Outreau : responsabilité des magistrats, des médias et des citoyens

par sevand
jeudi 16 mars 2006

Lors de la Commission parlementaire dite « d’Outreau », nous avons vu les médias faire leur mea culpa (même si leurs auditions ont été moins médiatisées que celles des magistrats). Mais il ne faut pas tomber dans les mêmes travers que ceux qui critiquent les autres sans nuance. Dans cette affaire, chaque acteur a sa part de responsabilité, ainsi elle révèle de façon encore plus impressionnante les points faibles de notre société toute entière.

 

 

Certes, la Justice constitue, pour la plupart de nos concitoyens, un grand mystère. Cette opacité, véhiculée depuis des siècles, a contribué à entretenir incompréhension, peur, hostilité, voire fantasme.

 

Cette situation peut sembler paradoxale, dans la mesure où les tribunaux ne font qu’appliquer les lois, votées par les citoyens (même si c’est indirectement), et que « nul n’est censé ignorer ».

 

L’image du magistrat hors de la cité, dans sa tour d’ivoire, est toujours présente alors que la Justice s’est ouverte au regard extérieur (intervention des magistrats auprès des représentants élus, dans le cadre des CCPD, intervention de magistrats dans les écoles, Journées de la Justice, plaquettes d’explication disponibles dans toutes les juridictions, présence de scolaires aux audiences...).

 

Les magistrats font des efforts pour expliquer leur travail et ses conditions. Aujourd’hui (dans les petites juridictions que je connais), des victimes sont reçues lorsque leurs plaintes sont classées sans suite (pas dans toutes les affaires, mais dans les affaires les plus difficiles psychologiquement)...

 

Nous sommes loin de la Justice de caste, que certains aiment encore décrire, mais pourtant l’idée que les magistrats sont assoiffés de pouvoir et qu’ils se lèvent le matin en se demandant qui ils pourront mettre en prison dans la journée est encore vivace, hélas ! Finalement, on peut se demander si ce n’est pas rassurant pour nos concitoyens de penser que les magistrats sont « des monstres » !

 

 

Pour continuer sur cette idée, il faut également évoquer les médias à qui on reproche de vouloir faire du « sensationnel » au mépris de la vérité et de leur déontologie. Se multiplient aujourd’hui les contre-enquêtes, les débats sur des affaires, parfois non encore jugées.

 

Mais si ces médias font ce genre de documentaires, n’est-ce pas parce que les citoyens ont soif de cette réalité sordide ? Ce voyeurisme n’est-il pas une façon de se rassurer sur sa « normalité » (le monstre, c’est l’autre) ?

 

Les gens ne supportent plus de « ne pas savoir ».

 

Comme dans les films, une information doit contenir les faits, les personnages et leur psychologie, l’intrigue et le dénouement ! Tout ça en cinq minutes, au journal de 20 heures, avec si possible des détails le plus scabreux possible. Les journalistes se lancent donc dans des hypothèses, des supputations, des sous-entendus, pour satisfaire ce spectateur (lecteur ou auditeur) qui, comme dans la vie, ne supporte plus l’attente !

 

Après, plus rien ne peut être retenu, les gens descendent dans la rue car un fait divers s’inscrit dans je ne sais quelle idéologie subversive... Et que veulent ces citoyens ? Des coupables !

 

 

Si on n’a que la Justice qu’on mérite, on a également les médias qu’on mérite !

 

 

 

Toute cette affaire est, me semble-t-il, sans précèdent dans l’histoire de notre société.

 

Mais je suis inquiet, inquiet de voir la suite qui va être donnée par nos politiques, et quand on entend un candidat à la présidence dire qu’il faut faire « payer un juge », que ce même candidat demande à ses policiers d’arrêter n’importe qui pour « trouver des coupables » dans la « fameuse crise des banlieues », alors qu’il s’avéra par la suite qu’aucune charge ne pouvait être retenue contre eux, quand on voit qu’un magistrat s’est fait sanctionner pour avoir osé écrire dans un journal ce qu’il pensait des causes de cette crise, j’ai peur...

 

 

J’ai peur que les politiques, par leurs lois ou leurs propos, ne concourent à cette catastrophe qu’est la défiance envers les institutions. Je ne suis pas sûr qu’ils aient à y gagner (sauf peut-être quelques sombres intérêts personnels...).

 

 

Ne tombons pas dans cet abyme qu’ouvre l’émotion suscitée par telle ou telle affaire, dont nous ne connaissons que ce que nous voulons bien entendre !


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