ou en inconscience, mais dans tous les cas, on pourra se consoler en sachant que ce 14 juillet, les croix gammées sur fond rouge ne se détacheront pas sur l’Arc de Triomphe. Ouf, on a évité le fascisme  !

 

Alexandre Page, docteur en histoire de l’art et écrivain 


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