Petite introduction à l’imposture freudienne

par SAOREK
jeudi 9 octobre 2014

Il suffit d'écouter ou de lire les media mainstream pour se rendre compte que le niveau intellectuel des journalistes est très bas. Leur rhétorique esthétique suffit pourtant à nous faire prendre des vessies pour des lanternes. L'acte de résistance authentique commence par la formation. Nous proposons ici une petite introduction aux fondamentaux du freudisme.

La psychanalyse freudienne a de nos jours envahit tous les domaines du savoir. Les concepts analytiques de censure, de complexe, de refoulement, etc sont devenus une grille de lecture du réel. L’analyse freudienne a atteint la dimension de dogme. Mais à quoi tient cette séduction du freudisme ? En quoi le freudisme s’oppose-t-il à l’anthropologie commune ? La nature humaine se définit-elle par l’inconscient ?

I. Aperçu du freudisme

Qu’est-ce que la psychanalyse ? Freud propose-t-il une analyse scientifique du sujet ? Sa pensée est-elle complètement nouvelle ?

Dans sa Lettre du 1er février 1900, Freud définit lui-même la psychanalyse :

1° une méthode d’investigation de processus mentaux,

2° une technique de traitement des désordres névrotiques qui suit cette méthode,

3° une théorisation de la vie psychologique : une définition de la nature humaine.

La méthode est l’association libre : le patient, couché sur un divan, dit à haute voix tout ce qui lui vient à l’esprit, même si c’est absurde, grossier, apparemment sans intérêt…

La thérapie qui suit est basée sur l’interprétation de ces dires par l’analyste.

La systématisation freudienne expliquera l’homme par l’inconscient.

A. La méthode d’investigation :

La règle des associations libres est le point de départ du freudisme. Le patient est invité à dire, sans volonté de discernement, tout ce qu’il pense… L’analyste doit alors interpréter ce que le sujet a refoulé par un processus inconscient de censure.

Ce qui suppose que le sujet est habité par une part d’inconscient, de non-lucidité. On doit donc distinguer le conscient de l’inconscient.

L’analyste opère donc la transformation des idées latentes en manifestations symptomatiques. Le signifié n’est que la manifestation déguisée d’un signifiant inconscient. Ce signifié n’est ainsi que l’émergence des désirs ultimes et inconscients du sujet. Cette traduction extérieure ne peut être que tronquée et trompeuse. La thérapie psychanalytique doit donc lever la censure.

B. L’interprétation :

Le patient résiste à exprimer ses troubles inconscients. Freud, par la suite, va mettre en place une analyse systématique basée sur le soupçon : toute opposition à sa pensée sera dénoncée comme conséquence de refoulement.

Le transfert sera de même le déplacement sur le médecin d’un désir éprouvé d’abord pour une autre personne, surtout des parents. Mais il désigne aussi la relation affective intense qui se noue dans une psychothérapie.

C. La théorisation ou systématisation :

Les malades ne sont pour Freud que les expressions exacerbées de toutes les personnes jugées « saines ». On verra ainsi Freud suspecter toutes les activités humaines en y voyant des signes de refoulement. Il explorera ainsi divers domaines : 1° la vie quotidienne, 2° les rêves, 3° la sexualité, 4° les activités psychiques supérieures.

1° La vie quotidienne :

Dans Psychopathologie de la vie quotidienne, Freud distingue trois types d’actes humains : acte symptomatique, acte perturbé, et acte inhibé.

Acte symptomatique : actions automatiques et inconscientes, tics, fredonner un air, jouer avec ses cheveux, etc. Freud affirme que ce sont là des manifestations extérieures de troubles intérieurs profonds qui échappent à la lucidité du sujet.

Ici, pas de refoulement, mais motivation inconsciente :

« Lorsque je m’imposais la tâche de ramener au jour ce que les hommes cachent, non par la contrainte de l’hypnose, mais par ce qu’ils disent et laissent voir, je croyais cette tâche plus difficile qu’elle ne l’était en réalité. Celui qui a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre se convainc que les mortels ne peuvent cacher aucun secret. Celui dont les lèvres se taisent bavarde avec le bout des doigts ; il se trahit par tous les pores. C’est pourquoi la tâche de rendre conscientes les parties les plus cachées de l’âme est parfaitement réalisable ».

Freud, Dora, fragment d’une analyse d’hystérie.

Acte perturbé : refoulement incomplet : erreur de lecture, erreur d’audition, erreur de mémoire, lapsus, méprise, maladresse, etc. Ces actes révèlent l’idée freudienne de conflit psychique et de refoulement.

Acte inhibé : refoulement complet : oubli. Certains oublis seraient ainsi des inhibitions inconscientes. Chez les gens « normaux », l’oubli est seulement cognitif. Chez les gens malades, on rencontre des inhibitions motrices inconscientes : symptômes hystériques.

