Petit abécédaire filloniste du berceau à la tombe : R comme RETRAITE

par carnac
samedi 17 décembre 2016

Au fur et à mesure que le projet de la droite filloniste se précisera, et il est par bien des aspects paradoxal, je me suis proposé de rédiger une chronique des interrogations qu’il suscite par le biais d’un abécédéraire. AUJOURD’HUI « R » comme « RETRAITE »

S’il y a bien un point qui hérisse l’ensemble du spectre électoral c’est bien la question des retraites qu’on tienne aux régimes spéciaux ou qu’on n’en veuille plus.

Que nous dit Monsieur FILLON sur ce point : surprise ! aucun chapitre ne traite spécifiquement et didactiquement de la retraite dans son livre. Il faut donc décortiquer l’ensemble de l’ouvrage pour comprendre son point de vue sur la question.

On trouve donc des éléments de réflexion et des décision arrêtées qui entrent dans ce thème dispersés dans différents chapitres ce qui ne permet pas un clair exposé de leur motivation. Après les avoir répertoriés je me propose donc de commenter ces éléments de réflexion et les décisions d’ores et déjà arrêtées.

Dans le chapître XXV les trois mois qui changeront la France Monsieur FILLON opte « pour la réunification des régimes de retraite des secteurs publics et privés » mesure prise entre « Juin et Septembre 2017 »

Quelles mesures pour rendre le niveau de sa retraite aisément calculable par n’importe qui à tout moment de son cursus professionnel  ? A cette question Nathalie Kosciusko-Morizet avançait un calcul de la retraite par points. Dans le débat Monsieur FILLON lui a négligemment rétorqué que c’était une « simple modalité », bref que la hauteur de vue d’un président ne s’arrête pas à ces détails et pourtant chacun d’entre nous sait que c’est essentiel si on veut prendre des décisions appropriées à notre situation

En fin du chapitre VI qui commente l’action de François Hollande , Monsieur FILLON précise qu’il supprimera la législation sur la pénibilité tout en reconnaissant qu’il existe des disparité d’espérance de vie liées aux activités professionnelles et de citer les personnes exposées aux intempéries :

« agriculteurs, couvreurs, maçons vivent en moyenne moins longtemps que les autres ».

Quelles dispositions prendre pour une équité de traitement des personnes au parcours professionnel physiquement éreintant ? silence radio, on constate, on ne propose RIEN : il est vrai que plus on meurt jeune retraité et plus c’est budgétairement intéressant pour la société …

Quid du départ anticipé des personnes ayant des carrières longues : essentiellement des personnes qui ont commencé à travailler tôt et cumulé beaucoup plus de trimestres cotisés que la norme ? Vous ne le saurez pas non plus, silence radio.sur cette question de pure équité.

C’est d’autant plus inquiétant que parallèlement Monsieur FILLON supprime le « principe de précaution, pour un principe de « responsabilité » dans le chapitre XI intitulé « objectif plein emploi » 

autrement dit pas de prévention mais de la réparation quand l’ouvrier est … mort ?

Monsieur FILLON se focalise sur la question strictement budgétaire de l’équilibre de la sécurité sociale en fin du chapitre IX intitulé « reprendre la maîtrise de notre destin »,

« les retraites représentent la moitié des dépenses publiques » et « 14% du PIB contre 10% en moyenne dans les pays de l’OCDE »

Faut-il donc s’attendre à une stagnation des retraites jusqu’à ce qu’elles soient redescendues à 10% du PIB, silence radio, cher « anciens » actuellement en retraite vous ne le saurez pas …

Seule disposition claire de ce chapitre : un départ en retraite à 65 ans mis en place dès les premiers mois du quinquennat dans des modalités non précisées.

 « Rien ne peut justifier de payer à crédit nos retraites alors que nous pourrions les financer par nos propres efforts en travaillant plus longtemps. C’est pourquoi je veux que nous reportions l’âge l’égal du départ à la retraite à 65 ans » en raison de l’augmentation de l’espérance de vie et pour calquer les dispositions prises dans de nombreux pays européens

Notre système de retraite étant un système de répartition où les jeunes paient la retraite des ainés en travaillant il est important de vérifier que la démographie ne connait pas de baisse , sur ce point Monsieur FILLON nous rassure :

Dans le chapitre XII « croire au progrès Monsieur FILLON précise qu’un des facteurs de notre « puissance » c’est le « nombre et la jeunesse de la population » et que nous sommes reconnus encore « comme l’une des nations dont les travailleurs sont les plus performants » . Nous ne sommes donc pas des assistés permanents comme on tente de le faire croire.

