« Penser est le courage du désespoir »

par alinea
mercredi 22 juillet 2015

La Grèce éternelle

Eh oui, encore, éternellement.

(Au prétexte d'une tribune de Slavoj ZiZek)

 

La Grèce actuellement illustre de manière magistrale quelques lois de la nature - que j'aime à nommer ainsi parce qu'elles sont suivies par tous les êtres vivants, ou presque- ; on peut penser aux illusions, cette croyance au bon sort que toute bête qui lutte pour vivre est prête à prendre pour argent comptant. On peut penser à la confiance en soi, en nous, qui nous donne l'énergie de la lutte, mais parce que l'on se sent fort parce que dans son bon droit. On peut penser à tous ses besoins primaires, de plaisirs et de joie, de jeux et d'amours, qui nous font occulter tant qu'on peut la menace, tant qu'elle a pas de contours définis. Quoique ceci s'adresse plus au mammifère humain qu'à tout autre.

Mais cette loi universelle et jamais démentie, très humaine celle-là, est celle à laquelle se soumet le pouvoir qui va toujours plus loin, qui va toujours trop loin, jusqu'à se découvrir, jusqu'à chuter. On le sait, aucune exception à cette règle.

La Grèce a dévoilé ceci au plus grand nombre ; on ne peut pas s'y soustraire, faire comme si... tout était normal, habituel ; non, nous savons tous que ceci n'est pas normal, donc c'est inacceptable. Une borne a été franchie de manière claire c'est-à-dire incontestable : au bout de quatre, cinq ou six lustres, des voix s'exclament, avouent : Foin de la démocratie en Europe ! Quelle foutaise, non mais !

Et ça, cette sortie, c'est grâce à la Grèce ; tu ne pourras pas dire que tu ne savais pas...

Le pouvoir qui s'autorise ceci sans censure ni prudence est... un pouvoir « au bout » ; vous me direz des dictatures ont duré des décennies, durent encore, en toute connaissance de cause mais avec des moyens policiers, ou économiques, qui interdisent toute rébellion, toute alternative. On peut penser - ou espérer- que notre passé « démocrate » empêchera ce durcissement « traditionnel » d'un pouvoir arbitraire absolu ; encore faut-il qu'on en admette le risque et que l'on agisse en fonction. Certes il nous est difficile de dessiller, en tout cas pour nombre d'entre vous qui ont depuis longtemps les yeux ouverts et néanmoins la soupe au coin du feu le soir. Aucun pouvoir ne s'effondre avant longtemps de décadence et sans chaos. On pourrait se donner ce défi, faire en sorte d'alléger la décadence et de juguler le chaos.

Non, il ne faut pas rêver, je ne rêve pas mais, par superstition, je me serais méjugée de ne pas l'évoquer.

Il y a une autre chose aussi ; si l'on veut bien prendre, tête refroidie sans la glacer, le cas de la Grèce comme un cas d'école, il faut s'y attarder. C'est un peu comme dans n'importe quel effort physique : on part de bon train, curieux et plein d'énergie, puis la fatigue ou l'ennui se pointe et l'on est prêt à interrompre ; alors, si notre mental ne nous encourage pas à poursuivre – fais un effort, c'est quelques minutes inconfortables à passer, puis la suite sera sans douleur et le résultat, un bonheur- on s'arrête, pour passer à autre chose, qui nous fera oublier notre paresse ; tous ceux qui font du sport, ou des activités physiques plus prosaïques bien que plus utiles le savent, le moment vient du coup de pompe, qui nécessite un coup de collier pour continuer, car sans cela, pas de récompense ; le mouvement, le geste, le premier effort, seront restés un passe temps vite oublié. Apprendre, c'est aussi répéter, oublier, revenir ; oui, de la persévérance et du temps sont nécessaires pour sortir de la facilité offerte du surf- sur-net !!

Nous en sommes là pour la Grèce, et l'UE, et l'Europe et le monde ; on peut passer cela aux oubliettes des actualités obsolètes, ou bien, au contraire, s'y pencher désormais avec notre plein de données, du temps, la tête reposée et le cœur au sec.

Il est évidemment important dans cette deuxième étape, d'oublier toute vérité indéboulonnable scellée au cours de la première, et se rendre disponible et abandonné aux idées, aux pensées, aux constructions et aux remèdes qui pourraient apparaître, du fait de cette ouverture.

Oublie ce que tu sais, nous dit Krishnamurti, sous la forme de « se libérer du connu ». Se libérer du connu, ou de quoi que ce soit, n'est pas oblitérer ; c'est le poser comme litière, ouvrir la porte et regarder dehors.

On peut penser aussi : approfondir le connu, l'avoir ausculté, malaxé, reposé, trié, façonné, mémorisé, intégré.

Il y a bien longtemps, j'écrivais que l'humain, occidentalis en tout cas, était très agaçant de toujours se regarder le nombril, l'étudier sous toutes ses faces, le disséquer ; qu'il le critique ou qu'il le glorifie, l'homme s'occupe de lui-même, avec lui-même, face à lui-même. C'est lassant, ennuyeux parce que, depuis le temps, rien de nouveau survient dans son regard ni dans sa manière de l'exprimer. D'autant plus qu'il semble qu'aucune leçon ne soit tirée d'aucun événement, d'aucune situation.

