Passer du capitalisme à la résilience écologique et sociale

par Jean-Luc Picard-Bachelerie
samedi 6 juin 2020

La crise sanitaire que nous sommes en train de vivre nous a montré toutes les limites du système de développement dans lequel nous sommes. Cette crise fait suite à des crises qui ne font que se succéder de plus en plus rapidement et à s’amalgamer. Si rien ne change de manière radicale et dans l’immédiateté réaliste, notre avenir ne sera qu’une crise permanente. Croire que ce système ne demande que quelques réformes pour retrouver la sérénité relève de la malhonnêteté intellectuelle ou de la naïveté. Nous vivons le début de l’effondrement et il serait beaucoup plus sûr de faire confiance aux collapsologues qu’à nos gouvernants actuels pour envisager l’avenir de façon responsable1. Le monde d’avant est bien terminé, nous vivons dans ses derniers soubresauts et il nous faut absolument mettre en place un autre monde avant qu'un chaos perpétuel ne s’installe.

Le monde ne peut pas revenir comme avant car depuis des années, le capitalisme a atteint ses limites infranchissables : une productivité qui ne parvient plus à se hisser au niveau qui doit être le sien ; la nature qui a été saccagée et qui ne donne plus rien sans le payer de catastrophes naturelles ; révoltes sociales et démocratiques de plus en plus fréquentes aux quatre coins de la terre2. Le néolibéralisme par sa rapacité a amené le capitalisme à son terme. Désormais la terre est divisée entre eux et nous, entre le 1 % de la population qui vit comme des rapaces et les 99 % qui sont soumis, le peuple-classe.

Tandis que le 1 % investit dans la première cité martienne pour mieux fuir le monde qu’ils ont détruit, nous autres subissons le réchauffement climatique, l’anéantissement du vivant, les crises sociales, économiques et démocratiques. Et plus ce 1 % persistera dans sa stratégie, plus il sera obligé de mettre en place un système autoritaire, non pour l’intérêt général mais pour faire fonctionner le système qui arrange ses intérêts. Ils nous tiennent par la peur et la falsification. Peur qu’ils entretiennent par leurs menaces économiques (c’est l’État qui perturbe l’économie et la main invisible d’Adam Smith qui pourrait nous apporter le bonheur) ; une finance absurde qui voit la dette mondiale s’élever à plus de 300 % du PIB mondial (se rendent-ils compte que leur système financier est totalement fictif et arbitraire ?) ; et falsification par une consommation basée sur la création de besoins inutiles qui n’existeraient pas sans marketing pour les servir eux et pas nous.

Dans l’immédiat, il faut pourtant maintenir la population à flot par des mesures économiques. Le plan de relance à quelques centaines de milliards proposé par Merkel et Macron pourrait y répondre. Mais, derrière cette somme se cache encore la dette qu’ils annoncent une nouvelle fois comme devant être remboursée. Par qui ? Pourquoi serait-ce toujours les mêmes qui paieraient ? Il n’est pas légitime que ce soit nous qui la remboursions3. Entendons-nous parler d’une taxation du patrimoine, de la mise à contribution des riches, de l’effacement de la dette ou de sa répudiation ? Non ! Et pourtant, des économistes proposent ces solutions4. Même Alain Minc, fervent néolibéral, prône la dette à perpétuité parce qu’il devient dangereux d’augmenter la pression de l’austérité.

L’argent se crée facilement et autant qu’ils en veulent, nous l’avons vu en 2008, en 2010, en 2015 et maintenant. Mais, si cet argent est créé, ça n’est, pour l’instant, pas pour construire un monde meilleur mais pour maintenir le système qui les arrange. Pourquoi devrait-on s’arrêter là comme si l’avant serait l’après ? Macron nous a fait croire qu’il s’attaquerait au système mais en fait c’est à notre mode de vie qu’il s’attaque : distanciation, traçage, dette, chômage, misère, état d’urgence. Non !

Le système est arrivé en bout de course, il faut le remplacer. Et puisque l’argent peut être créé et que les riches et les patrimoines peuvent être mis à contribution, créons immédiatement ce qu’il faut pour construire le monde d’après dans lequel les crises seront atténuées.