 

Comme Monsieur FILLON n’a pas pris le temps de traiter du sujet des retraite sur un mode non clivant, je vais m’y essayer en vous donnant tout d’abord quelques indications historiques :

 

La France a été très en retard en matière de sécurité sociale et de retraite en particulier. Ce n’est qu’en 1945 que la retraite d’Etat a été instituée et encore, pas pour tous les métiers, alors qu’en Allemagne, de façon assez surprenante, c’est Bismarck qui l’a instituée à partir des années 1870 lorsqu’il s’est allié avec les libéraux modérés.

Donc la sécurité sociale française a près d’un siècle d’existence de moins qu’en Allemagne … ce qui explique certaines tensions actuelles ...

En effet dans les années 1870 la France n’était pas un pays fermé et les ouvriers connaissaient parfaitement l’existence de dispositions sociales intéressantes outre Rhin. C’est pourquoi ils ont obtenu, non sans de rudes batailles, et, dans les grands secteurs industriels exclusivement, la mise en place de la sécurité sociale et progressivement de la retraite .

Ainsi "les mines" avaient un régime de retraite bien avant 1945. Les transports, notamment ferroviaires, dont les conventions collectives étaient calquées sur les mines aussi.

Ces régimes sont demeurés des « régimes spéciaux ».

Certains régimes spéciaux ont périclité d’eux-mêmes c’est le cas des Mines fermées pour la plupart sur notre territoire. D’autres régimes spéciaux se sont maintenus puisque l’activité demeurait, c’est le cas de la SNCF.

Question pourquoi se sont-ils maintenus après 1945 ? parce que le régime de la retraite d’ETAT a été au sortir de la guerre si mal doté que la plupart des des régimes spéciaux traitaient mieux leurs vieux salariés et il y a eu accords entre le patronat et les ouvriers pour les maintenir.

C'est donc l’histoire qui explique la situation actuelle et c’est une manipulation indigne d’un dirigeant que de dresser les français les uns contre les autres sur ce sujet.

Je fais donc le reproche à Monsieur FILLON de surfer sur la méconnaissance du sujet par les citoyens tout en parlant d’équité …

Reprenons notre historique : depuis 1945 les choses ont changé, et, objectivement les régimes spéciaux ont désormais peu de différences par rapport à la retraite d’Etat. L’idée de réunir les caisses du public et du privé n’est donc pas insensée car cela en facilitera la gestion et de ce point de vue j’en suis d’accord avec Monsieur FILLON.

Je donne un exemple : l’Etat n’a pas cotisé pendant longtemps sur les primes salariales des fonctionnaires et en contrepartie les autorisait à partir plus tôt pour pouvoir compléter leur retraite par un travail dans le privé. Si l'Etat cotise sur l’intégralité du salaire, primes comprisesn il n’y a plus aucun problème on peut unifier les deux régimes.

Cependant pourquoi MonsieurFILLON ne parle-t-il pas de la multiplicité des régimes privés de retraite alors qu’on aurait là aussi beaucoup de gain de productivité à faire dans leur gestion …. Le privé est encore plus divisé que le public en matière de régimes de retraites ! Principe idéologique ? 

D’autres points d’équité ne sont absolument pas traités par Monsieur FILLON. C’est le cas des dispositions de départ en retraite anticipée que ce soit pour carrières longues ou pour pénibilité de l’emploi.

Ainsi l’état reconnait que certains métiers sont dangereux (certains postes dans la gendarmerie nationale par exemple) ou bien nécessitent une forme physique sans faille (exemple pilote de chasse). L’Etat autorise donc ses propres fonctionnaires à quitter leurs emplois plus tôt en les aidant à se reconvertir dans le privé.

En somme, l’Etat reconnait « la pénibilité » .