Hystérie = dysfonctionnement psychique manifeste

Topique 2 : ça, Moi, Surmoi

2° Les rêves 

La théorie des rêves est centrale en psychanalyse freudienne. Il considère L’interprétation des rêves (1899) comme son ouvrage majeur :

« L’interprétation des rêves est la voie royale qui mène à la connaissance de l’inconscient dans la vie psychique ».

Le rêve est en effet pour lui un symptôme psychique : le sens authentique du rêve échappe à la conscience du sujet. Et ce sens est à chercher dans des désirs inconscients. Le processus d’élaboration des rêves suit des lois : condensation, déplacement, dramatisation, symbolisation, élaboration secondaire.

La thèse principale de Freud : l’essence du rêve est la satisfaction hallucinatoire d’un désir refoulé.

3° La sexualité :

La théorie de la sexualité est la partie du freudisme qui a connu le plus de retentissement. Freud propose une analyse des stades de la sexualité jusqu’à l’âge adulte. Pour Freud, la personnalité du sujet s’élabore autour de la libido en présence de trois instances contradictoires : le ça – ensemble des pulsions et des instincts qui poussent le sujet à satisfaire ses besoins primaires ; le surmoi – ensemble des habitudes acquises formatées par les normes de la culture dont les effets inconscients pressent le Moi pour contenir le ça. Le surmoi sera donc cette instance de censure qui force le moi à s’adapter à la réalité de la vie.

Freud affirme que le sujet ne éviter une régression au cours des l’évolution (psychogénèse) des stades qui engendrera une névrose (manifeste ou latente).

La maturation de l’enfant passe aussi par le fameux complexe d’Œdipe : association du désir sexuel pour le parent du sexe opposé et du désir de la mort du parent du même sexe.

Freud fait de ce complexe un processus universel qui s’applique à tout homme toujours et partout. On peut nommer le système freudien un pansexualisme.

a. La femme chez Freud :

Freud croit à l’infériorité naturelle de la femme : selon lui, sa moindre curiosité intellectuelle provient d’un refoulement sexuel plus intense. Obsédée par le complexe de castration, elle serait aussi naturellement masochiste…

Ce complexe de castration est également selon Freud universel. Il influence les rapports entre les hommes et les femmes.

b. La pulsion de mort :

Eros est lié à l’instinct de vie. Thanatos, son contraire, est son antagoniste : l’instinct de mort qui nous habite.

La pulsion d’agression est la manifestation extérieure de la pulsion de mort.

« La doctrine des pulsions est, pour ainsi dire, notre mythologie. Les pulsions sont des êtres mythiques, grandioses dans leur indétermination. Au cours, de notre travail, nous ne pouvons à aucun moment cesser d’en tenir compte et cependant nous ne sommes jamais certains de bien les saisir ». (GesammelteWerke, tome 15, p. 101).

4° Les activités psychiques supérieures :

La libido est à la racine de tous les comportements humains, mêmes les plus spirituels…

Ce que Freud nomme la sublimation est l’aptitude du sujet à substituer au but sexuel exclusif d’autre buts non-sexuels : religion, art, morale, culture ne sont que des buts sexuels déguisés pour Freud.

« Une grande partie de notre trésor de civilisation, si hautement prisé, s’est constitué au détriment de la sexualité et par l’effet d’une limitation des pulsions sexuelles » (Abrégé de Psychanalyse).

Il faut savoir que l’attitude agressive de Freud face à toutes les formes de croyances religieuses ira en s’accentuant.

Ce que l’on nommait depuis des siècles conscience morale n’est qu’un avatar du surmoi.

 

DISCUSSION :

1° Quel bouleversement Freud opère-t-il dans sa définition de la nature humaine ?

- L’être humain se définit par ses appétits pulsionnels exclusivement.

- La partie inconsciente est primordiale.

2° Quelles sont les conséquences concernant l’agir humain ?

- L’être humain perd sa liberté.

- Et L’être humain perd sa responsabilité.

« L’homme n’est plus maître dans sa propre maison » Freud

3° Freud était-il vraiment un scientifique objectif ?

4° La psychanalyse n’est-elle pas réductrice ?

5° La psychanalyse donne-t-elle des résultats probants ?

II. Freud scientifique ?

1° Freud reconnaît qu’on ne peut séparer son œuvre de lui-même…

« Je ne suis ni un véritable homme de science, ni un observateur, ni un penseur. Par tempérament, je ne suis qu’un conquistador… » (Lettre du 1er février 1900).

Son parcours intellectuel :

« La doctrine de Darwin, qui était alors d’actualité, exerçait sur moi un attrait puissant, parce qu’elle promettait une extraordinaire avancée dans la compréhension du monde, et je sais que c’est l’exposé du bel essai de Goethe La nature (….) qui décida de mon inscription en médecine… » (Selbstdarstellung, 1925).