Trois conditions sont à réunir pour que cela change :

Poser les principes du monde d’après

Avant de trouver des idées à la foire du grand remue-méninges, il convient de redonner du sens et une direction au monde d’après. Cela se fait en déterminant des valeurs, en évaluant les moyens réels dont on dispose, en pratiquant une éthique du bien commun en ce qui concerne la recherche, la production et la consommation. A une démocratie réelle doit correspondre une nouvelle Constitution. Les méthodes et les objectifs sont déterminés en adéquations aux valeurs, aux moyens et à l’éthique.

Les valeurs à mettre en avant sont d’ordre écologique, humaniste et démocratique pour remettre du sens là ou il n’y a que productivisme et consumérisme débridés.

Les moyens reposent sur la nature qui est le commun d’excellence. Les biens communs peuvent aussi recouvrir des réalités sociale, culturelles ou politique : la solidarité, les langues et les patois, les savoir-faire, la démocratie… Ils peuvent aussi relever de conventions ou de constructions : la monnaie, l’Internet, les services publics, les voies de communication, les transports en commun…

Dans un monde qui souffre de surconsommation, de pollution, d’extermination d’espèces animales, sauvages d’une surpopulation d’animaux encagés et gavés d’antibiotiques, l’avenir est à la frugalité parce que la terre, l’eau et l’atmosphère ont besoin de se régénérer et qu’une partie du monde ne peut continuer à tenter de survivre tandis que l’autre vit dans une débauche de futilités et de caprices.

L’éthique concerne la recherche, la production et la consommation. Nous devons refuser la loi selon laquelle tout ce qui est techniquement réalisable sera réalisé, quoiqu’il en coûte moralement. Les dispositifs éthiques doivent précéder la recherche et la production.

Le peuple doit être décisionnaire à tous les échelons de la Nation, de la société et de l’entreprise que ce soit en tant que citoyens, usagers, salariés.

Les méthodes ne doivent plus suivre le mot d’ordre de la rentabilité mais de l’utilité et de la prévention et du respect de la terre. Le circuit court, l’économie circulaire et l’économie de l’usage devraient être la règle de la production ; le travail mieux partagé et internalisé à l’économie ; l’élaboration des projets, faire l’objet d’une démocratisation afin que nul ne soit laissé de côté, dans l’ignorance ou exploités.

Le monde d’après sera certainement beaucoup plus simple mais plus en symbiose. La transition écologique va nous tourner vers une autre activité moins « rentable » au sens où on l’entend aujourd’hui mais plus efficiente dans son impact écologique. La frénésie de la surconsommation va être remplacée par une vie plus sobre mais aussi plus solidaire, plus saine, plus culturelle. Si les organisations macro-économiques sont encore utiles, leur rôle ne consistera plus à complexifier le système financier mondial pour lui permettre de croître dans une économie fictive. Ces organisations n’auront qu’à gérer le réel, ce qui est beaucoup plus simple pourvu que l’exploitation des ressources, la consommation et la production de déchets soient revenues à un niveau acceptable en production carbone, c’est-à-dire proche de la neutralité d’un point de vue production / absorption.

Bien des choses existent déjà que le capitalisme tolère : circuits courts ; sociétés coopératives de production ; économie circulaire ; monnaies locales complémentaires, systèmes d’échange local ; économie sociale et solidaire ; logiciels libres ; AMAP ; solidarité intergénérationnelle ; systèmes d’échange locaux ; groupements d’achats communs ; réseaux de partage, pair à pair ; coopératives, mutuelles ; entraide, etc.

 

L’hypothèse du développement résilient

Le Programme des Nations Unies pour le développement a défini un « développement durable résilient au changement climatique »5. Mais nous savons que ce développement n’est qu’un pis-allé du capitalisme car il intègre les technologies, la recherche et la mondialisation pour « faire plus et mieux avec moins »6 (entendez produire plus pour consommer plus). Le développement durable tel que le conçoit le capitalisme est fait pour alimenter la croissance. Remplacer le parc automobile pétrolier par le même parc électrique est une arnaque : elle conserve le principe du véhicule individuel et tout le modèle qui va avec.

