Oui, à l’intégration qui prolonge la laïcité ! Non, au multiculturalisme !
par guylain chevrier
mercredi 18 décembre 2013
Le rapport sur l'intégration remis récemment au Premier ministre suscite la polémique. Celui-ci préconise notamment : l'autorisation du voile à l'école ; la création d'un « délit de harcèlement racial », terme assez flou ouvrant une nouvelle porte au délit de blasphème ; une "cour des compte de l'égalité" où le terme égalité cache en réalité la promotion de la discrimination positive ; de revoir les programmes scolaires en remplaçant l’histoire à caractère universel par une histoire centrée sur les identités, pour intégrer chacun selon sa différence en faisant rentrer dans l’école toutes les divisions sur un fondement ethnico-identitaire et religieux… En 2012, Jean-Marc Ayrault avait souhaité un "renouvellement en profondeur des questions d'intégration".
On parle dans ce rapport de la fin de l'intégration et son remplacement par une politique d'inclusion sociale s'appuyant sur les communautés, les individus étant pris en compte selon leur filiation à un groupe culturel, religieux ou ethnique, en rapport avec l’origine. C’est le préalable à l’installation d’une société multiculturelle dont on connait les résultats. Madame Merkel en Allemagne ou Monsieur Cameron au Royaume-Uni, ont parlé il y a peu à ce propos d’échec dans leur propre pays. S’il existe en France le développement d’un certain multiculturalisme, c’est d’un point de vue sociologique et plutôt que de l’encourager, il s’agit de le modérer pour éviter qu’il ne tourne à l’enfermement communautaire, au communautarisme.
Une société fondée sur la séparation selon les différences identitaires, par les divisions qu’elle entraîne, rend bien difficile le mélange entre populations de diverses origines. C’est le risque d’une logique des identités suicidaire pour la qualité de notre vivre-ensemble, qui prédestine les individus à des groupes selon une origine, une culture, une religion, les assignant par avance à une appartenance qu’ils ne seraient pas en position de choisir. De plus, les individus qui se réunissent sur un fondement culturel ou religieux, forment des groupes distincts qui deviennent vite des groupes rivaux. C’est à cela que l’on assiste à travers les affrontements communautaires qui se déroulent régulièrement dans la banlieue londonienne et qui agitent combien de conflits dans le monde.
Cette vision questionne avec beaucoup de gravité notre pacte républicain que le principe d’intégration prolonge, car ce pacte est fondé avant tout sur le principe d’égalité devant la loi de tous quelle que soit l’origine, la couleur ou la religion. La France favorise le mélange à considérer les individus d’abord comme des égaux, à placer le principe d’égalité au-dessus des différences. Si on veut que notre pays reste une terre d’accueil et d’asile, la première au monde d’ailleurs, il faut que cela soit sur le fondement des Droits de l’homme dont l’article premier est sans ambiguïté à cet endroit : « Les hommes naissent et demeurent libre et égaux en droit. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Quel magnifique programme que celui-là, que le principe d’intégration relaie.
On ne peut que s’inquiéter de voir un tel rapport, commandé par un Premier ministre socialiste en libre accès sur son site, remettre à ce point en cause la laïcité. Une laïcité qui a été le marqueur historique de l’identité de la gauche socialiste avec la question sociale. N’est-ce pas Terra Nova, think-tank proche du parti socialiste, qui propose à présent la mise en œuvre en France du Community organizing. Autrement dit, par exemple, l’organisation de comités de quartier réunissant des représentants choisis sur le fondement de leur appartenance à des minorités visibles !
Ce rapport qui remet en question la laïcité à l’école, arrive après la disparition du Haut Conseil à l’Intégration et la création d’un Observatoire national de la laïcité qui explique qu’il n’y aurait aucun problème en France avec la laïcité. Une vision incompréhensible pour les militants laïques qui savent quelles tensions traversent la société sur ce sujet. On sait où la démarche de ce rapport en faveur du droit à la différence nous entraine, à la généralisation de la différence des droits ! Chaque groupe communautaire ainsi constitué demande pour lui-même des droits particuliers sous le signe de la concurrence avec les autres groupes, selon une logique de surenchère qui se monnaye auprès des hommes politiques. On oublie un peu facilement qu’il en va de la liberté individuelle de chacun ici, et que cette façon d’envisager les choses est la certitude qu’elle ne soit plus respectée, derrière des communautés dont les chefs parlent au nom des autres. Veut-on ainsi faire de ces personnes des citoyens de seconde zone qui ne seraient plus libres de leurs propres choix ?
Vouloir supprimer le principe d’intégration accusé de tous les maux, n’est-ce pas chercher à faire sauter une sorte de fusible face aux problèmes que pose une économie en crise face à laquelle on semble ne plus savoir quoi faire pour assurer l’avenir ? On rabat sur l’intégration la responsabilité de la mise ne panne pour une part de l’ascenseur social alors que les responsabilités sont ailleurs.
Le modèle républicain est un formidable moteur à intégrer. Le fameux creuset français a permis à des générations d’immigrés de trouver toute leur place dans notre société, mais pas à n’importe quelle condition. L’adhésion aux valeurs républicaines, Liberté-Egalité-Fraternité, fonde dans le Code civil la possibilité de la naturalisation. Il en va du fait que l’égalité de traitement de chacun devant la loi reste supérieure aux particularismes de toutes sortes, qui, dans la sphère privée ne connaissent pas d’entrave à partir du moment où ils respectent la dignité de l’être humain et ses droits fondamentaux.
Cette division multiculturelle qui nous est proposée ne peut que favoriser l’éclatement des forces sociales qui seraient ainsi rendues incapables, face à un libéralisme qui s’en frotte par avance les mains, de se mobiliser pour défendre des acquis ou en conquérir de nouveaux. On voit ici tout l’enjeu d’un tel rapport et ses conséquences désastreuses s’il venait à entrer dans la réalité. Nous espérons que les déclarations rassurantes du Premier ministre sur ce sujet, ne donnant qu’un caractère d’information voire informel à ce rapport, seront suivies du fait que ce dernier tombe au plus vite dans l’oubli. Ceci, afin que nous revenions aux véritables enjeux de société qui préoccupent les familles et de façon plus générale, tous ceux qui vivent sur notre sol, relativement à la place et au rôle qu'y tient notre laïcité républicaine.
Guylain Chevrier
Crédit photo : Liberté Egalité Fraternité, Hôtel de Ville d'Avignon (CC BY 2.0), par Elliott Brown