Plus tard, il reconnaît ne pas avoir de dons naturels pour les analyses rationnelles (Lettre, citée par E. Jones dans La vie et l’œuvre de S. Freud, Tome 1, p. 43).

Mais Freud veut obtenir un poste à l’université de Vienne pour faire carrière. Deux chimistes allemands venaient de découvrir la cocaïne. Après l’avoir goûtée, Freud note qu’il s’agit d’une substance « magique »… Il en procure d’ailleurs à sa fiancée et à ses amis. Son article Uber Coca (1884) lui vaut une grande notoriété dans le monde médical : était-ce là le remède miracle ?

Cependant, la presse européenne dénonce les ravages d’intoxications graves et d’addictions. Freud contractera lui-même cette dépendance jusqu’à sa mort.

En 1885, il séjourne à Paris (Salpêtrière). Sa rencontre avec le célèbre neurologue Charcot sera décisive. Par la suite, Freud aimait se dire l’élève de Charcot. Pourtant, il ne le fréquenta pas plus de trois mois. C’est Charcot en effet qui initia Freud à l’hypnose comme moyen de traitement de l’hystérie. Certains (J. Van Rillaer, Les illusions de la psychanalyse, 1980) dénonceront « ces sables mouvants qui permettent quasi n’importe quelle construction théorique ».

La renommée se fait attendre et il mettra dix ans à systématiser sa nouvelle psychologie humaine. Il peine dans son travail : « C’est contre mon gré que je suis devenu thérapeute » (Lettre du 2 avril 1896 à W. Fliess).

Freud souffrait de neurasthénie. Ses troubles affectifs et relationnels vont aller en s’aggravant jusqu’à souffrir d’une forte dépression.

Par ailleurs, il se rend compte des limites de sa théorisation (Sigmund Freud présenté par lui-même, p. 57-58) mais continue néanmoins à utiliser la libre association d’idées mais à partir de son expérience intime et en généralisant à partir de celle-ci (Percival Bailey, Sigmund le tourmenté, 1976, p. 72).

Il reconnaît en même temps que s’appuyer sur les récits invérifiés et de toute façon invérifiables des malades pose problème, surtout quand il s’agit d’enfants. Il continua alors à fonder sa théorisation sur sa propre analyse. Il conclut que sa généralisation est « plausible » (S. Freud, Œuvres Complètes, t. 13, PUF, 1988, p. 274).

Cette auto-observation pose la question de l’objectivité. On sait qu’il usait de cocaïne de façon régulière. Certains (Gabriel Nahas, La pensée blanche du XXème siècle, 1992) parle plutôt d'un roman psychologique.

2° Une théorisation réductrice ?

Le problème de la psychanalyse à sa naissance est la fiabilité des cas présentés comme points de départ. Car Freud ne distingue pas clairement les faits et ses déductions interprétatives. Sa lecture de la nature humaine est exclusivement biologique et mécanique (Descartes).

Rudolf Allers a ainsi dénoncé trois sophismes freudiens :

a. Le sophisme de la résistance : l’arrêt des associations d’idées d’induit pas forcément un phénomène de résistance inconscient.

b. Le sophisme de l’interprétation : il manque la vérification expérimentale qui serait admise par tous. Au lieu de cela, il est question de schémas explicatifs invérifiables.

c. Le sophisme de la connexion causale : pour rendre compte du lien causal entre symbole et symbolisé, la psychanalyse introduit gratuitement la pensée déréistique ou expression psychique. Nous sommes là dans la pétition de principe. Il ne faut pas oublier que Freud détestait les discussions rationnelles.

Ces difficultés internes n’empêchent pas Freud d’affirmer la validité universelle de sa théorie. Toute pensée humaine n’est finalement pas objective : elle traduit des causes psychiques inconscientes comme : maladie, résistance homosexuelle, ambivalence obsessionnelle, inconscient pervers, moi paranoïaque, délire de grandeur, folie, régression, etc.

Sa lecture de l’humanité à travers le complexe d’Œdipe, dénoncée par Van Rillaer comme un concept chewing-gum sujet à discussion.

L’absence de critères réellement scientifiques manifeste que la psychanalyse repose surtout sur l’argument d’autorité de son auteur et l’opinion des disciples. D’où peut-être cet esprit de secte qui cultive le culte de la personnalité, le sentiment de supériorité vis-à-vis des non-initiés, l’utilisation d’un langage hermétique, dimension quasi-religieuse, etc.

