« Panama Papers » : Victoire de la Transparence ?

par Arturo ZAPATA
samedi 9 avril 2016

La victoire du libéralisme et plus particulièrement celle de la concurrence sur l'idée de coopération et de collectivité imprègne durablement nos consciences. Jadis, la victoire libérale était peut-être jugée inéluctable, depuis la chute du mur de Berlin, elle passe pour irrémédiable, que se soit dans l’expression des chroniqueurs de la presse mainstream ou plus généralement, sous la plume des intellectuels, subventionnés ou non. Les "Panama Papers" pourraient nous inciter à reprendre espoir dans la pertinence et la légitimité de la bataille qui se cristallise entre deux paradigmes irréconciliables : concurrence et opacité contre coopération et transparence.

La concurrence est un moteur actif du système libéral et elle nécessite l'opacité pour fonctionner normalement. Aussi est-on en droit de s'interroger sur l'affaire des "Panama Papers", s'agit-il là d'une victoire de la transparence ? Peu d’éléments permettent de se forger une opinion objective. Il peut aussi bien s'agir d'une guerre stratégique entre les différentes factions d'une bataille économico-financières à l’échelle mondiale que de l’œuvre d’un héros solitaire et anonyme.

Toutes sorte d'hypothèses peuvent être émises car, paradoxalement, et c’est là un point important de l'affaire des « Panama Papers », le ou les hackers ne sont pas connus, et probablement même pas des organismes de presse qui exploitent les information divulguées (en effet, le(s) hacker(s) aurai(en)t communiqué par chat et email crypté). Ce secret est-il une saine mesure de précaution d’un hacker prudent face à l'oligarchie mondialisée ou bien une manœuvre machiavélique d’un puissant stratège ? A-t-on affaire à un nouvel « Edward Snowden » qui reste caché pour se protèger de menaces de poursuites ? On sait que les sources ont le plus grand mal à demeurer anonyme quand ils déclenchent l’ire américaine. Pour ne citer que les plus célèbres, c’est ainsi que le soldat Bradley Manning a-t-il été condamné à 35 ans de prison, Julian Assange est privé de liberté de mouvement dans l’espace clos de l’ambassade d’Equateur à Londres, Edward Snowden est pour sa part réfugié en Russie. Il est clair que les perspectives d'avenir des lanceurs d'alertes ne sont pas réjouissante quand on assiste à la descente aux enfers des anciens employés poursuivis en justice et plus que jamais sous le feu de la rampe : Stéphanie Gibaud (UBS), Nicolas Forissier (UBS), Hervé Faciani (HSBC) etc… sans parler des illustres précurseurs trop longtemps pourchassés par la justice à l'instar de Denis Robert (Affaire Clearstream 1 et 2). Si le hacker est un individu, le choix de l’anonymat semble évident, et ce n’est pas le récent cas du hacker roumain : Marcel Lazăr Lehel dit « Guccifer » (en instance d’extradition aux USA où il risque une peine de plusieurs dizaines d’années de prison) qui nous en fera douter.

Toutes les suppositions sont permises, ainsi, peut-être s'agit-il là d'une attaque pilotée par les Etats-Unis que certains suspectent de fomenter des troubles au sein de divers pays afin d’en extraire les capitaux « flottants » pour les réorienter vers des lieux plus propices au développement de l'économie étasunienne (offshore américain Delaware, South Dakota, Nevada et d’une façon plus générale vers les places off-shores anglo-saxonnes : la City de Londres ..., sans oublier Israël, protectorat de l’Empire).

L'hypothèse d'une politique de "refiscalisation" tous azimuts du trésor américain semble plus hasardeuse même si cette « manœuvre » a déjà été constatée dans un passé récent. On se souvient d’un principe que l’Etat américain tend à affirmer hors de ses frontières, il vise l'extension infinie du champs de compétence du droit national américain en oeuvrant à son internationalisation. Un nouveau « droit » asymétrique qui repose sur la légitimation de l’usage du dollar. Nous pourrions citer à titre d’exemple le cas des amendes records infligés aux banques européennes (BNPP 8,97 milliards de $, Crédit Suisse 536 millions de $,etc...) mandatées par le trésor américain. Pourtant, comment expliquer que globalement, les contribuales américains semblent n’avoir guère été impactés dans l’affaire panaméenne ? La logique de la désinformation est de fait tellement fine et tortueuse qu'il apparait difficile d'écarter cette option. En effet, le trésor US aurait pu éliminer des fichiers « pirates » les contribuables américains justement pour ne pas être suspecté, sachant qu’in fine, l’Etat américain a de toute façon toujours la possibilité de contacter les contribuables fautifs de façon discrète comme l’a fait Bercy dans l’affaire UBS suisse avec sa cellule de « dégrisement ». Revenons sur ce qui constitue peut-être le cœur du dispositif, à savoir le gain financier issu de la relocalisation des fonds aux USA, qui serait selon certaines personnalités[1] de haut rang, l'explication principale de la sortie de la crise de 1929 (et non le new-deal ou même la 2nd guerre mondiale). Une telle source de devises aurait effectivement un impact beaucoup plus puissant que la simple refiscalisation de capitaux blanchis off-shore. Notons que les flux de capitaux, d’autres dirait le « ressac post-subprime » en direction des USA, semblent être initiés par des évènements déstabilisateurs que les mauvaises langues associent à la galaxie Soros (également citée dans l’affaire des Panama Papers). On peut citer à titre d’exemple les mouvements de capitaux chypriotes et grecs associés aux turbulences des dettes souveraines.

Tout cela n’est que pure spéculation et permet simplement d’émettre des hypothèses propres à souligner la complexité de l’affaire. Dans une vision utilitariste, la mise en exergue de cet évènement, permet de promouvoir et de légitimiter la transparence, et par la même la coopération, ce qui constitue certainement l'impact le plus positif dont puisse bénéficier notre monde. Les lanceurs d'alertes, les wikileaks, Julien Assange, Denis Robert, Edward Snowden, sont les héros du paradigme enfin revivifié de la coopération. Bravo et merci à eux. Concernant les héros de l’ombre des "Panama Papers", n’attendons pas de pouvoir évaluer leurs aspirations afin de déterminer la légitimité de leur cause. Même si ce n’est pas leur but, ils oeuvrent malgré tout pour le bien commun.

On voit que l'opacité des "leakers", nécessaire compte tenu de leur manque de protection juridique, nous oblige à d'infinis conjectures, ce faisant, la prudence doit prévaloir. Il convient de laisser passer plusieurs semaines avant de pouvoir reformuler de nouvelles hypothèses mieux étayées. Il sera peut-être plus aisé de déterminer quels sont les grands bénéficiaires de cette fuite, en laissant une part raisonnable, et par principe, au doute.

 

[1] Citons notamment Christina Romer choisie par Obama pour présider son Comité des conseillers économiques.


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