Ouvrez les yeux, fermez la télé...

par sisyphe
jeudi 5 juin 2008

Après le coup de magicien de Nicolas Sarkozy dans sa conférence de presse du 8 janvier, sortant de son chapeau le lapin de la suppression de la publicité sur les chaînes publiques (coup, en fait prémédité sous les conseils de l’ineffable Alain Minc et du porte-plume Henri Guaino), mettant ainsi l’opposition en porte-à-faux sur une mesure longtemps envisagée par la gauche, mais jamais réalisée, restait à savoir ce que cette mesure pouvait bien cacher...

Eh bien, c’est chose faite, tout en douceur.
Après avoir évoqué vaguement plusieurs mesures pour financer le manque à gagner des budgets des chaînes publiques, dont aucune n’avait été discutée par aucun des organismes concernés (taxe sur les FA d’internet, sur les opérateurs de téléphones mobiles, voire sur les recettes pubs des chaînes privées), les cours des principales chaînes privées connaissaient immédiatement une embellie : quelques minutes après cette annonce, le cours des actions de TF1 et M6 Métropole TV s’envolait à la Bourse de Paris. A 10 h 55, TF1 prenait 8,38 %, et M6 Métropole TV 6,86 %, tandis que le marché parisien gagnait 0,84 %. Bouygues, maison mère de TF1, prenait 3,24 %.

La solution la plus logique était celle déjà préconisée par la résolution finale des Etats généraux de la Création audiovisuelle de mars 2000 : un prélèvement effectué sur les transactions publicitaires globales (estimées à plus de 30 milliards d’euros) pour une redistribution d’1,5 milliard d’euros au service public.

Mais pourquoi faire simple, quand la complication permet de masquer d’autres manœuvres, allant, en fait, à l’inverse des préoccupations annoncées (qui, en effet, pourrait être contre la suppression de la pub sur le service public, sans augmentation de la redevance ?)

On avait cependant peu noté une petite phrase anodine, prononcée par le président, mais qui en disait long pour la suite : pour rassurer le chaland, le président avait ainsi annoncé : "Je le dis de la manière la plus claire, nous garantirons au service public les recettes dont le service public a besoin et la question de la privatisation d’une chaîne du service public ne se pose pas".
Bien.
Sauf qu’il avait rajouté, dans un souffle...
« Si les programmes sont différents. »

D’où, bien sûr, la nécessité
de nouveaux cahiers des charges pour les chaînes de France Télévisions. Une réunion était prévue dès la semaine suivante au ministère de la Culture avec de Carolis et son second, Patrice Duhamel, pour plancher sur le sujet. Le cadre était fixé : même privée de pub, France Télévisions devrait continuer à faire de l’audience. Un sacré numéro d’équilibriste.


Cette mesure étant prise dans l’improvisation la plus totale (du moins en ce qui concerne le financement du manque à gagner pour la télévision publique, estimé à 1, 2 milliards d’euros : soit la pub en moins, plus le temps d’antenne libéré), pour mieux brouiller les cartes, était créée, non sans quelques remous sur sa composition, la "Commission Copé", composée de16 parlementaires et 17 professionnels, qui devait rendre sa copie en juin 2008.

Le 21 mai, la Commission Copé rendait sa copie qui proposait, sans choisir, 3 scénarios possibles, parmi lesquels la possible augmentation de la redevance : solution instantanément rejetée par Nicolas Ier soi-même, ce qui entraînait la décision de démission des 4 parlementaires socialistes de la commission : la commission Copé n’était, dès lors, plus qu’une coquille vide...

D’autant que les autres pistes, consistant à taxer les revenus des chaînes privées, des opérateurs téléphonie et internet ou l’électronique grand public risquent fort d’être écartées par la Commission européenne pour des raisons de règles de la concurrence.

Je sais, c’est un peu long et compliqué (méandres de la politique obligent) ; alors : où en sommes-nous aujourd’hui ?

Eh bien, l’on vient d’apprendre ce jour, qu’après une lettre, datée du 28 mai, conjointement signée de Nonce Paolini, directeur général de TF1 ; Bertrand Méheut, président de Canal+, et Nicolas de Tavernost, patron de M6, adressée à Nicolas Sarkozy, venant pleurer sur l’éventualité d’« Une nouvelle taxe [qui] viendrait appauvrir notre économie », (taxe sur la publicité des chaînes privées), et alors que la solution pour le financement du manque à gagner des chaînes publiques est toujours dans les limbes, nouveau lapin sorti du chapeau du magicien à la tête de l’Etat, leurs vœux les plus chers se trouvent soudain exaucés !

Et d’une : une seconde coupure publicitaire autorisée dans la diffusion dans les films et les fictions (rapport estimé : entre 300 et 550 millions d’euros, dont 200 millions pour TF1 et 65 pour M6).

Et de deux : la transposition - non obligatoire pour les Etats membres de l’Union - d’une directive européenne accordant aux chaînes privées le droit à neuf minutes de réclames par heure en moyenne, au lieu de six. De plus, comme le précise Libé aujourd’hui, il va être mis fin au système de « l’heure glissante », remplacé par celui de « l’heure d’horloge ». En clair, TF1 et M6 vont pouvoir bourrer de pubs les carrefours stratégiques de leurs grilles, alors qu’elles étaient limitées jusqu’à présent. Un simple décret suffit à la mise en place de cette augmentation de la pub et, selon Albanel, il est prêt et pourrait être publié « dès l’été ».

Enfin et, là, c’est, plus que la cerise sur le gâteau, le bouquet final : la disparition des seuils anti-concentration dans les médias ! Oui, oui, vous avez bien lu : comme l’avoue benoîtement Christine Albanel aux Echos  : "Il s’agit de repenser la règle interdisant à un même groupe de détenir à la fois un journal national, une télévision et une radio".
Quand on connaît les multiples amitiés de Nicolas Sarkozy avec les patrons des médias : Martin Bouygues donc, mais aussi Arnaud Lagardère ou encore Bernard Arnault, patron des Echos, on ne peut qu’applaudir le coup de baguette magique qui va remettre l’ensemble des médias dans les mains des grands patrons amis du président.

Comme Sarko le préconise depuis belle lurette, il s’agit de favoriser : « l’émergence de grands groupes de communication audiovisuelle français de premier plan ».

Et vive la liberté et la pluralité d’information !

On se rend donc compte que cette manœuvre de suppression de la pub sur le service public (toujours pas financée, et menacée d’une remise au pas au niveau des programmes) ne faisait que masquer une toute-puissance accordée aux télévisions privées. Comme le déclarait Sarko, toujours cité par Libé : "s’il faut mieux financer le service public, il faut aussi permettre au secteur privé d’être plus dynamique en desserrant le corset de contraintes héritées d’un autre temps".

Voilà donc venu, ici aussi, les "nouveaux temps" de l’information formatée, dirigée, concentrée dans des mains amies du pouvoir, et entièrement sous contrôle.

A ce propos, on relèvera une réunion tenue hier par Sarkozy et sa garde rapprochée, destinée à préparer la victoire en 2012  : il est sûr qu’avec les médias aux ordres ça pourrait grandement faciliter la tâche...

Alors, plus que jamais, réservez-vous le maximum de "temps de cerveau disponible" et, pour ça, la meilleure solution, préconisée déjà en 68 : "Ouvrez les yeux, fermez la télé".

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