Peut-on défendre le pouvoir d’achat et signer le pacte de Nicolas Hulot ?

par Martin Kellenborn
jeudi 28 décembre 2006

Un débat est en train de prendre racine dans la société française. Il porte sur l’explication d’un paradoxe : alors même que l’Insee annonce une augmentation du pouvoir d’achat des Français, faible sans doute mais régulière, ces derniers ont, au contraire, l’impression que celui-ci se dégrade. Ce point de vue collectif pourrait être écarté par une pichenette en face de l’appareil statistique puissant et de l’expérience de l’Institut. Pourtant, la précarisation d’un nombre croissant de ménages jointe à ce sentiment que tout est devenu plus cher continuent d’apparaître comme le signe que les choses ne sont peut être pas telles qu’elles sont dites officiellement.

Un premier motif est aujourd’hui largement connu : l’Insee raisonne sur des moyennes et le sort de celui qui est propriétaire de son logement n’est pas comparable à celui du locataire qui a dû débourser jusqu’à plus soif au cours des dernières années.

Un autre motif, statistiquement moins orthodoxe, tient au caractère relativement ambigü de la notion de pouvoir d’achat. Prenons un exemple : il y a quarante ans, une large majorité de jeunes entrait sur le marché du travail dès la fin de l’obligation scolaire. Depuis, le nombre d’étudiants a explosé. Pour une famille n’habitant pas une ville universitaire, la facture peut devenir rapidement extrêmement lourde. Du point de vue de l’orthodoxie économique, ceci n’a rien à voir avec le pouvoir d’achat de la famille qui peut avoir continué à augmenter. Il n’empêche que ladite famille n’est peut être pas infondée à estimer qu’elle paie un lourd tribut à l’investissement en ressources humaines de la nation, tandis que les ménages qui ont fait le choix de ne pas avoir d’enfants en sont exonérés sans pour autant être écartés du bénéfice des retraites que permettra l’activité de ces étudiants devenus actifs -s’ils ne se retrouvent pas au chômage, cela va sans dire ! D’un certain point de vue, on peut soutenir que c’est une charge s’apparentant à un impôt qui vient clairement amputer le pouvoir d’achat.

Il en est aussi un troisième, sur lequel je souhaiterais faire quelques développements. Il y a quelques mois, un journal régional a publié un article montrant qu’au milieu des années 1970, un couple de smicards pouvait s’acheter une 4L, au milieu des années 1980 il pouvait s’acheter une R5, mais à crédit, aujourd’hui, une Clio, même à crédit, deviendrait presque inaccessible...

Dans la vision économique habituelle, il existe deux sortes de biens et services :
-des biens et services marchands, proposés sur un marché, acquis à un prix qui résulte d’une offre et d’une demande. Ce qui est fondamental dans ce qui nous intéresse est l’existence ou non d’une demande : le consommateur reste libre d’acquérir ou non !
-Des services non marchands, collectifs ou non, qu’on est présumé consommer ou non, mais que, dans tous les cas, on doit payer : la défense nationale, la police, l’école, les routes, les espaces verts mais aussi la redevance TV même si on ne regarde jamais les productions pitoyables de TF1 et de ses consoeurs publiques !
Ici, la, régulation est politique, les citoyens étant censés légitimer ou non les choix publics par l’élection.

Or, les choses sont plus compliquées : il existe en fait une zone grise de plus en plus large qui est une hybridation des deux et qu’on appellera pour la commodité consommation obligée.

Amusons-nous un peu : je vais chez l’épicier acheter un pack de yaourts. J’arrive à la caisse, celui-ci enregistre le prix du pack, puis, se tournant vers moi, l’air mi-sadique mi-goguenard, il me dit : Ah oui, avec cela, je dois aussi vous facturer ce sac qui vous permettra de mettre les pots une fois lavés avant de les ramener au conteneur, et puis aussi cette petite cuiller avec ce flacon qui vous permettra de tester si le yaourt est encore bon, et enfin, j’allais oublier ce décapsuleur spécial qui vous permettra d’enlever le couvert sans vous couper... C’est sérieux vous savez, chaque année plusieurs dizaines de personnes se retrouvent à l’hôpital en ouvrant des pots de yaourt... Je le regarde, incrédule... Non, non, mais attendez, je suis assez grand ! Il me jette un regard mi-sévère mi-désespéré... Dans ce cas, je ne peux vous vendre vos yaourts !