Monsieur FILLON la reconnait aussi dans le privé mais il ne précise nullement à l’occasion de la gestion unifiée des retraites du privé comme du public comment on traite EN EQUITE la question de la pénibilité dans les métiers tant du privé que du public.

C’est l’angle mort du projet retraite de Monsieur FILLON qui supprime EN PLUS tout le volet prévention et conditions de travail que comportait la loi « pénibilité » au point qu’on peut s’interroger sur sa volonté d’avoir, à défaut de départ en retraite anticipé , au moins une politique de prévention renforcée des accidents du travail et maladies professionnelles.

Un bon retraité serait-il un retraité rapidement mort ?

En effet Monsieur FILLON s’attaque violemment au « principe de précaution ». Il faut ici rappeler que c’est en l’absence à l’époque de « principe de précaution » que le patronat a fait travailler des ouvriers dans des usines de fabrication d’amiante sans aucune protection avec le scandale de santé publique que l’on connait qui pèse sur les comptes PUBLIC de la sécurité sociale !

Les profits dans l’affaire de l’amiante ont été pour les entreprises privées et les pertes pour la sécurité sociale …

Quid aujourd’hui de la prévention pour les salariés dans les nanotechnologies grand domaine dont Monsieur FILLON souhaite le développement : silence radio …

Autre sujet dont Monsieur FILLON ne parle pas c’est la question de la solidarité intergénérationnelle et du maintien du système par répartition.

En refusant, à valeur égale, une retraite calculée en points avec un prix du point officiel, Monsieur FILLON enlève la transparence nécessaire aux jeunes générations pour prendre des décisions éclairées et favorise une désaffection du régime par répartition au bénéfice des assurances privées.

Sur ce point rappelons le fait que notre système de retraite est très récent. Antérieurement à 1945 les enfants d’un couple s’occupaient au sens propre de leurs vieux parents et grands parents.

Ainsi dans l’habitation où vivait l’arrière grand-mère de mon mari il y avait trois appartements disctincts où vivaient trois générations de la famille.

La reconstruction du pays après 1945 a éclaté les familles, forçant, par l’exode rural, les jeunes à déménager pour trouver un travail en ville où le besoin de main d’œuvre était énorme. C’est pour cela que la retraite d’Etat a été mise en place …. Les jeunes générations trop éloignées de leurs vieux parents ne pouvaient matériellement plus s’en occuper.

La retraite par répartition c’est la copie de la solidarité qui existait autrefois dans les familles, puisque ce sont les enfants qui par leurs cotisations payent les retraites de leurs parents voire grand parents de l’année en cours.

Il n’y a donc pas lieu d’opposer « les générations » entre elles, la solidarité intergénérationnelle existe dans tous les pays à minima physiquement et dans les pays économiquement avancés par les mécanismes de retraite.

Reste à trouver la solution la plus efficace pour s’occuper dignement des anciennes générations..

Pour moi la retraite par répartition est viable parce que comme l’indique monsieur FILLON nous n’avons pas le problème démographique de l’Allemagne ou de la Chine par exemple.

La répartition lors de la crise financière de 2008 s’est révêlée bien plus efficace que la capitalisation dans des institutions bancaires toujours aussi dérégulées …. Et qui le seront plus encore avec TRUMP et par effet d’entrainement en EUROPE.

Il suffit pour s’en convaincre de voir toute la littérature relative aux retraités américains ruinés vivant dans des mobil home.

Donc la question de la retraite ne peut se résumer à faire des ajustements budgétaires sans fin, seule perspective offerte par Monsieur FILLON.

D’autant que les actuelles générations de retraités, les sexagénéraires compensent d’un coté la dépendance de leur très vieux parents âgés de 80 à 100 ans et de l’autre assurent un filet de sécurité à leurs propres enfants qui ont toutes les peines du monde à entrer dans le marché du travail.

Détruire le régime des retraites c’est priver la jeunesse et la très grande vieillesse d’une aide familiale cela méritait quand même, Monsieur FILLON, autre chose que des considérations budgétaires de court terme saupoudrée dans votre ouvrage et laissant en suspens beaucoup de questions.

J’ai essayé, chers lecteurs, de vous expliquer pourquoi le projet retraite de Monsieur FILLON m’inquiète, à vous d’en débattre.


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