Pas très heureux, le slogan de François Hollande, « La France en avant » !

par Paul Villach
lundi 2 mai 2011

Quel est donc ce Séguéla ou ce gars-là qui a soufflé à François Hollande son slogan « La France en avant  », affiché au pupitre de son meeting à Clichy-la-Garenne, le 27 avril 2011 ? Destiné à distiller l’essence d’un produit ou d’un projet pour être mémorisé, un slogan doit à lui seul les évoquer et non les défigurer. Or, peut-on trouver idée plus stéréotypée, vague, voire malheureuse que celui brandi par François Hollande ? Le candidat ne vaut-il pas mieux que ça ?

Une mise hors-contexte idéologique
 
À l’évidence, il s’est agi d’écarter tout indice idéologique immédiatement reconnaissable. Le but vers lequel tendre « en avant » n’est surtout pas indiqué. Passe encore qu’un club de football s’appelle « En avant Guingamp  » ! L’ellipse de la formule n’est pas une mise hors-contexte  : elle n’interdit pas de comprendre qu’il s’agit pour l’équipe encouragée de marquer des buts. Quel autre but peut bien avoir une équipe de football ? 
 
Mais quand il s’agit d’un pays auquel il est lancé, ce cri d’entraînement mis hors-contexte suffit-il à lui seul à identifier la direction qu’entend prendre le candidat qui le pousse ? Il s’apparente d’ailleurs à une tautologie  : est-il concevable d’appeler un pays à aller ailleurs qu’ « en avant » ? Imagine-t-on de lui crier : « Arrière toute ! » ? Même les réactionnaires qui, au sens propre du terme, rêvent de revenir en arrière aux joies d’un ancien régime renversé, peuvent très bien inciter leurs troupes à aller « en avant » pour vaincre l’ennemi et restaurer l’ordre disparu.
 
L’impossible esquive de l’idéologie
 
Mais on a beau tenter d’effacer tout indice d’identification idéologique, cet effort lui-même est idéologique. La volonté d’ainsi échapper à une idéologie est encore une idéologie qui s’inspire de l’image négative attachée à la représentation trop structurée et rigide du monde qu’elle implique : avec ses œillères qui canalisent la vision et ses principes qui corsètent l’action, elle est considérée comme un double obstacle :
 
- elle divise au lieu de réunir
 
- et elle nuit à l’efficacité de la politique à conduire qui exige une adaptation constante aux circonstances, quitte à transgresser justement les règles doctrinales qu’on s’est fixées.
 
On se souvient de la formule du leader communiste chinois Deng Xiaoping, soucieux dans les années 60 de mettre un terme au cours calamiteux de la politique économique de l’époque appelé justement « Le Grand bond en avant  » : « Peu importe que le chat soit gris ou noir pourvu qu’il attrape les souris. » Il ne pouvait trouver meilleure image pour illustrer l’introduction du capitalisme étatique prédateur dans la citadelle communiste de la République populaire de Chine.
 
Une ambiguïté volontaire ou non ?
 
Le slogan « La France en avant  » est donc idéologique malgré lui : l’idéologie qu’il contient est d’abord de n’en pas avoir et d’être celle du pragmatisme qui peut – hélas ! – prendre toutes les directions selon les vents dominants comme une girouette.
 
Il présente, cependant, un autre indice idéologique reconnaissable à l’ambiguïté volontaire ou non qu’il contient.
 
1- Un indice de patriotisme ou de nationalisme
 
Mettre « la France en avant », signifie faire du pays et de son peuple une priorité, voire une vitrine. Par contraste avec la ploutocratie aujourd’hui au pouvoir, il s’agirait de ne plus servir seulement les plus riches mais l’ensemble des citoyens du pays. Cet objectif paraît aussi inspiré soit par le patriotisme, soit par le nationalisme : on sait que le premier n’est qu’un réflexe de défense légitime de son territoire et de sa culture qu’on sent menacés, et que le second est au contraire un réflexe de vanité dominatrice à prétention hégémonique sur les autres peuples avec les dérives impérialistes et xénophobes qui en sont l’aboutissement.
 
2- Deux intericonicités fâcheuses
 
Une seconde signification de ce slogan est, en outre, de magnifier le mouvement pour lui-même, puisque, faute d’être indiquée, la direction ne saurait le justifier. Un premier inconvénient est d’attirer l’attention sur le doigt sans qu’on sache ce qu’il montre, comme le dénonce le proverbe bien connu. Le second inconvénient est, par intericonicité, de rappeler deux fâcheux exemples historiques.
 
- L’un est seulement bouffon, il vient – hélas ! - d’Italie, pourtant berceau de la culture européenne, mais non de la démocratie. En 1994, Silvio Berlusconi appelle le parti de Droite qu’il vient de créer, « Forza italia  » - Allez l’Italie. C’est tout bonnement le cri de guerre des supporters de la « Squadra azzura », l’équipe nationale de football. Prendre des citoyens pour des supporters revient à leur assigner un rôle de spectateurs qu’on mène à sa guise dans les tribunes par les réflexes du chauvinisme et du nationalisme.
 
- Le second exemple est, au contraire, tragique : c’est le slogan de la Phalange pendant la guerre civile espagnole, devenu le cri de ralliement du dictateur Franco : « Arriba Espana !  » - Debout l’Espagne ! On connaît référence plus digne. 
 
Dans l’un et l’autre cas, le mouvement était célébré pour lui-même afin d’en laisser la direction à l’arbitraire du seul leader, Caudillo ou Cavaliere.
 
On ne va pas bien sûr soupçonner François Hollande de nourrir d’aussi noirs desseins. La politique qu’il propose comme candidat à la présidence de la République ne se limite heureusement pas à un slogan. Il n’en demeure pas moins qu’un slogan est l’élément minimal d’un produit ou d’un projet que doivent mémoriser les esprits. Encore faut-il qu’il n’en donne pas une image ambiguë ni négative. « La France en avant  », il faut l’avouer, n’est pas un slogan très heureux : il peut convenir à une girouette qui prend la direction du vent et surtout il s’apparente trop à certains autres qu’on a entendu crier dans le passé par des partis nationalistes bien peu recommandables en démocratie. Paul Villach 

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