Le développement résilient c’est bien plus que cela : il combinerait plusieurs concepts comme l’économie solidaire et sociale, l’économie bleue (100 % des déchets comme matière première) et l’économie d’usage, l’économie circulaire en circuits courts, la démocratie et la dynamique des écosystèmes. C’est un développement qui permettrait d’atténuer et de prévenir les risques qu’encourent les écosystèmes et la société, de résister aux chocs et de retrouver un équilibre après la survenue d’une crise (écologique, sanitaire, sociale, économique). Il ne peut survenir qu’avec la décroissance des consommations et des pollutions.

La généralisation d’une économie solidaire et sociale commence par exiger à ce que toutes les entreprises se tournent vers une utilité d’intérêt général, d’abord sur un secteur puis sur l’ensemble de leurs activités. Les productions de la futilité7 seraient interdites.

La mise en place d’une économie des communs suppose de passer à la généralisation de la propriété partagée. Les communs sont des ressources d’intérêt général qui ne peuvent faire l’objet d’une propriété absolue parce qu’essentiels à la vie de la Nation ou parce que ce sont des ressources naturelles qu’il faut utiliser avec parcimonie8.

La mise en place de l’économie bleue9 se base sur les principes de l’économie circulaire et des circuits courts, et fait reposer toute production sur les déchets en tant que matière première. La recherche doit être accentuée pour que dans moins de 30 ans, la production se fasse uniquement à partir des déchets.

Ces différents systèmes ne sauraient remplacer à eux seuls le système capitaliste et son système monétaire, spéculatif et bancaire qui a divisé le monde entre exploiteurs et exploités. Exploiteurs de la nature, du vivant et de l’humain. Exploité comme esclave à la corvée ou à la consommation. Cette division du monde doit cesser car elle est source d’inégalités et de destructions. Pour cela, le système de développement résilient devra opter pour la propriété d’usage, limiter le profit financier et la possibilité de crédit.

Afin de garantir le développement résilient, la manière de gouverner est prépondérante. Celle-ci devra s’appuyer sur la primauté du peuple et la démocratie réelle à l’aide d’assemblées citoyennes face aux autres assemblées institutionnelles.

La vie au temps du développement résilient

Le chômage est certainement le pire des maux dans une société. Le travail ne manque pas, mais des gens par millions sont cantonnés à l’inutilité pour des motifs purement financiers. Il n’y a que deux solutions pour résoudre le problème du chômage : un État social qui crée l’emploi, favorise l’embauche ; et l’internalisation de tout le travail et non du seul « emploi qui rapporte ». Ce travail externalisé actuellement c’est, par exemple, toute l’activité bénévole, l’éducation des enfants par les parents, le nettoyage de la nature, l’investissement citoyen, l’entraide… Passer à un système dégagé des contraintes du capitalisme permettrait de retrouver les valeurs humaines du travail et que chacun soit certain qu’il est utile.

La prévention des risques d’un pays, c’est avant tout ne pas être dépendant des autres. C’est pourquoi l’autosuffisance sur les secteurs essentiels doit être assurée : l’alimentation de base, la santé préventive, le numérique et l’énergie.

Si les trois premiers secteurs cités sont réalisables en France ou avec l’Union européenne, l’énergie pose beaucoup plus de problèmes car tout le système actuel repose sur une surconsommation énergétique. Les énergies renouvelables comme les éoliennes, le photovoltaïque ou la biomasse sont des solutions qui nécessitent encore beaucoup de recherche avant qu’elles ne soient vraiment performantes10 11. Quant à l’énergie nucléaire, elle est extraordinairement polluante par certains de ses déchets actifs pendant plusieurs milliers d’années. En fait, toute énergie produite pose de gros problèmes à l’environnement parce que plus dépensière en moyens de production (consommation d'énergie primaire, atteinte à la biodiversité, pollution) qu'en résultat. L’énergie hydraulique suppose qu’on extermine des écosystèmes pour fabriquer les barrages. La géothermie offre de vraies solutions. Afin d'absorber le carbone produit par notre système de développement, les solutions sont donc : consommer beaucoup moins d’énergie ; reforester partout sur la terre ; végétaliser les zones urbaines.

