Parti Socialiste : Qu’est-ce que se recentrer veut dire ?

par Samuel Neuman
mercredi 31 octobre 2007

Le Parti Socialiste paraît bien engagé sur la voie du recentrage stratégique. Tout semble l’indiquer, des déclarations de Ségolène Royal reniant certains aspects du programme présidentiel, tel que le SMIC à 1500 €, jusqu’à l’idée, chère au député de l’Essonne Manuel Valls, que le PS devrait se refonder autour de la notion d’autorité[1]. A vrai dire, deux voies possibles de recentrage du PS se dessinent, l’une socio-économique et l’autre culturelle. Sans être contradictoires, ces deux voies sont de natures assez différentes.

Le recentrage socio-économique, représenté par exemple par le courant strauss-kahnien ou les Gracques, ce collectif de hauts fonctionnaire s’étant déclarés de gauche et ayant appelé à une alliance Royal-Bayrou entre les deux tours, semble la stratégie préférée au PS aujourd’hui. Il s’agirait, si le PS devait s’engager dans cette voie, de renoncer à son ancienne ambition de voir un jour l’Etat dominer l’économie, pour devenir l’avocat d’une régulation et d’une redistribution modérée qui ne nuise pas aux incitations des entreprises à produire et à vendre. Autrement dit, il s’agirait pour le PS de renoncer une fois pour toutes à ce que certains ont appelé son « subconscient marxiste ». De nombreuses personnalités que les médias voient dominer le prochain congrès du parti en 2008, telles que Ségolène Royal, Arnaud Montebourg, Manuel Valls ou François Hollande, ont émis récemment des signaux en ce sens. Valls, par exemple, a déclaré être favorable à la réforme des régimes spéciaux[2], un point sur lequel il a été suivi, bien que de manière plus discrète, par Hollande[3]. Ce même François Hollande a déclaré, devant les Jeunesses Socialistes, le 31 août dernier : « On est là pour suivre un long cheminement. (...) Le Grand Soir, c’est fini ! »[4]

L’autre voie possible semble celle d’un recentrage « culturel », si l’on entend par cette formule les prises de position du PS sur les questions de l’identité nationale, de l’immigration, des politiques pénales ou de la place de l’autorité dans la société, autant de thèmes mis en avant par Nicolas Sarkozy pendant sa campagne. Le PS semble plus réticent à l’idée de s’engager dans cette seconde voie. Ségolène Royal, certes, a tenu des propos pour le moins patriotiques pendant la campagne présidentielle, et a également proposé d’encadrer militairement les délinquants récidivistes. Et Manuel Valls, plus récemment, a déclaré dans une interview que l’autorité devrait être considérée comme une « valeur de gauche », un propos qui peut paraître surprenant[5]. Le député d’Evry s’était également fait remarquer en soutenant que le PS devait enfin arriver à une position nette sur l’immigration. Mais il est clair que Hollande, pour ne citer que lui, pourtant visiblement favorable à un recentrage socio-économique, a plus de réserve sur ces aspects-là. Il apparaît donc que si le recentrage est bien une idée à la mode au PS, ce recentrage a plus de chance de concerner le domaine des idées socio-économiques que le domaine des idées culturelles.

Il se pourrait, toutefois, qu’en poursuivant cette voie le PS ait une mauvaise surprise en 2012, ayant à la fois renoncé à son identité et à son histoire, bâties sur un discours critique du capitalisme, et ayant perdu une élection. Il ressort en effet de plusieurs études de l’opinion française réalisées ces dernières années, notamment celles conduites par le politologue Gérard Grunberg[6], que l’électorat n’est pas moins critique du laisser-faire économique qu’auparavant. Par exemple, l’une des études les plus fournies jamais faites sur cette question, réalisée par le CEVIPOF (Centre d’étude de la vie politique française), un organe de recherche attaché à Sciences Po, en 2002, montre que 40% des Français étaient d’accord à cette date avec l’idée qu’il faudrait interdire les licenciements. Or l’interdiction de licencier est une proposition tellement radicale que même la LCR ne l’a pas incluse dans son programme électoral en 2007 ! Cette étude montrait aussi que 79% de l’électorat considérait que réduire l’écart de richesse en France était important ou très important. Aujourd’hui, donc, les Français ont encore des opinions clairement antilibérales. En conséquence, il faut se rendre à l’évidence que Sarkozy n’a pas tant gagné l’élection du 6 mai sur ses propositions socio-économiques que sur sa défense de l’autorité et de la nation, sur sa politique sécuritaire et sa politique d’immigration, autant de sujets où l’opinion, au moment des élections, lui était acquise.

En conclusion, le PS n’aurait que peu à gagner, électoralement, à embrasser l’économie de marché plus qu’il ne le fait déjà aujourd’hui, dans la mesure où cette économie de marché est fortement contestée par la plus grande partie de l’opinion française. Il aurait sans doute un plus grand avantage, là encore en termes strictement stratégiques, à exploiter le rejet de l’immigration et les tendances sécuritaires de l’électorat. Cependant, et c’est là un point important, l’auteur de cet article ne s’engage pas personnellement en faveur d’un recentrage ou d’un autre. Il est convaincu que la politique ne se résout pas à des recettes électorales, et considère plus important pour le Parti Socialiste de préserver son identité actuelle que d’initier une refonte autoritaire. Il note simplement que Manuel Valls est sans doute l’un des stratèges les plus perspicaces au sein de ce parti aujourd’hui.



[1] Interview donnée à Christophe Barbier sur LCI (septembre 2007).

[2] Ibid.

[3] Interview donnée à Rue89 (« La polémique sur les régimes spéciaux relance la guerre au PS », 12 septembre 2007).

[4] Le Monde, « Monsieur Hollande répète aux jeunes que “le Grand Soir, c’est fini” », 2 septembre 2007.

[5] Interview donnée à Rue89 (« La rentrée mordante des “rénovateurs” du PS », 27 août 2007).

[6] Gérard Grunberg et al. (éditeurs), La Démocratie à l’épreuve : Une nouvelle approche de l’opinion des Français, Presses de Sciences Po, 2002 ; Gérard Grunberg et Etienne Schweisguth, « La tripartition de l’espace politique », paru dans Le Vote de tous les refus (édité par Pascal Perrineau), 2003.


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