3° Les résultats de la psychanalyse :

Les freudiens admettent qu’il ne sert plus à rien d’entamer une analyse après 40 ans. Le meilleur patient est le jeune à la personnalité riche et normal psychiquement (E. Zarifian, Les jardiniers de la folie, 1988). L’écoute compatissante peut en effet provoquée des changements spectaculaires : la déculpabilisation peut entraîner un mieux-être. Par ailleurs, relativiser les difficultés de la vie peut rassurer certains jeunes.

Mais comme la psychanalyse cache soigneusement ses échecs, il est difficile d’établir des statistiques. Ne peut-on pas dire qu’elle favorise les conflits familiaux et conjugaux en mettant en avant des a priori interprétatifs agressifs ? La plupart des premiers disciples de Freud présentent des parcours torturés : Tausk : suicidé ; Stekel : suicidé ; Otto Gros : suicidé ; Rauk : psychotique ; Ferenczi : psychotique ; W. Reich : délirant ; Frink : folie, etc.

Freud a toujours tenté d’expliquer les échecs de la thérapie par les résistances des patients et non des carences de méthode. Ces échecs sont tellement patents que la freudiens convaincus (J. Lacan) laissent tomber les aspects thérapeutiques pour se focaliser sur la définition de la nature humaine.

III. Historique des sources de la psychanalyse

1° L’inconscient avant Freud :

· Médecine primitive : Chez de nombreux peuples dits primitifs, l’idée que certaines maladies étaient l’effet d’une faute grave : d’où la pratique de la confession : affirmation de la vérité objective. La psychiatrie moderne entérine cette perspective en reconnaissant la dimension pathogène de la culpabilité et l’effet thérapeutique de la confession. Certains missionnaires jésuites ont ainsi remarqué que les rites initiatiques des tribus indiennes d’Amérique du Nord engendraient des guérisons psychiques naturelles.

· Extrême-Orient : En Asie, les prêtres guérisseurs proposaient des techniques d’entraînement mental. La plus connue est le yoga.

· Médecine gréco-latine : Pythagore, Platon, Aristote, les stoïciens et les épicuriens proposaient des disciplines de vie. Certains ont pu déceler des similitudes avec les auteurs modernes : le stoïcisme avec Adler et l’existentialisme, Platon et Jung, certains traits d’Epicure et Freud. Epicure a connu une très grande renommée dans l’Antiquité tardive. Les philosophes grecs ont eu des approches empiriques de certains mécanismes psychologiques et de leurs liens avec les troubles mentaux.

2° La confession : un facteur de connaissance de l’univers psychique

La pratique de la confession à un prêtre (un des sept sacrements), strictement tenu au secret, a non seulement un effet surnaturel mais aussi un retentissement psychologique naturel. La confession oblige ainsi à une introspection en développant la prise de conscience des conséquences de ses actes.

Les théologiens spécialisés en morale ont ainsi rédigé des traités de grande finesse psychologique, même en psychopathologie sexuelle. La Réforme protestante va combattre cette pratique en y substituant la cure d’âme qui ébauche les thérapies modernes.

La littérature va s’emparer de la psychologie humaine au XIX ème siècle. Les neurologues (Benedikt) vont aussi étudier les blessures humaines enfouies, les secrets pathogènes. Les premiers disciples de Freud sont à l’origine d’obédience protestante et verront volontiers dans la psychanalyse une cure d’âme modernisée et sécularisée.

3° Les moralistes français du XVIIème siècle :

a. Pascal (1623-1662)

« L’homme n’est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et en soi-même et à l’égard des autres. Il ne veut donc pas qu’on lui dise la vérité. Il évite de la dire aux autres ; et toutes ces dispositions, si éloignées de la justice et de la raison, ont une racine naturelle dans son cœur ».

Fragment tiré du manuscrit Périer.

Pascal est janséniste : mouvement protestant qui s’appuie sur la théologie augustinienne. La théologiemédiévale, dominée par la pensée augustinienne, laissait peu de place à la liberté humaine jusqu’aux travaux deThomas d'Aquin (1225-1274) qui va préciser que la grâce ne détruit pas la nature mais agit en suivant le mode de la nature. La Providence divine n’annule donc pas le libre-arbitre : elle invite l’homme à suivre sa nature profonde. Les scolastiques vont défigurer saint Thomas. En réaction, la place du libre-arbitre de l'homme sera réduite à néant au XVe siècle par les réformateurs protestants. Luther (1483-1546) et Calvin (1509-1564) partent tous les deux de saint Augustin (354-430) en radicalisant ses traités. Là où, pour Augustin, il ne s'agit que d'affirmer la toute-puissance de Dieu face à la liberté humaine exaltée par le pélagianisme, Martin Lutheret Calvin vont accentuer les blessures du Péché Originel en affirmant la destruction de la nature et donc en brouillant le mode d’action de la grâce. Le protestantisme propose une vision pessimiste de la nature humaine.

b. La Rochefoucauld (1613-1680)

« Il est aussi facile de se tromper soi-même sans s‘en apercevoir qu’il est difficile de tromper les autres sans qu’ils s’en aperçoivent ».

