Peut-on colmater la fuite des cerveaux avec des demi-mesures ?

par Patrick Gaudray
samedi 18 octobre 2008

Le Figaro a publié le 16 octobre 2008 un entretien avec Valérie Pécresse qui nous dit vouloir « mettre fin à la fuite des cerveaux ». La ministre de la recherche se fait ainsi l’écho des propositions que Jacques Lesourne, coauteur d’un livre sur la recherche, a livrées au même Figaro le 2 octobre dernier, et qui prône "une plus grande différenciation des rémunérations en fonction de la qualité des travaux réalisés pour que les meilleurs puissent rester en France. Ceci permettrait d’augmenter les salaires afin que la France offre des rémunérations équivalentes à celles pratiquées à l’international".

La traduction politique des idées de monsieur Lesourne est de faire un effort budgétaire important pour les jeunes.

C’est bien. Mais cela appelle quelques questions.

Le plan est de distinguer "les 130 jeunes enseignants-chercheurs les plus prometteurs". Sur les quelques 62000 enseignants-chercheurs de nos universités françaises, on en choisira deux pour mille : pourquoi 130, et pas 75 ou 321 ?


Je ne sais pas exactement combien de jeunes enseignants-chercheurs sont recrutés chaque année en France, mais j’imagine bien qu’ils sont plus de 130. Ainsi, on admet recruter à l’université nombre de jeunes qui ne méritent pas de prime ni de capital pour leurs recherches, et qui donc ne répondent pas aux critères d’excellence sur lesquels on prétend refonder la recherche publique dans notre pays. Pourquoi ?
Pourquoi la ministre ne s’intéresse-t-elle qu’aux enseignants-chercheurs, et pas aux chercheurs des organismes tels que le CNRS ? Serait-ce parce que ces derniers ne sont pas prévus participer à l’avenir de la recherche ? Ou bien parce qu’ils gagnent bien suffisamment pour le travail qu’ils font ? !

Est-ce qu’un système de primes est la bonne réponse à un problème autrement plus vaste que celui du salaire : celui de la reconnaissance de l’utilité intrinsèque de la recherche, et donc du métier de chercheur ?

Rien ne nous est dit sur la manière dont sera évaluée la soit-disant excellence des 130 élus. L’évaluation est devenue une telle "tarte à la crème" dans le langage des politiques, notamment quand il s’agit des scientifiques et de la recherche, qu’on en oublie presque de s’interroger sur le sens et la qualité de l’évaluation. Dans bien des cas, il s’agit d’arriver à cataloguer un projet, un laboratoire ou même une personne avec une lettre, A, B ou C, éventuellement agrémentée d’un + ou d’un -. Mais qui définit les critères pour en arriver à une telle réduction ?

Ces 130 "meilleurs" seront, d’ailleurs, plus ou moins meilleurs puisqu’on prévoit de leur offrir une prime annuelle variant de 6 à 15 000 €. Pour les presque meilleurs des meilleurs, cette prime représentera environ 1000 € par mois. Elle permettra donc au jeune maître de conférence débutant d’obtenir un salaire du même niveau, voire supérieur, à celui du moins jeune professeur qui aura eu la malchance d’avoir été recruté trop tôt. Est-ce raisonnable ?

Une fois de plus, on s’attaque à un vrai problème en escamotant la complexité des questions qu’il pose. En revalorisant les débuts de carrières des maîtres de conférence, on risque de créer beaucoup de frustration, et pas forcément chez les plus mauvais chercheurs, au risque de les inciter à aller chercher l’argent là où il est, par exemple dans le business.

Mais c’est peut-être le but recherché. On évitera ainsi les chercheurs à vie qui font tant peur à monsieur Lesourne, puisqu’il pense "qu’il y a environ 10 % de chercheurs en trop dans le public. Par ailleurs, l’idée que l’on est chercheur à vie est néfaste". Evidemment, ce n’est pas avec un chercheur, bon ou mauvais, qu’on fera, à coup sûr, un bon homme d’affaire. Et ce n’est pas en se privant des chercheurs seniors qu’on améliorera le niveau de la recherche en France.

Alors, pour éviter la fuite des cerveaux, il faut peut-être appeler à la rescousse "Joe le plombier" qui s’est invité dans la campagne présidentielle américaine. D’autant qu’il semble que lui, gagne $ 250 000 annuellement. Il pourrait donner des idées à nos chercheurs pour revaloriser leur standing.


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