Outreau : un débat et non « une polémique » sur une institution judiciaire dévoyée

par Paul Villach
lundi 27 avril 2009

Ils sont incorrigibles, ces médias officiels ! Ils ne trouvent pas d’autre mot que le terme de « polémique » pour qualifier les réactions suscitées depuis vendredi 24 avril 2009 par « la réprimande  » que le Conseil Supérieur de la magistrature a adressée au juge Burgaud pour avoir été l’un des principaux magistrats à avoir infligé une détention provisoire d’un à trois ans à quatorze innocents, dont l’un en est mort en prison, dans « l’affaire d’Outreau ».

 
Libération.fr titre le 24 avril « Outreau : la polémique enfle sur la « réprimande » au juge Burgaud  ». Le Monde.fr sans sourciller le plagie le lendemain : «  Affaire Outreau : la polémique enfle après la "réprimande" infligée au juge Burgaud ». Le Nouvel Obs.fr du 26 avril ne sait que répéter à son tour : « La polémique autour de la décision du CSM enfle.  », tout comme l’Express.fr du 26 avril qui annonce : «  Polémique autour de la sanction du juge Burgaud  ». C’est à croire que ces médias sont atteints de psittacisme !

Un débat démocratique et non « une polémique »

Où a-t-on vu qu’il s’agit d’une polémique, avec la charge d’excès, de mauvaise foi ou de critique stérile que ce mot charrie par sa seule étymologie pour discréditer toute opinion contraire ? Les journalistes d’aujourd’hui, ont-ils jamais fait du grec ? Connaissent-ils autre chose de la langue française qu’une valise de clichés servis à tout bout de champ ? « Polémos » d’où vient le mot « polémique », signifie « la guerre » en grec ancien (1).
 
Or, ce ne sont pas des critiques outrancières, partisanes ou guerrières que provoque « la réprimande » adressée au juge Burgaud mais le débat le plus fondamental qui soit dans une démocratie. Seulement, « un débat », des journalistes savent-il encore ce que c’est ? Il s’agit, comme ici, de l’analyse d’une décision et de son contexte avec ou non les critiques légitimes qu’elle peut légitimement soulever, nourries d’arguments réfléchis et rationnels.

Le rôle de la justice, au centre du débat


Le sujet du débat, né du désastre judiciaire d’Outreau, est le fonctionnement de la justice dans une société démocratique. Le rôle de l’institution judiciaire est d’être le dernier rempart de la paix civile. Si elle ne le remplit pas, les individus et les groupes retournent bientôt à la loi de la jungle où l’on se fait justice soi-même. Une société civilisée - et qui plus est démocratique - suppose donc que les supposés préjudices que les individus se causent les uns aux autres, ou les soupçons de transgression des lois soient portés devant une instance d’arbitrage seule reconnue comme légitime pour dire le droit. Aussi n’y a-t-il pas d’attente plus inquiète et plus exigeante en chaque citoyen que de voir sa cause examinée par des magistrats en toute impartialité. Le moindre soupçon de partialité naît-il dans les cœurs, fût-elle apparente, et c’est le contrat démocratique qui se déchire sous l’irruption brutale de l’instinct de vengeance toujours prêt à resurgir et de la perte de « confiance en la justice de son pays ».

Le principe de proportionnalité entre la sanction et la faute

Or, le Conseil supérieur de la magistrature, l’instance de régulation du fonctionnement de la magistrature, vient d’estimer que la ruine de la vie de 14 innocents par un des représentants de l’autorité judiciaire, un juge d’instruction, ne mérite pas plus qu’ «  une réprimande  », soit la sanction la moins grave de celles qu’elle pouvait infliger. Elle se montre même moins sévère qu’envers le procureur Lesigne pour qui elle avait proposé en mai 2008 le retrait des fonctions et un déplacement d’office.

Si l’on admet qu’une sanction doit être proportionnelle à la faute commise, on doit conclure que le suicide de l’un des innocents en prison et le saccage sans doute irrémédiable de la vie familiale et sociale des treize autres sont des préjudices d’une importance mineure qu’il peut arriver à un juge d’instruction de commettre. Que seraient donc des préjudices d’une importance majeure qui auraient justifié une radiation de la magistrature ? Que peut faire de plus grave un magistrat que de dévaster la vie de 13 innocents et d’en pousser un 14ème au suicide ? 

La revendication corporatiste de l’impunité

Il se trouve même un syndicat, l’Union syndicale des magistrats, majoritaire dans la profession, pour s’élever contre l’excès de cette sanction, en estimant que l’on faisait du juge Burgaud le «  bouc émissaire idéal de tous les dysfonctionnements de la justice ».
Si l’on comprend bien ce syndicat, le juge Burgaud devrait être exonéré de toute sanction, puisque, dans « l’affaire d’Outreau », c’est l’institution judiciaire avec une soixantaine de magistrats qui a connu un naufrage.

L’argument est habile mais ne trompe que les naïfs. Car de l’hypothèse fondée d’une responsabilité collective, on peut très bien conclure inversement à la sanction de tous ceux qui ont pris part à ce désastre et ont causé la souffrance des 14 innocents par leur impéritie et leur malfaisance, toute légalisées fussent-elle. Car dans le cas contraire, c’est implicitement revendiquer l’impunité pour les magistrats, sujets à erreurs comme tout être humain, quels que soient les dommages qu’ils peuvent causer à des innocents. Ce seraient, en somme, les risques du métier !

On touche même à la bouffonnerie de cette caste judiciaire quand on apprend que l’un des membres du CSM, siègeant alors à la chambre de l’instruction, aurait eu à statuer, en août 2003, sur une demande de mise en liberté adressée par l’un des innocents d’Outreau. On comprend que, si le cas est avéré, l’honorable magistrat n’ait pas souhaité se montrer plus sévère envers son collègue Burgaud qu’envers lui-même, sous peine de se voir incriminé à son tour.


L’institution judicaire ne pouvait délivrer message plus désespérant et plus délétère pour la démocratie française. On savait déjà, après les affaires des Irlandais de Vincennes, des écoutes téléphoniques de l’Élysée, de la Mairie de Paris ou de l’Ile-de-France que les juges étaient à genoux devant le pouvoir politique et que ceux qui s’y refusaient, étaient poussés à la démission. On apprend aujourd’hui que les magistrats exigent d’être exonérés de toute responsabilité ou peu s’en faut, quand ils ruinent la vie de citoyens innocents. C’est ainsi sans doute qu’ils entendent défendre leur indépendance. Que du même coup ils mettent en péril la paix civile, ils s’en soucient comme d’une cerise ! Quelle indignité, quelle irresponsabilité ! Paul Villach 

(1) Paul Villach, « La sape indolore et quotidienne de la démocratie par les médias », AGORAVOX, 22 avril 2009.
 

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