Œuvres Complètes, II.

La Rochefoucauld se fera le champion de la dénonciation inlassable de toutes les apparences de vertu. Ses Maximes préparent la fin du héros cornélien. Les mouvements de l’âme humaine ne sont que des manifestations d’amour-propre. Nietzsche en sera le continuateur.

La finesse des analyses psychologiques des Montaigne (1533-1592), La Bruyère (1645-1696), La Fontaine (1621-1695), etc, préparent d’une certaine manière les explorations futures.

4° La science du XVIIIème et l’inconscient :

L’analyse psychiatrique, avec ses premières mesures quantifiées, chiffrées, prend son essor avec Bernheim (1840-1919) et Charcot (1825-1893). Leurs études doivent beaucoup aux précédentes expérimentations des hypnotiseurs et des magnétiseurs.

Cette psychiatrie scientifique au sens moderne (cartésien) prépare le terrain de la nouvelle psychanalyse : l’hypnotisme (qui peut être relié à l’activité médiumnique, à l’écriture automatique, à la cristallomancie : cf surréalisme) et le dualisme du sujet (conscient/inconscient).

De nombreux auteurs s’inscriront dans cette ornière psychanalytique : Alphonse Daudet et son fils Léon, Zola, Maupassant, Bourget, Huysmans, Pirandello, Proust, Balzac, Flaubert et Dumas.

5° L’ambiance intellectuelle au XIXème :

a. L’esprit des Lumières

Le mouvement philosophique des Lumières (marqué par le positivisme) va influencer la médecine. On veut affirmer la suprématie de la raison quantifiante. Les maladies mentales sont définies comme des troubles de la raison ou des démesures passionnelles : d’où cette hypertrophie de la volonté dans l’éducation.

Kant (1724-1804) écrira ainsi un ouvrage intitulé : Sur la Puissance qu'a l'esprit de se rendre mettre de ses sentiments maladifs par sa seule volonté (1798).

Mais cette prétention rationnelle se mêlait facilement de spéculations irrationnelles que l’on retrouvera en psychiatrie.

b. Le romantisme 

En réaction aux Lumières va naître en Allemagne le romantisme européen. Ce romantisme va orienter tous les domaines de la culture humaine. Les romantiques vont s’intéresser aux manifestations de cet inconscient que le docteur Freud vient de découvrir. Ils vont ainsi explorer le domaine des rêves, analyser la notion de génie, étudier les maladies mentales.

· Schelling (1775-1854) :

Il va vouloir refonder une philosophie de la nature fondée sur l’unité entre l’homme et la nature. Il développera ainsi l’idée d’une métamorphose à partir d’un phénomène primordial, comme Goethe.

La bisexualité de l’être humain, repris d’un mythe platonicien (Banquet), va nourrir les réflexions romantiques. L’inconscient sera également le lien fondamental entre l’homme et la vie cosmique. Les principales théories psychanalytiques se retrouveront chez les Romantiques.

· Schubert (1780-1860)

Il développe une vision poétique de la nature et on peut trouver chez lui des parallèles frappants avec la psychanalyse : la nature triple de l’homme, le narcissisme, l’instinct de mort, les symboles universels, etc.

· Schopenhauer (1788-1860)

La volonté s’identifie à l’inconscient. L’homme est donc un être irrationnel. Quarante ans avant Freud, il définit l’homme comme un animal guidé par sa seule pulsion sexuelle. Avec Freud, il partage un pessimisme anthropologique radical. Schopenhauer deviendra le maître à penser de Wagner et de Nietzsche.

c. Le positivisme du XIX ème siècle :

Les idées romantiques vont peu à peu s’effacer et laisser triompher le positivisme des Lumières. La nouvelle raison est mesurante : elle développe une technique qui permet à l’homme d’instaurer un paradis sur terre. Les romans de Jules Verne expriment cet optimisme conquérant. Freud lira Darwin avec enthousiasme et partagera avec l’anglais une vision biologique de la vie humaine.

Le pendant du positivisme est le nominalisme (Occam[1]) : les inclinations dites naturelles ne sont plus volontaires et donc plus libres : on assiste à la césure entre le naturel finalisé et la naturel spontané. Le corporel sera ainsi assimilé au sexuel et ensuite le sexuel en lui-même au péché : ce qu’il n’est pas en théologie catholique normalement constituée. Luther (1483-1546) affirmera que la sexualité est peccamineuse et destituera logiquement le mariage humain. La relation conjugale devient ainsi un « péché permis »… A partir de ces positions, le puritanisme de type protestant exerça une telle pression idéologique et sociale qu’il contribua en Europe à faciliter des refoulements affectifs et sexuels déséquilibrants[2].

d. Le cas Nietzsche (1844-1900)

Nietzsche s’inscrit dans un courant de pensée qui souhaite renverser les valeurs reçues : « rien n’est vrai, tout est permis ».

