Passage de témoin
par C’est Nabum
vendredi 25 mai 2012
« C'est à vous maintenant de prendre le flambeau ! »
L'histoire en direct !
Sarah Lichtsztejn Montard est maintenant une dame de 84 ans qui ne cesse de témoigner de l'horreur qu'elle a vécue alors qu'elle était enfant puis adolescente. Elle avait seize ans quand un sinistre wagon plombé la conduisit sur les lieux où l'abjection humaine atteint un paroxysme sans comparaison possible. Aujourd'hui, elle avance péniblement pour raconter son histoire à des jeunes qui ont l'âge qui était le sien quand elle partit pour l'enfer.
« Vous êtes parmi les derniers à écouter un témoignage d'un survivant de cette immonde tragédie. Bientôt, nous ne serons plus que des ombres dans vos livres d'histoire. Bientôt, nous ne serons plus et ce sera à vous de reprendre le flambeau, de porter ce témoignage pour qu'une telle abomination n'ait plus jamais lieu. Refusez pour toujours toute forme de discrimination, ne donnez pas raison à ceux qui montrent du doigt telle catégorie, qui stigmatisent telle autre. C'est vous qui bientôt parlerez à ma place ! »
Le décor est planté, le relais est donné. Sarah parle pour que jamais ne s'éteigne le souvenir de ce qu'elle a vécu dans sa chair puis si longtemps dans ses cauchemars. Sarah donne une bien lourde responsabilité à cette petite centaine de jeunes collégiens venus à sa rencontre au Cercil :
« le mémorial des enfants du Vel d'Hiv. »
Alors Sarah raconte chaque détail, chaque épisode, chaque anecdote de ce passé à jamais tatoué sur sa chair, à jamais inscrit dans les consciences de l'Humanité. Sarah déroule tranquillement cette histoire jonchée de morts, de bassesses, de coups, d'humiliations, de privations, de trahisons et parfois de gloire. Elle laisse aller sa mémoire, par devoir, sans pathos ni émotion apparente, avec l''incroyable conviction qu'elle agit au nom d'une cause qui la dépasse.
Vous trouverez ses mots dans son livre ou dans les nombreux témoignages qu'elle a laissés ici ou là, inlassablement, depuis qu'elle a accepté de se faire à son tour témoin de l'indicible. Ce ne fut pas aisé, il lui a fallu vivre entourée de tous ses fantômes, de ses souvenirs qui lui reviennent au milieu de la nuit, de ces enfants qui ne sont jamais revenus et qui plus que tous les autres la hantent.
Mais c'est pour eux et pour tous les autres, ceux qu'elle n'a jamais vu mais dont les flammes de leur combustion éclairaient son baraquement, faisant de toutes ses nuits là-bas à Auschwitz, un enfer rougeoyant à l'odeur pestilentielle, qu'elle prend le micro et parle d'une étonnante sérénité. Elle transmet le fardeau, elle donne à la mémoire des autres ce qui a pu se concevoir dans les esprits retors d'individus, nos frères devant les hommes, qui sortirent totalement, honteusement, monstrueusement de leur dignité humaine avec l'assentiment ou le silence de tant de leurs contemporains.
Elle continue de dérouler devant des enfants ou des adolescents, ici ou bien ailleurs, sans se fatiguer, sans se lasser de toujours reprendre les mêmes mots, les mêmes atrocités. Elle est petite flamme qui ne veut pas s'éteindre, récit sensible qui ne devra jamais mourir. Elle fait de l'indicible son message vital, son offrande aux enfants pour que jamais ils ne revivent ce à quoi elle a survécu !
Elle se dit détentrice d'une structure mentale hors du commun qui l'a maintenue au dessus de la ligne de flottaison, qui lui a donné ce supplément de courage et d'optimisme au plus profond de l'innommable pour se maintenir en vie, jour après jour. La faim, la peur, le froid glacial, la boue, les coups, les privations, la maladie, les travaux de forçats, l'esclavage ne l'ont pas détruite parce qu'elle se disait toujours « La vie est belle malgré tout ! »
Alors même dans ces baraquements de l'inhumanité haineuse, il y avait des frêles voix pour chanter que tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir, comme le faisait Édith Piaf avant guerre. Sarah continue de fredonner son refrain, elle ressasse encore et encore son message. Il doit passer, il doit lui survivre, c'est son cadeau à la vie. Nos enfants, les enfants de leurs enfants diront ensuite à leur tour : « Plus jamais ça ! »
On sait que ce message est bien fragile. On devine ici où là une terrible tentation d'accuser un bouc émissaire, de discriminer les plus faibles, de montrer du doigt une catégorie ou une autre. Sarah sait que les hommes seront toujours assez fous pour penser de telles monstruosités. Elle a entendu récemment des paroles de haines qui l'ont fait frémir. Réveillez-vous et n'oubliez jamais son message !
Admirativement sien !