Petite mise au point autour de l’affaire des « caricatures »

par Monolecte
vendredi 9 février 2007

Je ne voulais pas en parler mais, devant le raz-de-marée des postures bien-pensantes, je sors de mon silence juste le temps de préciser deux ou trois choses. J’ai déjà dit pas mal de choses à ce sujet il y a un an. Mais les fausses évidences marquent plus les esprits, surtout quand elles sont du registre des préjugés, des bas instincts et non des réflexions construites, élaborées dans un perpétuel questionnement du monde.

Ce n’est pas la foi en l’islam qui a été stigmatisée, selon le procureur. Le jugement est attendu le 15 mars.[1]

C’est à peu près la seule chose avec laquelle je sois totalement en accord. Ce n’est pas la foi qui était la cible, ce n’est pas une histoire de religion, mais bien un fait de stigmatisation raciste. Qui, comme toutes les stigmatisations racistes, fonctionne par amalgame : Arabes = musulmans = intégristes = terroristes ! Donc Arabes = danger ! Ceci est le véritable message des caricatures danoises, mais pas seulement. C’est aussi le message porté par bien des lieux communs balancés à la face de ceux de nos compatriotes qui ne sentent pas assez l’ostie sous les aisselles ![2]

Il n’est pas certain qu’on aide à la compréhension des choses en évoquant simplement dans cette affaire des « caricatures » ou des dessins « satiriques ». La satire est un exercice dans lequel défauts et vices des personnes qui en font l’objet sont moqués ou mis en évidence d’une manière plaisante. Sur l’un des dessins en cause, celui qui a le plus fait scandale, le prophète de l’islam est présenté coiffé d’un engin explosif. Il ne s’agissait donc pas là de dénoncer ou de critiquer un trait caractéristique du personnage ainsi représenté, mais d’affirmer son caractère intrinsèquement criminel, et même terroriste - et à travers lui celui de l’ensemble du monde musulman. Une caricature doit ressembler à son sujet. On ne peut reprocher à un caricaturiste de forcer certains traits, et de dessiner par exemple des oreilles d’éléphant à qui aurait simplement de grandes oreilles : il ne fait là que son métier de caricaturiste. Le dessin en cause n’est pas de ce registre ; il n’est ni satirique ni caricatural : il est simplement l’exposé d’une thèse dénonçant l’islam comme terroriste par définition (sous le turban même de son prophète) - ou le terrorisme comme musulman par essence. Il est donc, de ce fait même, une incitation raciste à la haine islamophobe - dans un contexte où, bien souvent, toute incitation est hélas en la matière superfétatoire. Vous voyez celui-là, votre voisin, l’Arabe, avec sa femme voilée et son fils à casquette, dit-on en substance, méfiez vous de lui, c’est un terroriste en puissance.[3]

Aujourd’hui, les Arabes musulmans sont devenus la classe dangereuse. Les Arabes musulmans, pas les musulmans. Parce que dans sa grande ignorance, notre charmant peuple ne sait absolument pas que la première communauté musulmane du monde est indonésienne. Ce qui limite de facto la portée du barbu islamiste du Moyen-Orient comme figure emblématique de la religion du prophète.

La stigmatisation islamophobique est devenue tellement banale dans notre pays qu’elle semble couler de source, comme quelque chose d’aussi inévitable et puissant que les forces de la nature, d’aussi indépassable que le libéralisme économique comme modèle de société.

Quand un candidat à l’élection présidentielle annonce à la télévision, devant huit millions de personnes Quand on habite en France, on respecte ses règles. C’est-à-dire qu’on n’est pas polygame, on ne pratique pas l’excision sur ses filles, on n’égorge pas le mouton dans son appartement et on respecte les règles républicaines., qui s’en offusque ? Qui cela choque-t-il ? C’est devenu tellement vrai et évident à force d’être rabâché sur tous les tons depuis des années et des années. Ben oui, tout le monde le sait : les Arabes, c’est tout ça. Avec le voile aussi. Et les casquettes à l’envers. Et le wesh zi va[4] des cailleras de banlieue !
Même plus des lieux communs. Juste des évidences. Le bornage d’une pensée raciste profondément ancrée. Tellement profondément qu’elle nous rend sourds et aveugles.
Le racisme anti-Arabes... comme on respire. Sans même plus y penser !

C’est comme cela que des pseudos philosophes propulsés par l’auto-diktat médiatique sont encensés quand ils propagent à leur tour les relents nauséabonds de notre rejet de l’autre. Que des Redeker se transforment en victimes après avoir éructé leur haine dans les colonnes des journaux bien-pensants. Et que le troupeau tout entier se jette du haut de la falaise en bêlant : Ne touchez pas à ma liberté de penser !

Au lieu de continuer à prononcer avec votre bouche les mots pensés par d’autres que vous, je vous recommande très chaudement la lecture de cet excellent article de Laurent Lévy sur Les mots sont importants, site d’utilité publique qui devrait toujours être épinglé en tête de vos aggrégateurs !


Notes

[1] Le Nouvel Observateur du 9 février 2007
[2] Personnellement, je n’ai jamais oublié le petit couplet charmant sur le bruit et l’odeur !
[3] in Les mots sont importants, « Censure », « droit au blasphème » et islamophobie
[4] Voir l’excellent petit article du Bondy blog sur ces préjugés qui ont la peau dure et ne connaissent pas de frontière !

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