Comme Freud, il réduit l’homme à un ensemble de pulsions animales dont les plus importantes sont les pulsions de mort et d’agressivité. La volonté de puissance est finalement ce qui définit l’homme. « Les bonnes actions ne sont que des mauvaises actons sublimées » (Humains, trop humains).

Nietzsche vit en pleine ère victorienne. Lui-même reçoit une éducation calviniste. Subissant le système moralisant et pudibond, il en est venu à exalter le libertinage jusqu’à l’impudence.

Le terme de ça (das Es) vient de Nietzsche. Freud d’ailleurs voyait en lui un philosophe dont les intuitions rejoignent ses théories.

IV. Freud et la religion :

Dans L’Avenir d’une illusion, Freud expose son analyse du fait religieux.

Freud a grandi dans l’ambiance légaliste de la religion juive. Il ne venait pas d’un milieu juif pratiquant mais on respectait dans sa famille certaines traditions : on célébrait la Pâque, mais sans signification spirituelle. On voulait surtout que les enfants s’assimilent et réussissent dans la société.

Pour ses 35 ans, le père de Freud, Jakob Freud, offre une Bible pour son fils mais elle commence par la page 423 ! Il s’agit plus probablement d’un geste intentionnel. Pour quelle raison ? On ne peut ici qu’avancer des hypothèses. Les pages par lesquelles commence cette Bible singulière relatent l’histoire du roi David et de Bethsabée : une histoire d’adultère et de meurtre, celle d’un couple coupable dont naîtra plus tard un fils, Salomon – Schlomo en hébreu. Or, Schlomo est le prénom juif de Sigmund, et c’est celui-là que Jakob emploie dans sa dédicace. Par ailleurs, certains indices laissent à penser que Jakob Freud a abandonné une deuxième femme pour épouser Amalia Nathansohn, la future mère de Sigmund. Selon certains, Jakob Freud, avec cette Bible, a volontairement laissé une piste à son fils pour qu’il explore sa propre genèse. Piste que celui-ci, tout psychanalyste qu’il était, n’a pas suivie.

Il définit la religion comme ce qui vient aider l’homme dans sa détresse devant la puissance destructrice de la nature, comme ce qui lui permet de gouverner ses passions les plus basses, l’inceste ou le meurtre. Il considère cette croyance, comme Auguste Comte avant lui, comme un état infantile de l’humanité, qui s’est inventé un Dieu-père bienveillant pour s’occuper d’elle. Croyance contre laquelle doit se battre les sciences exactes pour que l’humanité grandisse.

A son disciple Carl Jung (qui ne suivra pas Freud dans le pansexualisme), il écrit en 1910 : « la raison dernière du besoin de religion m’a frappé comme étant l’impuissance de l’enfant (…) il ne peut se représenter le monde sans parents et il s’octroie un Dieu juste et une nature bonne ».

Freud reprend les attaques des Lumières, surtout de Feuerbach. La nouvelle science quantitative, celle de Descartes et de Galilée, remplacera les illusions religieuses, que la vérité scientifique va libérer l’Humanité. La psychanalyse emprunte cette direction positiviste et le psychanalyse sera le nouveau « ministre des âmes », le nouveau prêtre, le nouveau « pasteur d’âme séculier ».

Au départ, c’est une technique. Au fur et à mesure, cela devient une philosophie qui « repose sur la conception scientifique générale du monde, avec laquelle la conception religieuse reste incompatible ». Freud considère donc la foi contraire à la raison, conception qui n’est pas catholique mais protestante.

Freud voit grand et espère beaucoup en son dogme : « C’est notre meilleur espoir pour l’avenir que l’intellect, l’esprit scientifique, la raison, parvienne avec le temps à la dictature dans la vie psychique de l’homme ». (Nouvelles Conférences d’Introduction à la Psychanalyse, 35 ème Conférence).

A. La religion comme négation du corps

« Formation religieuse et névrose de contrainte ont toutes deux pour base le renoncement à certaines motions pulsionnelles. La première invite à sacrifier son plaisir à la Divinité, la seconde au Surmoi, héritier de l’autorité paternelle ».

B. L’invention de Dieu

L’homme se sait vulnérable et se créée un père protecteur… Le croyant est donc encore un enfant.

« L’impuissance des hommes demeurent, et avec elle, le désir d’un père, ainsi que des dieux. Les dieux conservent leur triple tâches : exorciser les effrois de la nature, réconcilier avec la cruauté du destin (la mort) et dédommager des souffrances et privations qui se sont imposées à l’homme par la vie civilisée en commun ».