Je parie que l'abstention ne sera pas plus importante aux prochaines élections alors que l'on a bien entendu que des élections ils se fichent ; on le comprend bien, à 28 ou 29, avec chacun son calendrier. Ne pas voter ne changerait rien à la situation, quoique, mais ce serait une manière d’affirmer que l'on sait que ce n'est pas par ce biais que nous ferons quelque chose.

D'abord, il faut se dire qu'il nous faut faire quelque chose ; c'est pas encore gagné !

 

Je vous donne en lien la tribune de Slavoj Zizek ; mais je sais que vous ne l'ouvrirez pas et comme on ne peut pas synthétiser une pensée sans la trahir, je n'en prendrai qu'un point ou deux.

Giorgio Agamben, philosophe italien, dit : « La pensée est le courage du désespoir ». Cela m'a paru intéressant, peut-être parce qu'en trois mots il décrit la pauvre petite place que j'occupe : désespoir sans abandon.

Le vrai courage n'est pas d'imaginer une alternative, nous dit Zizek, rêver d'une alternative c'est faire preuve de lâcheté intellectuelle.

Je dirais d'autant plus que les quelques alternatives que l'on voit éclore sont fantaisistes ou illusoires, aussi loin du réel qu'il est possible, cependant que « dégager » l'affaire pour retourner aux siennes, est une lâcheté tout court. Ce réel se dévoile mais existait, le courage est d'y faire face, déjà par la pensée. Or on nous balade d'un point à l'autre nous laissant tout le loisir de s'y arrêter pour arrêter notre cheminement ; on dira Tsipras est un traître, un vendu, ou bien a fait ce qu'il a pu ; bien, et alors ? On dira il faut bien que les Grecs payent pour leur laxisme ; bon, déjà on voit l'appartenance au système qui nous accable comme on le ferait d'un état « naturel » ; les lois divines ou laïques réclament obéissance, la meilleure étant celle, tellement intégrée, qu'elle en est devenue inconsciente. Mais le bout de ces remarques, c'est que Tsipras vendu ou « pur », n'a rien pu ! Et c'est bien dans ce choix que l'on fait pour soi, alimenter nos déjà certitudes, que se situe le réel : on ne peut s'opposer mollement à ce système qui nous pieuvre, ne comptons donc sur personne, et l'avenir qui a toujours été un terrain qu'on pensait pouvoir modeler, se révèle un inconnu contre lequel on ne peut rien opposer mais avec lequel il nous faudra composer. Avoir confiance en l'un, qui perd, donc nous trahit, ou n'avoir pas eu confiance et se réjouir aigre de sa chute, cela n'a aucune teneur, aucune importance. C'est une occupation qui nous éloigne de nos responsabilités.

Je trouve étonnant cette ressemblance entre notre situation créée toute entière par l'homme et la situation des anciens entièrement dépendants des « caprices » de la Nature, plus encore que dépendants des caprices des hommes ! C'est comme si la proportion s'était inversée ; de la nature, tous autant qu'on est, on peut, enfin, semble-t-il, se prémunir. Mais de quelques clampins, non. Notre ignorance et notre impuissance ont changé d'habit, mais sont bien là, identiques en cachette. Cela nous renvoie à notre insignifiance tandis que je perçois nos patauges verbales comme autant de moulinets faits par nos bras sémaphore au milieu d'un nulle part marécageux.

J'y vois, pour ma part, l'obligation qui nous est faite de démolir notre œuvre pour sauver nos vies ; après tout c'est bien la seule chose que nous ayons, la vie. Rien ne devrait nous faire peur.

Et pour démolir cette oeuvre - et chacun sait qu'un seul traître pour cent héros et mille combattants fait capoter la bataille-, puisque nous supportons ce monde, sur notre dos, faisons un pas de côté, redressons-nous autant que possible, élargissons en les éclaircissant nos rangs, et ce monde s'écroulera, puisqu'il ne tient que sur notre acceptation.

J'en reviens au texte de Zizek, où il dit que nous sommes plongés dans l'absurde, cet absurde qui fait que les Grecs après avoir rêvé et voté pour voir changer la donne, se retrouvent plus étranglés que jamais sans plus de perspective qu'un enfer à perpétuité. Or c'est de cet absurde que viendra le salut. Mais pas par volonté ou combat idéologique, par nécessité ; la nécessité, après bien des morts parfois, toujours ouvre une porte, fait briller une lumière, comme par magie. L'évidence se fait jour. Il faut juste être prêt.

 

« L'attente n'est pas un espoir vide. Elle a la certitude intérieure d'atteindre son but. Seule cette certitude intérieure donne la lumière qui conduit à la réussite. »

par exemple, cette interprétation, entre autres :

http://culturesetjacheres.kazeo.com/yi-king-livre-des-transformations/stratageme-16-hexagramme-5,a1584187.html

 

et puis, pour terminer, s'abandonner ou bien s'évader, nos sens aux premières loges...

 

et la lecture, par exemple...

http://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20150720.OBS2830/exclusif-le-courage-du-desespoir-par-slavoj-i-ek.html

 


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