Le scénario négaWatt est pour l’instant le seul qui paraît tenable et réalisable. Grâce à l’application systématique des deux premiers piliers de sa démarche, il est possible de diminuer significativement notre consommation d’énergie tout en maintenant une vie confortable :

Les mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques, le nettoyage de la nature et la reconstitution des écosystèmes généreront une activité très importante.

Une urbanisation résiliente remodèlera les villes surpeuplées. La ville doit réintégrer la végétation. La nature doit regagner sur l’artificialisation des terres et toute terre artificialisée doit être compensée d’une surface équivalente végétalisée : murs, toits, routes… Afin de réduire l’impact au sol des habitations, l’habitat collectif doit être développé.

Dans ce monde nouveau et afin que la paix puisse durablement s’installer autrement que par la bombe atomique, l’éducation devra privilégier la coopération à la compétition. Dès le plus jeune âge l’expérience démocratique sera introduite à l’école.

L’État sera social garantira une vie décente pour tous en libéralisant le travail salarié, en veillant à ce que tous les travaux utiles soient accomplis et en garantissant un revenu d’existence pour tous. L’organisation de la société consistera à partager la semaine ainsi :

Tout part de la base

Tout part de la base, et nous devons nous accrocher à cette solidarité et à cet esprit de responsabilité dont nous avons fait preuve récemment. Le processus de démocratisation et de libération de l’étau capitaliste ne peut venir que des personnes, des organisations professionnelles et non gouvernementales, des associations en tous domaines, des entreprises écoresponsables… Chacun peut agir là où il est :

1 – Salarié ou travailleur indépendant (refuser des actions douteuses, alerter les syndicats).

2 – Consommateur (choix de produits ou des magasins écoresponsables, boycott).

3 – Épargnant (choix de banque éthique).

4 – Citoyen (demander des engagements aux candidats pendant les campagnes électorales, interpeler son député régulièrement, s’impliquer dans sa commune).

5 – Membre d’associations, de syndicat ou de parti politique en formulant des propositions et en se formant en permanence.

6 – Initiateur de projets ou micro projets d’intérêt général.

7 – Organisateur ou signataire de pétitions électroniques. Elles sont de plus en plus efficaces.

8 – Membre de réseaux sociaux (on peut toujours partager sur Facebook ou autre des expériences ou des idées novatrices), etc.

9 – Ceux qui ont la chance de connaître des journalistes peuvent aussi les sensibiliser sur des sujets importants pour qu’ils rédigent des articles.

10 – Dans tous les cas la lecture de la presse, d’internet, des réseaux sociaux, etc. permet de former sa pensée, de mieux comprendre ce qui se passe, et de jouer pleinement un rôle de citoyen.12

Le peuple doit reprendre sa souveraineté confisquée par un pouvoir qui a démontré son immaturité. Nous sommes 99 % et eux, l’élite confiscatoire, 1 %.

« Non seulement la caste des ultra riches ne cédera rien de rien, mais qui plus est, après avoir testé grandeur nature la capacité de plus de la moitié des populations de la planète à se soumettre à leur AUTORITÉ, ils démontrent jours après jours leur volonté de pousser encore plus loin toutes les nuances du mépris qui est le leur à l’égard de chaque peuple. À nous de savoir si nous jouons petit bras ou pas… » (Frédéric Lordon).

A chacun de s’impliquer là où il est. Avec opiniâtreté. Prêt à reprendre le pouvoir.

 

1Effondrement, le début de la fin (nov. 2018)

2Jean-Marie Harribey

3Jean Gadrey (2012)

4Gaël Giraud, François Chesnais, J-Luc Mélenchon,

5Élaboration de stratégies pour un développement résilient au climat et sobre en émissions

6Nations Unies Les 17 objectifs du développement durable

7Définies par les dispositifs éthiques

8Nantes en commun.e.s

9L’économie bleue (Wikipédia) ; L’économie bleue (Nations unies)

10Planète des humains ou Comment le capitalisme a absorbé l’écologie (Jeff Gibbs, Michael Moore)

11Le taux de retour énergétique, une mesure de l’efficacité sociétale des sources d’énergie

12Comité Pauvreté & Politique


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