Et donc les religions sont des illusions : « accomplissements des souhaits les plus anciens, les plus forts et les plus pressants de l’humanité ; le secret de leur force, c’est la force de ces souhaits ». Le croyant relève donc pour Freud de la psychiatrie.

C. Vers une éducation sans foi religieuse

« Accordez-moi (...) que cela vaut la peine de faire la tentative d’une éducation irréligieuse. Si elle s’avère insatisfaisante, je suis prêt à abandonner la réforme et à revenir au jugement antérieur purement descriptif : l’homme est un être à l’intelligence faible, qui est dominé par ses souhaits pulsionnels ».

Conclusion : Un critique de Freud, A. Gehlen :

« Freud nourrissait à la religion monothéiste patriarcale de forts sentiments de haine, ce qui naturellement rend sa polémique partiale et violente ». (Anthropologie et Psychologie Sociale).

CONCLUSION GENRALE :

La majorité des concepts freudiens ne sont pas de lui mais engendra une synthèse scientifique et littéraire immense. Certains ont pu dire qu’il avait laïcisé le Talmud (David Bacan : Freud et la tradition mystique juive, 1964). Il se placerait alors dans la lignée d’un Spinoza et d’un Kafka. Ne peut-on pas en effet discerner dans ses théories des affinités avec la tradition kabbalistique ?

L’inconscient chez Freud :

Freud décompose l’appareil psychique humain comme on démonterait une machine du complexe au simple, selon la méthode cartésienne qui nie les liens nécessaires.

Freud suppose donc trois parties : ça, moi, surmoi.

ça : ensemble des pulsions somatiques. En réaction à son environnement, une fraction du ça devient le moi. Son souci est sa satisfaction narcissique.

moi : organisation du cerveau qui sert d’intermédiaire entre les exigences impérieuses du ça et la réalité du monde extérieur. Arbitre entre le principe de plaisir et le principe de réalité. Son souci est la sécurité.

surmoi : prolongement de l’influence parentale. Effet du complexe d’Œdipe, il représente les exigences éthiques. Ce monde extérieur est purement subjectif.

Comme le ça et le surmoi sont inévitablement en conflit, des refoulements générateurs d’angoisse s’installent. Le moi n’est plus que la façade du ça.

Le ça inconscient motive toutes les actions du moi conscient : l’individu n’est plus l’auteur de ses actes. A l’intérieur de l’homme une bataille continuelle oppose des instances qui se disputent la suprématie. Les aventures de l’enfance sont ici déterminantes. L’homme est donc l’esclave des déterminismes de son animalité et de son histoire personnelle.

La conscience morale est chez Freud la continuation de l’autorité parentale. Nous sommes ici en présence d’une philosophie relativiste, matérialiste et hédoniste. La liberté humaine est détruite. La responsabilité humaine ne peut plus s’exercer. Mais ne doit-on pas dire que la conscience morale implique en amont la conscience psychologique se situant par rapport à une fin ? La conscience morale en effet suppose la connaissance d’un bien objectif : c’est le propre d’un être rationnel. La conscience psychologique me donne l’état de mon âme, la conscience morale me dit l’honnêteté de mes actes.

Questions :

L’inconscient est-il la réalité suprême de la personne ? L’inconscient n’est-il pas chez Freud chosifié dans des réalités fusionnées ? L’inconscient n’est-il que l’ensemble des pulsions instinctives, exclusivement sexuelles ? Le moi conscient n’est-il que cette barque fragile sur l’océan de la vie inconsciente ?

Les actes qui sont manifestes à la conscience sont ceux qui relèvent de la vie sensitive ou rationnelle. La conscience elle-même est un acte et non pas une puissance : elle est ce regard de l’âme sur le monde extérieur, sur son corps, sur elle-même.

La conscience saisit bien l’âme humaine à travers ses actes mais seulement son existence : nous ne saisissons pas directement notre essence.

Autrement dit, l’essence de mon être spirituel particulier relève bien du domaine de l’inconscient : ce n’est pas conscient en nous. Freud utilise le terme comme substantif, alors que son application est très vaste.

En nous, il existe bien un mode intérieur non conscient. Mais il semble bien qu’on puisse distinguer ce qui échappe à notre lucidité par nature et par accident.

Par accident : ce serait le subconscient : marche, timbre de voix, accent linguistique, style personnel, etc. Nous ne sommes pas en effet en perpétuelle introspection.

Par nature : nos habitus spéculatifs et pratiques, mais aussi une partie de notre vie intérieure : nos sens communs, dont l’imagination qui ne peut rien se représenter sans connaissance sensible antérieure.

