Pas l’unité, la guerre !

par kakumei
jeudi 9 mars 2017

Depuis la victoire de Benoît Hamon à la primaire de la "belle alliance populaire", un certain nombre de responsables politiques et d'intellectuels appellent à une alliance entre Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon.

 

En tant que sympathisant de la France Insoumise, je m'oppose radicalement à cette idée et prône même l'inverse.

 

La première raison tient aux programmes. Il existe des divergences réelles et régulièrement minorées entre les deux par les tenants d'une alliance.

En particulier la question européenne apparaît comme un point d'achoppement essentiel. Or il ne saurait y avoir de compromis sur cette question : toute la crédibilité du programme de la FI tient à la possibilité de sortir de l'UE, ce que Benoît Hamon refuse d'envisager. Toutes les propositions sur l'Europe de Hamon n'ont absolument aucune chance de se réaliser car il n'y aura jamais d'accord au niveau européen sur les réformes qu'il propose et il le sait. Pour reprendre la formule de Frédéric Lordon, il faut espérer "l'alignement des planètes" et rien ne permet de dire qu'il arrivera prochainement.

Il en existe d'autres. Je n'en citerai qu'un : la Défense. Benoît Hamon veut rester dans l'OTAN là où la FI veut en sortir. En outre, et c'est un aspect passablement inquiétant du programme du PS, il propose d'augmenter le budget de la Défense à 3%. Rappelons que l'OTAN ne demande que 2%. Le projet d'Hamon sur ce point est celui d'un fou furieux militariste ! Comment voter sérieusement pour lui quand on se dit de gauche !

Il faut ajouter que le peu de choses qui pouvait sembler progressiste a disparu : le revenu universel par exemple a déjà été vidé de son contenu (à supposer que ce fût une idée de gauce, ce qui est un autre débat).

Quand on lit que Hamon se félicite du bilan de Marisol Touraine à la santé (20000 suppressions de postes à l'AP-HP !), il faut être passablement aveugle ou de mauvaise foi pour envisager véritablement une alliance.

 

La seconde tient aux hommes et aux femmes, et ce sous différent aspects. Ne pas accepter que des personnalités symboliques du quinquennat (El Khomri, Valls) puisse être investi aux législatives va de soi : comment prétendre incarner une rupture quand on reconduit les figures les plus ultra-libérales des cinq dernières années ? C'est symboliquement, et donc politiquement et stratégiquement, impossible.

Mais au delà, c'est tout simplement irréaliste. Si Hamon venait à être élu, il ne pourrait pas appliquer sa politique car tous les élus socialistes, et ils sont de loin les plus nombreux, qui ont voté les lois de Hollande, ne voteront pas les rares propositions vaguement de gauche qui sont encore présentes dans le programme d'Hamon.

De plus, s'allier avec Hamon serait un suicide politique pour la FI car cela reviendrait, que l'on veuille ou non, à assumer l'héritage de Hollande. Cela hypotèquerait toute la crédibilité de la FI.

 

Enfin, la troisième raison tient au fait que cela ne peut pas fonctionner électoralement. Je voterai au premier et au second tour pour Mélenchon, et ce quoi qu'il arrive. On peut ne pas être d'accord, mais la question n'est pas là. La vrai problématique est que de nombreux membres et sympathisants de la FI feront de même. Autrement dit, sur les 10 à 12% d'électeurs probables de Mélenchon, on peut penser qu'entre la moitié et un tiers n'iront pas voter pour Hamon. En clair, même avec un ralliement de Mélenchon à Hamon, ce dernier ne sera pas au second tour. Bref, l'unité réclamée par certains est vouée à l'échec. Bref, circulez, y'a rien à voir !

 

Pas d'unité, mais la guerre, ne serait-ce pas un peu excessif ? Je pense que non. Et en voici les deux raisons.

 

La première découle de ce qui a été dit précédemment. Le PS, même version Hamon, est un parti de droite dont il n'y a rien à attendre. J'ajouterai tout de même que je me verrais mal militer avec des gens du PS qui ont approuvé cette mesure raciste qu'est la déchéance de la nationalité. Mais pas la peine d'insister.

 

La seconde relève de la stratégie électorale. Mélenchon avait réussi à constituer un capital de sympathie en s'opposant au PS. Il a dilapidé une partie de ce capital. En effet, un électeur moyen (ce qui n'est pas péjoratif dans mon propos), qu'aura-t-il vu et entendu depuis un mois et demi ? Mélenchon et Hamon discutent, certains pensent qu'ils devraient s'unir... Bref, sauf pour les militants et les passionnés de politiques, Hamon et Mélenchon, c'est à peu près pareil et ce n'est qu'une querelle d'égo et de places.

Pour récupérer un peu ce capital sympathie et pour progresser dans l'opinion, et ainsi espérer être au second tour, Mélenchon doit effacer cette lourde erreur qu'a été la discussion avec Hamon et envoyer un signal fort à l'électorat peu politisé ou en déshérence dans un contexte où il est difficile de saisir encore ce que veut dire le clivage droite/gauche (1). Et la meilleure et la seule façon efficace de le faire, ce n'est pas de détailler les différences programmatiques (c'est utile, nécessaire, mais notoirement insuffisant pour toucher largement l'électorat), c'est de désigner l'ennemi. Désigner l'ennemi cela permet de se distinguer, de tracer une frontière et de fédérer. En désignant Hamon comme un ennemi, au même titre que Fillon, Macron ou Le Pen, Mélénchon montrera et indiquera qu'il est la seule alternative. Cela signifie concrètement qu'il doit mettre fin au "pacte de non-agression" avec Hamon, tirer à boulets rouges sans distinction sur le PS, En marche ! LR et le FN, et indiquer dès aujourd'hui qu'il n'y aura aucune consigne de vote au second tour s'il n'est pas présent quelles que soient les circonstances.

 

Si Mélenchon fait cela, il a une petite chance d'être au second tour et de l'emporter. S'il affichait en outre la volonté de sortir de l'UE (c'est-à-dire le plan B direct), il pourrait être sûr d'y figurer.

De l'audace, de l'audace et encore de l'audace !

 

 

(1) Pour préciser ma pensée, il ne s'agit pas de dire si sur un plan intellectuel, il existe un clivage gauche/droite. Il s'agit d'acter le fait que le "sens pratique" (pour parler comme Bourdieu) des électeurs ne peut plus utiliser ce clivage comme référent.

 


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