C’était évidemment une plaisanterie et pourtant.... Pourtant , en achetant n’importe quel produit, vous payez en même temps dans ce produit la réglementation qui vient grêver son prix... La date de péremption du yaourt qui fait que nombre d’entre eux vont rejoindre la poubelle , le coût de récupération de l’emballage signalé par un logo désormais bien connu...

A ce stade, il convient de faire plusieurs remarques.

L’Insee, lorsqu’il constate une variation de prix, n’en déduit pas nécessairement qu’il y a eu inflation. La hausse du prix est celle constatée à propriétés inchangées du produit. Si le prix de l’essence passe de 0,75 euros à 1 euro, il y a bien 33% d’augmentation du prix. En revanche, si le prix d’une voiture augmente, mais que cela est partiellement dû à l’installation d’un air bag, on considérera qu’il y a un effet qualité, qui apporte un service supplémentaire à l’acheteur, et cette partie de l’augmentation du prix ne saurait être comptabilisée comme inflation et amputer le revenu réel des acheteurs.

On voit d’emblée le problème : les acheteurs doivent payer plus cher un produit de meilleure qualité, sauf à se rabattre sur le produit antérieur, à condition que celui ci n’ait pas disparu des étalages ce qui est, évidemment, loin d’être toujours vrai. Dans le meilleur des cas l’amélioration technique est perçue comme un bien-être supplémentaire par l’utilisateur. Mais elle peut très bien être perçue comme contrainte inutile, et dans ce cas, il jugera qu’il a dû payer plus pour un service qui n’est pas meilleur.C’est notamment le cas lorsque le surcoût est imposé par une réglementation.

Or il se trouve que ces règlementations ont connu une inflation importante, pour ne pas dire démesurée, au cours des dernières décennies.
L’origine en est l’Union européenne, dont la culture sécuritaire a progressivement contaminé les Etats membres. Il s’agit très clairement de la recherche du risque zéro, qui se décline dans les domaines environnementaux, sanitaires et sécuritaires et qui trouve son paroxysme hystérique dans le principe de précaution.*

L’environnement d’abord : Lomborg explique très bien dans L’écologiste sceptique comment le désir de pureté doit trouver une limite raisonnable. Une assiette sortant du lave-vaisselle pullule de bactéries et de matières organiques diverses et variées si on l’examine au microscope. Faut il pour autant utiliser cent litres d’eau javélisée pour réduire la faune qui s’y promène ? On répondra non, et pourtant, c’est ce qui se fait dans tous les domaines, qu’il s’agisse de la désulfurisation ou des normes en matière de pesticides !
S’agit-il des déchets, que pour des raisons malthuso-fantasmatiques, on met en œuvre des politiques coûteuses de tri sélectif, alors même qu’elles constituent une aberration économique et même environnementale. Il y a cinq ans, le coût de traitement des déchets sur les filières les plus pointues, combinant tri sélectif et recyclage, pointait à 1800 francs la tonne, soit sans doute plus cher qu’une tonne de pommes de terre payée au producteur. Un pays qui paie plus pour traiter ses déchets que pour produire de la nourriture est manifestement un pays dont les dirigeants ont eu la cervelle irradiée.

La même chose vaut pour le domaine sanitaire, où une batterie de dispositions a été mise en place pour garantir chacun contre la moindre bactérie et le moindre virus. Y a -t-il une menace de vache folle, que c’est tout le troupeau qui est abattu, et l’éleveur et son chien devraient s’estimer heureux d’échapper au massacre. Et ne parlons évidemment pas des normes drastiques qui pèsent sur toute nourriture mise en vente, qu’il s’agisse du magasin ou du restaurant. Sans être expert, on peut d’ailleurs s’interroger sur les conséquences qu’aura à terme cette hystérie du « laver plus blanc » » sur des organismes qui n’auront pas été immunisés par des expositions répétées à des attaques extérieures.

Le sécuritaire n’est pas en reste : on a vu, au lendemain des attentats de Port-Royal, des mères de famille demander pratiquement qu’on installe un policier devant chaque salle de classe. Il suffit d’un ou deux accidents de cage d’ascenseur pour que le ministre ordonne une inspection de tous les ascenseurs de France et de Navarre.

Plus généralement, la crainte des élus et responsables de se retrouver mis en examen, dans un système qui tend vers l’objectivation de la peine (le préjudice subi donne droit à vengeance, laquelle serait le seul moyen de permettre le deuil !) fait que rien n’est trop cher pour la mise en œuvre du principe de précaution. Et tant pis si les ostréiculteurs d’Arcachon doivent payer la casse.