Pour Freud, nos oublis sont des mécanismes de censure qui permettent de refouler dans l’inconscient nos désirs interdits par la vie sociale. Mais l’oubli n’est-il pas plutôt le résultat des limites naturelles de nos capacités mentales ? Cependant, on peut en effet volontairement, dans une certaine mesure, oublier les motifs immoraux de certains de nos actes.

La pyramide humaine nous rappelle que si les désirs du corps l’inclinent vers la vie, la vie affective vers ce qui est agréable, l’intelligence l’incline vers la vérité objective et la volonté vers un bien objectif. La hiérarchie des opérations humaines est un ordre vers les opérations spirituelles.

La vie humaine connaît des tensions et des conflits intérieurs, des blessures psychologiques plus ou moins profondes : ces points de départ constituent-ils une fatalité ?

L’exploitation du réductionnisme freudien a conforté une idéologie hédoniste qui prit d’abord naissance aux Etats-Unis pour ensuite déferler sur l’Europe dans les années 60 prônant la sexualité polygame et infidèle comme fin en soi. La révolution sexuelle qui a suivi n’est-elle toujours pas assurée par une propagande massive de conditionnements audiovisuels issue des décisionnaires soixante-huitards ?

 

 

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE :

 

Ernest JONES : La vie et l’œuvre de Freud, réédition 2006. Dénoncé récemment par Michel Onfray (Le Crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne, 2010) comme le principal hagiographe de Freud.

Alexandre DE WILLEBOIS : La société sans père, 1985 (épuisé). Neurologue, l’auteur manifeste les lacunes de la société actuelle qui résultent de l’affaiblissement de la figure du père.

Tony ANATRELLA : Non à la société dépressive (1997). Adolescence au fil des jours (2002). La différence interdite : sexualité, éducation, violence (1998). La liberté détruite (2001). Le règne de Narcisse, 2005, etc. L’auteur, spécialisé en psychiatrie sociale, est à l'origine de divers concepts sur l'adolescence (l'adulescence, les bébés couples, la société adolescentrique, etc.). Praticien, Il propose une lecture réaliste de certaines intuitions freudiennes.

Jamis RAUDA : Ce qui me gêne avec les psys. (2003). Biographie : l’auteur propose une galerie de portraits de psychanalystes. La première praticienne, surnommée Drop-psy lui offre « un abonnement souscrit par le vague à l’âme, renouvelable par tacite reconduction »… Elle décrit ainsi un congrès de psychanalystes : « J’avais l’impression d’être entourée d’un chorum de mélancoliques. J’ai vu là des étrangetés. Deux psychanalystes qui bégayaient dont l’un n’arrêtait pas de faire des citations de Freud (…) Statistiquement, cela faisait beaucoup de bizarreries au mètre carré. Les rares jeux de mots chuchotés, déclenchaient des rires extrêmement polis, et l’autosatisfaction me semble de règle… Que d’éloges, que de cirages de pompes les uns et les autres ne se faisaient-ils pas entre eux. Le mot « éminent » faisait fureur… ».

Michel SCHNEIDER : Big Mother. Psychopathologie de la vie politique. Editions Odile Jacob, 2005. Le psychanalyste Michel Schneider recherche les causes de la décomposition du vivre ensemble. Il analyse ainsi le règne de la régression généralisée : primauté de l’image, recul de la paternité, règne de Narcisse, infantilisation, etc. Il illustre son propos d’exemples tirés de la vie politique française. Il voit ainsi, dans les régressions psychologiques contemporaines les sources du trouble de la pensée et de la peine de vivre.

 

 

 

 



[1]Guillaume d’Occam (1285-1347) a développé une conception arbitraire de la liberté. Voulant rétablir plus de révérence envers Dieu, Guillaume d’Occam, franciscain, insiste sur la Toute-Puissance et la liberté souveraine de Dieu. Sa problématique est donc théologique au départ. Les commandements que Dieu révèle impliquent pour nous une obligation de les suivre, non parce qu’ils sont bons pour nous, mais parce que c’est Dieu qui les ordonne. Occam place donc la source du bien non dans le contenu du commandement, dans sa signification réelle (qui édicte ce qui est bon pour le bonheur de l’homme) mais dans la seule autorité qui le proclame : c’est ainsi que se développe une pensée philosophico-théologique de l’agir humain en terme de commandements, d’interdiction et de permission. C’est sur ces bases que se développeront les morales de la conscience au XVIIème siècle : morales autoritaires et rigoristes qui ne proposent plus de raisons mais qui cherchent à s’imposer par l’argument d’autorité.

 

[2]La théologie du corps de Jean-Paul II a voulu corriger ces démesures au départ étrangères au catholicisme. Cf : Yves Semen, La sexualité selon Jean-Paul II.

 


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