Petites réflexions sur les fruits du Vendredi Saint et du Dimanche de Pâques
par Rémy Mahoudeaux
mercredi 3 avril 2024
Souvenir d'un cycle de conférences et débats sur l´éthique des affaires organisé par un très renommé cabinet d'avocats. Le propos conclusif était tenu par Emmanuel Toniutti. Celui-ci nous rappelait une espèce de litote anthropologique. "Les hommes se lèvent le matin, ils voudraient être aimés et ne pas mourir."
Bonne Nouvelle : le Vendredi Saint nous dit que nous sommes aimés au-delà de toute mesure : Jésus donne sa vie en portant nos fautes sur sa croix. Le Dimanche de Pâques, lui, nous affirme que ce même Jésus a vaincu la mort : il est passé de trépas à vie, et il nous invitera à en faire de même.
Pirouette intellectuelle ? L´athée le pensera sans doute. Au mieux, il se dit que Jésus, s´il a existé, n´était qu´un petit séditieux juif que ses coreligionnaires ont jeté en bouc émissaire aux romains, afin de restaurer un semblant d'ordre dans un peuple déjà trop divisé et militairement soumis par un empire païen étranger. Alors, être aimé d´une personne disparue depuis près de 2000 ans : qu'elle belle jambe ! Si l´athée est un brin stoïque, il pourra se dispenser d´avoir peur d´une mort derrière laquelle rien ne serait.
Mais dans « être aimé », c´est du concret que je veux. Que mes proches et mes moins proches me témoignent cet amour par des paroles et des attentions, et surtout des preuves. Donnez-moi ma preuve d´amour quotidienne ! Que tous organisent un tour de rôle pour que je sois l´heureux bénéficiaire d´un geste, quel qu’il soit, qui me fasse me sentir aimé chaque jour.
Stop. Ai-je l´intention, en me levant, de donner une, deux, dix preuves d´amour à autant de personnes pour faire se lever cette houle d'amour qui, par contagion, toucherait toute l´humanité ? Si je suis trop paresseux pour prouver à l´autre que je l´aime, je serai le cul-de-sac où meurt cette preuve d´amour. Elle ne se communique pas au-delà de moi. Il y aura des généreux qui aiment à perte et des égoïstes qui thésaurisent l´amour reçu. Pour filer la métaphore mathématique, un amour réflexif, qui ne serait ni symétrique ni surtout transitif n´est qu´une impasse.
Et puis, aimer, c’est nécessairement gratuit ; Si j’arbitre les preuves d’amour que je disperse autour de moi en fonction des retours plus ou moins probables que j’en espère, je n’ai rien compris. Si je calcule un retour sur investissement, une rentabilité du geste d’amour dispensé, je ne deviendrai jamais l’un des obscurs tacherons de cette civilisation de l’amour que les saints Paul VI et Jean-Paul II ont promue et nous ont proposé de bâtir. La plus grande leçon personnelle reçue ces dernières années en la matière, c’était d’aider, à ma toute petite mesure, un clochard revêche et très mal en point lors d’une maraude.
Ne pas avoir peur de mourir, c´est plus compliqué. Nonobstant les délires des transhumanistes (auxquels il faut s´opposer avec vigueur), nous savons bien qu´il faudra y passer. Cette mort est d´ailleurs prise en otage par ceux qui nous gouvernent : ils entretiennent l´ambiguïté entre la peur de la mort et celle de la souffrance pour nous vendre leur solution de comptables étriqués, d´assureurs mesquins. L'euthanasie, c´est quelques jours de vie en moins pour éviter ces souffrances possibles. Du moins pour tous ceux qui ne sont plus productifs ni assez solvables pour se payer des soins palliatifs qui deviendront une médecine de luxe.
Bien évidemment la foi est une grâce qui permet éventuellement au chrétien de dépasser la peur de sa mort. Il sait qu´au delà de cette mort, il rencontrera Dieu. Et même si nos examens de conscience sincères nous dégoûtent un peu de nous, (cf. Rm 7, 19 : Je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas.), nous aurons un juge miséricordieux, Jésus, et le meilleur des avocats, le Paraclet.
Mais en France, nous avons collectivement chassé Dieu de nos vies. Dans la jeune génération, la religion est ignorée, méconnue, évacuée, quand elle n’est pas moquée. La logique matérialiste et relativiste prévaut. Ce constat est triste et préoccupant. Même s’il faut se réjouir d’un nombre de baptêmes d’adultes en hausse, ils sont insignifiants. Il nous faut donc transmettre le trésor de notre foi, aussi en montrant qu’elle permet de s’affranchir, parfois, de cette peur de la mort. Alors, donnons pour une fois raison à Nietzsche, ce publicitaire de génie : ayons des gueules de ressuscités !
Anastasis, Saint-Sauveur-in-Chora, Istanbul – Cliché libre de droits via Wikimedia Commons