Un dernier chiffre, pour qui aurait encore quelques doutes : selon le président de Réseau ferré de France, en 1981, un kilomètre de LGV (ligne grande vitesse) coûtait 1,5 million d’euros. Il en coûte aujourd’hui presque dix fois plus. Le prix des terres ou de la technologie n’expliquent pas cela, allez plutôt chercher du côté du coût des mesures environnementales et vous aurez une grande part de l’explication.

On pourrait en rajouter à sa guise ; l’essentiel ne tient pas uniquement dans cette atmosphère d’état de siège et de totalitarisme mou qui gangrène une société d’abstinence désormais régulée par la peur. Tout cela a, on l’a vu, un coût. Ce coût grève le prix de nos produits et ce faisant, induit deux effets.

1.Cela réduit progressivement notre compétitivité et notre croissance et partant, réduit à la portion congrue la croissance des salaires et revenus. Les Sarkozy de tout poil et leur valetaille médiatique devraient quand même se rendre compte que la croissance qui tutoie le zéro n’est pas le privilège de la France des 35 heures mais qu’elle concerne toute la vieille Europe, à l’exception irlandaise près. En Europe de l’Est, les bas salaires compensent encore les pertes de compétitivité.

2.Cela grignote le pouvoir d’achat en mettant à la charge des ménages le prix à payer pour ces réglementations, alors même qu’ils n’en tirent eux-mêmes aucune satisfaction. A quoi sert le tri sélectif des plastiques sauf comme potion magique pour M. Hulot et Mme Voynet ? Nos pays alimentent la peur pour mieux la traiter, et Ségolene promet à tous du bio quand les Restos du cœur n’ont jamais eu autant de clients et qu’une fraction croissante de la population n’arrive plus à joindre les deux bouts !

Mais il y a plus : on a aussi ce sentiment que, dans ce transfert de richesses vers la prévention de la peur, tous ne sont pas égaux. Quand monsieur Baupin impose des conditions de circulation censées soigner les poumons des bobos et surtout flatter leur ego, il y a un payeur, qui est précisément celui pour lequel le véhicule est un instrument de travail. Le bobo parisien, consommateur de services, échappe à cette prédation qui pèse sur les couches populaires plus consommatrices d’énergie et de biens industriels, qui constituent l’assiette de "l’impôt écologique". Ce n’est pas un hasard si ce sont ces produits qui grèvent de plus en plus, avec les loyers, le budget des ménages modestes : l’électricité, parce qu’on doit payer plus cher les renouvelables, les déchets, parce qu’il faut payer pour la culpabilisation écologiste mais aussi entretenir d’innombrables acteurs qui ont fait leur la devise : « La réglementation existe donc la demande existe », et enfin, de plus en plus, l’eau du robinet.

La société de la peur et de la communion avec Mère Nature est donc la même que celle qui organise cette prédation des richesses au profit de cette nouvelle bourgeoisie qui, à la différence de la bourgeoisie classique, ne crée pas la richesse mais a organisé le pouvoir politique et médiatique pour s’accaparer celle créée par les autres. En ruinant les agriculteurs et éleveurs, en provoquant la délocalisation des industries là où la production leur sera ré-exportée à meilleur prix, nos bobos, socialisants ou pas, créent une "Île aux enfants" où la pensée est faite de "Gloubigoulba" et tellement simple qu’elle peut être ânonnée par les journalistes potiches d’I télé ou de TF1.
A cet égard, garantir aux électeurs que l’on se bat contre la vie chère tout en soutenant Nicolas Hulot tient de l’escroquerie intellectuelle. Ce n’est pas que l’environnement doive être jeté aux orties ! Sa qualité doit simplement être permise par l’accroissement de la richesse, et non pas se faire en empruntant les chemins du sous-développement durable. Si, pour reprendre une expression chère aux écologistes, nous avons emprunté la Terre à nos enfants, alors il faut aussi leur rendre un monde fait d’espoir et d’emplois. Pas, en tout cas, le royaume de Malthus, car la nature, à l’épreuve de la naïveté des Khmers verts, est à l’homme une mère aussi protectrice que pouvait l’être Folcoche pour ses enfants !

* Rappelons qu’avec le principe de précaution cher à notre président préféré, le feu n’aurait jamais été inventé ! L’ancêtre néanderthalien de José Bové n’aurait même pas risqué la prison, ni même la garde à vue, en allant pisser sur les charbons.


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