Paris-Kaboul... mains dans les poches... ou pas ?

par Jacques RICHAUD
samedi 23 août 2008

Terrible image (1), dans Le Figaro, que celle de celui, venu en visite éclair de Paris à Kaboul et retour…

Mieux entouré de courtisans et de photographes que ne l’étaient de renforts les troupes décimées dans l’embuscade au soir du 18 août 2008, notre ‘chef des armées’, celui qui depuis Bucarest en avril 2008 avait décidé l’envoi de renforts en Afghanistan (2) fut photographié face à deux militaires émus aux larmes après la tragédie survenue quelques heures auparavant (3). Personne ne peut douter de la douleur et de la sincérité de ces hommes « embedded » dans une guerre dont l’objet ou la légitimité ne sera pas ici débattue ; mais la froideur de la réception rapportée par toute la presse ne laisse aucun doute sur la complexité des états d’âme de ceux, ici missionés pour la ‘séance photo’ après la veille avoir été missionés pour risquer leur peau…

QUELLE IMAGE ? Deux images en fait :

- 1 - Dans « le FIGARO » du 21 8 2OO8 (1) un bandeau de photographies résume en haut des pages 2 et 3 la visite éclair présidentielle qui devait montrer à ‘nos troupes’ la solidarité dans la dignité de la nation tout entière. La photo ‘nos 2’ de ce bandeau est affligeante et terrible : Face à des militaires visiblement très affectés et auxquels la dignité et le respect sont enseignés du premier au dernier échelon de leur hiérarchie, qualité sans doute indispensable de respect de soi et des autres chez ceux qui font carrière d’accepter le possible sacrifice de leur vie, face à eux donc leur chef suprême…

Affligeante la posture de l’homme à gauche de la photographie, menton en avant et MAINS DANS LES POCHES !

Terrible cette marque d’irrespect qui ‘aux armées’ vaudrait à n’importe quel caporal la mise aux arrêts ou au moins forte réprimande. Terrible cette vulgarité de l’attitude. Peut-on imaginer dans des circonstances similaires De Gaulle, Giscard, Mitterand ou Chirac ‘mains dans les poches’ ? Non, bien sur…L’homme ‘ne fait pas président’ comme disait son ‘ex’. Sa posture de voyou qui le ferait écarter de n’importe quel entretien d’embauche est ici une insulte à ceux qui viennent de croiser la mort comme à ceux qui l’ont rencontrée. Il est rare de voir pleurer un militaire ; le contraste est immense entre l’image de détresse que peuvent nous inspirer les deux soldats à la droite de la photographie et leur vis-à-vis dont l’attitude trahie si bien la non-sincérité de sa présence ou la non-compréhension de la situation...

- J’en ai connu des hommes du RPIMA de Castres et croisé peut-être certains de ceux là que le corps usé ou brisé amène parfois dans nos hôpitaux ; je sais le respect que l’on doit aux hommes et je sais que c’est à leurs chefs qu’il faut demander des comptes sur les missions qui leurs sont confiées…Au chef suprême de nos armées nous pouvons déjà demander comment il a pu, ‘les mains dans les poches’ affronter le regard de ceux-là ?


- 2 – La deuxième image se trouvait dans « La Dépêche du Midi » de ce même jour, 21 août 2008 ou est repris LE MEME CLICHE (4). Le même ? Pas tout à fait, non pas en noir et blanc comme dans le Figaro mais en couleur ce qui est assez rare pour ce journal monopolistique du Sud Ouest, mais fait plus ‘people’ avec le rouge du béret et le vert de l’uniforme, le président restant gris sauf le bleu de son col de chemise…

Mais la différence n’est pas là. Le compositeur de cette page d’un quotidien qui louvoie depuis longtemps pour coller à la couleur de son lectorat, un peu fluctuante dans la ‘ville rose’ a choisi un ‘RECADRAGE’. Oui, le BAS de la photo a été coupé et Les ‘mains dans les poches’ disparaissent…Il ne reste que le visage composé grave du Président…



- Un choix qui vaut autant qu’un éditorial de soutien à la cause ici défendue, qui est celle du ‘président-présent-au-front-dans-un-moment-douloureux’ …

LE SENS OU LE MENSONGE :

- C’est fou comme la photographie peut ‘dire’ ou ‘trahir’ l’information !
Tous les professionnels le savent mais peu de lecteurs sont en situation de décrypter parfois les nuances qui peuvent relever d’un choix éditorial non-innocent. Chaque année le festival « Visa pour l’Image » qui débutera fin août à Perpignan nous montre de ces clichés terribles, autres souvent que ceux que la Presse a osé publier. Pour cet épisode et au palmarès de l’honneur ou du déshonneur des organes de Presse on peut dire « Figaro=1 / La Dépêche=0 ».

