Pierre Cot, continuateur de la dynamique révolutionnaire portée par le peuple de France

par Michel J. Cuny
vendredi 24 juillet 2015

La vie politique de Jean Moulin s’est continuée après la Libération à travers la personne de Pierre Cot que nous avons retrouvé, le 5 avril 1946, à la tribune de l’Assemblée nationale constituante, où il présente le rapport qu’il a établi sur le projet de la nouvelle Constitution, à faire ensuite ratifier par le suffrage universel.

Spécialiste du droit constitutionnel, il est ici tout à son affaire. Avec lui, nous allons pouvoir étudier sereinement ce qui s’appelle le régime d’assemblée unique. Cela nous placera immédiatement aux antipodes de la Constitution de la Cinquième République, sous le règne de laquelle - et par la grâce de Charles de Gaulle - nous sommes depuis 1958 et, pour sa révision principale, depuis 1962.

Écoutons donc Pierre Cot  :
« Le premier trait distinctif du projet de la commission, c’est qu’il s’oppose au type classique du gouvernement parlementaire. Ce gouvernement est fondé sur la séparation des pouvoirs. » (page 848)

Il est bien vrai qu’aujourd’hui personne ne s’aviserait de remettre en cause ce principe-là. Il paraît être le garant de la liberté… De quelle liberté ? Ce ne peut être que le garant de la liberté d’entreprendre, qui, elle-même, exige un ensemble très complexe de libertés connexes qui viennent ensuite se partager en droits et devoirs différemment répartis selon que l’on se trouve du côté de l’entreprise en général, ou du côté des travailleurs et travailleuses qui, démuni(e)s de tout moyen de production, ne peuvent qu’offrir leur travail pour mériter de survivre, eux, elles, et leur famille.

Pour oser repousser le principe de séparation des pouvoirs, il faut tout d’abord en faire l’historique. C’est à quoi Pierre Cot se livre immédiatement :
« En France et en Angleterre, où il naquit, il fut surtout "une arme de guerre dirigée contre la monarchie absolue". En exagérant à dessein la différence existant entre deux fonctions - celle de définir la règle générale, c’est-à-dire la loi, et celle d’appliquer cette règle aux cas particuliers - on justifiait l’établissement, en face du "pouvoir" royal, d’un autre "pouvoir", celui du peuple, ou plus exactement celui de la bourgeoisie. » (page 848)

La formulation utilisée par Pierre Cot nous conduit à penser que le peuple n’est partie prenante, dans le schéma qu’il décrit, qu’à travers la classe qui ne peut exister sans la liberté d’entreprendre. Elle-même s’appuiera, certes, sur le peuple des travailleurs et travailleuses démuni(e)s de tout outil de travail, mais ce ne sera que pour faire triompher ses propres droits et libertés en face d’un monarque, qui, comme nous le dit ensuite Pierre Cot, peut tout aussi bien être un président : il suffit qu’il s’agisse du détenteur principal d’un pouvoir exécutif dûment séparé du pouvoir législatif :
« La séparation des pouvoirs servit à fonder la monarchie constitutionnelle, qui en fut la forme normale. Dans un pays où la monarchie ne pouvait exister - l’Amérique -, elle aboutit au gouvernement présidentiel, qui en est une forme dérivée. » (page 848)

C’est donc grâce à l’utilisation de la séparation des pouvoirs qu’en France le processus révolutionnaire bourgeois a pu contraindre peu à peu la monarchie absolue de droit divin à renoncer à tout ce qui la rattachait à l’économie et à la domination féodales, et à se convertir à l’économie de marché, puis à la libre entreprise. L’histoire allait-elle s’arrêter là ? Non, répond Pierre Cot, qui poursuit :
« Au fur et à mesure qu’on s’éloignait des conditions historiques qui l’avaient suscitée et qui la justifiaient, la théorie de la séparation des pouvoirs cessait d’être un facteur de progrès, un instrument de lutte contre l’absolutisme et devenait un obstacle au développement de la démocratie, en opposant un frein au pouvoir du peuple. » (page 849)

Pour mieux contenir ce peuple dans un certain éloignement d’un système de pouvoirs - exécutif et législatif - conçu en dehors de lui, et qui le tenait aux lisières de la véritable scène politique, il convenait de limiter l’affrontement trop brutal entre les tenants de l’ancienne aristocratie et ceux de la bourgeoisie montante. D’où la constatation faite par Pierre Cot  :
« En fin de compte, le fameux principe de la séparation des pouvoirs ne fut plus considéré comme absolu ; on y vit seulement une règle pratique, permettant de réaliser un certain équilibre, non plus entre des "pouvoirs", mais entre des "organes" gouvernementaux chargés de "fonctions" différentes par la Constitution et collaborant à la même entreprise. » (page 849)

Pour finir sur ce thème, soulignons que, grand lecteur de Karl Marx, Pierre Cot montrait que cette règle de séparation s’inscrivait dans une dynamique régulièrement soulignée par le matérialisme dialectique :
« Elle n’était qu’une application du principe de la division du travail. » (page 849)


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