- Peut-être le responsable de cette ‘censure’ à ‘La Dépêche’ se défendrait-il en disant que la posture indigne aurait pu offenser gravement les familles endeuillées, vivant presque toutes sur le territoire de diffusion du journal ? Mais alors ce serait avouer le choix d’une rétention d’information fortement signifiante ! (5) Bien plus que l’image incontournable des cercueils et des derniers hommages qui envahissent la presse, cette image avait un « sens » qu’un quotidien national n’a pas jugé devoir dissimuler et qu’un quotidien régional a cru devoir taire.

JACQUES RICHAUD 21 8 2008

(1) Le Figaro, jeudi 21 août 2008 page 2. Photo au camp de Warehouse, quartier général des forces françaises à Kaboul. / Boutria/MAXPPP, Laban-Mattei/Pool, Shah Marai/AFP (ref page 3)

(2) C’est depuis Bucarest en avril 2008, à la surprise générale en France en l’absence d’information ou de débat préalable, que lors d’un sommet de l’OTAN, le président français décidait, seul l’envoi de renforts en Afghanistan. Les inquiétudes de l’état-major au sujet des conditions dans lesquelles cette mission pouvait être menée ont été diffusées depuis plusieurs mois dans les médias. Seule la classe politique, docile à droite et en léthargie à gauche, a été à peu prés muette sur le sujet avant le réveil brutal du 20 août.

(3) Ce que les communiqués officiels ont qualifié par euphémisme « d’incident majeur » est survenu le 1ç août 2008 lorsque la 2me section de la 4me compagnie du RPIMA, arrivé en Afghanistan depuis quelques semaines a été décimée dans une embuscade à cinquante kilomètres de la capitale, Kaboul. Après plusieurs heures de combat et épuisement des munitions, onze morts et plus de vingt blessés. Jusqu’à ce jour et depuis 2001 seulement neuf soldats français avaient été tués au combat en Afghanistan, sur un contingent de plus de deux mille hommes.

(4) La dépêche du Midi, jeudi 21 août 2008 page 3, seule mention « hier AFP ».

(5) Un autre questionnement est celui de la trahison du photographe de presse qui avait su saisir un instant et une posture, mais dont le travail a été dénaturé, non pas ici par l’AFP qui fournissait l’image également aux médias, mais un obscur compositeur de presse en illustration d’un article anonyme.

Suite envoi article : ATTENTION / DIVERGENCE VERSION ELECTRONIQUE :

La photo du Figaro ’mise en ligne’ est bien la photo imprimée sur le journal.

MAIS CELLE DE LA DEPECHE, NON : La version électronique est celle-ci : 2008 AFP | 20 Août 2008 | 07h32

Ce cliché est cadré plus large que sur le Figaro (deux personnages visibles derrière le président) mais correspond en hauteur à celui utilisée par le Figaro,... Mais dans la version "papier" de la DEPECHE il y a bien un "recadrage" qui passe juste en dessous de la ceinture du militaire de droite , à une distance un peu inférieure à la hauteur de cette ceinture, ce qui du côté gauche fait passer la limite inférieure du cliché juste en dessous du rabat de la poche de NS, AU DESSUS du bas de la manche de sa veste, dont la chemise dépassante n’est pas visible ni la main introduite dans sa poche . C’est donc sur CE cliché que j’ai écrit mon article.

Cette différence entre les deux versions n’invalide pas la réflexion faite sur l’édition du jour de la DEPECHE, simplement elle rendra la vérification a posteriori impossible, mais je conserve l’exemplaire papier en vue d’un scanner ultérieur éventuel.

Jacques Richaud

Crédits photo : AFP/ Olivier Laban-Mattei


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