Pitié pour Gabriel Matzneff !
par Robin Guilloux
vendredi 21 février 2020
Vanessa Springora, Le Consentement - Le blog de Robin Guilloux
Vanessa Springora, Le Consentement, Editions Bernard Grasset, 2020 La littérature excuse-t-elle tout ? Quatrième de couverture : "Depuis tant d'années, je tourne en rond dans ma cage, mes rêves...
http://lechatsurmonepaule.over-blog.fr/2020/01/vanessa-springora-le-consentement.html
"Malheur à celui par qui le scandale arrive !" (Matthieu,18.1)
Ce qu'il faut bien appeler une campagne de lynchage médiatique autour de la personne de Gabriel Matzneff prend une tournure qui en dit long sur le milieu intellectuel parisien en particulier et sur l'opinion publique française en général.
Après s'être rendu complice d'un écrivain qui faisait l'apologie de la pédophilie et du tourisme sexuel, la quasi totalité du milieu éditorial, journalistique, littéraire et intellectuel, avec une hypocrisie et une lâcheté qui donnent la nausée, se détourne désormais de lui en se bouchant le nez et laisse, quand elle ne l'incite pas, l'opinion publique qu'elle a contribué à égarer, réclamer sa mort sociale, voire son élimination physique.
L'un des derniers épisodes en date est cet article, dans le journal Libération, un quotidien bien connu pour son combat contre la pédophilie, d'une certaine Cécile Dutheil de la Rochère, article qu'évoque Guillaume Basquin sur le site d'Agoravox. Cécile Dutheil de la Rochère s'en prend courageusement (mais un peu tardivement) à Gabriel Matzneff, tout en avouant qu'elle n'en a lu (tout récemment) que trois livres (mais les a-t-elle vraiment lus ?) sur la cinquantaine qu'il a écrits, mélangeant allègrement les considération littéraires ("c'est répétitif") et les accusations morales.
J'ai écrit ici même un article que je crois sans équivoque sur le témoignage de Vanessa Springora dans lequel je condamne fermement le comportement passé de Gabriel Matzneff, mais je refuse de m'associer à cette campagne.
Pourquoi ? Parce que rien n'est plus suspect que l'unanimité. Car derrière l'unanimité, il y a les accusation rituelles et derrière les accusations rituelles, il y a le lynchage... Il y a une communauté humaine rassemblée contre un seul pour régler ses conflits, ses haines, ses violences et pour chercher à s'en délivrer miraculeusement.
Le mouvement d'indignation autour de Gabriel Matzneff ne fait que confirmer le rôle que joue l'imitation dans les collectivités humaines et qui explique ces mouvements de balancier entre apologie et condamnation, aussi violents qu'irrationnels.
"La vraie morale se moque de la morale", disait Pascal. La sexualité et le plaisir ne sont pas condamnables. Ce qui est immoral, c'est de violer ce que Kant appelait "le principe d'humanité", c'est-à-dire de traiter l'autre comme un moyen et non comme une fin. C'est en cela que Gabriel Matzneff a mal agi.Il faut le dire et le redire et on a raison de le faire. Mais doit-on pour autant réclamer sa déchéance sociale, voire sa mort ?
La condamnation de Gabriel Matzneff doit-elle servir à faire oublier les errances passées de toute une génération et à absoudre ceux qui se sont rendus complices de l'auteur des Moins de seize ans ?
Son cas doit-il servir à résoudre les problèmes collectifs par la violence sacrificielle dont René Girard a bien expliqué le mécanisme dans La violence et le sacré ?
Peut-on réduire un être humain à ses errances, peut-on le condamner en lui refusant toute chance de se racheter ? Notre société laïcisée ignore ce qu'est le péché, mais aussi le pardon.
La régulation de la sexualité dont Jean-Claude Guillebaud a montré dans La Tyrannie du plaisir qu'elle n'était pas le monopole du christianisme, existe dans toutes les sociétés (on la retrouve chez les Grecs, chez les Romains, chez les Amérindiens, dans les codes babyloniens, etc), à cause des dangers réels qu'elle implique - notamment la rivalité, la contagion de la violence et les traumatismes liés à la séduction précoce - et de la nécessité de poser des limites et des régulations symboliques et réelles.
En cela, Gabriel Matzneff, comme la plupart des intellectuels "post-soixante huitards" s'est montré bien naïf et bien superficiel, comme il a joué avec le feu en se plaçant dans la situation d'Oedipe ou de don Juan dont on sait comment ils ont fini.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle son oeuvre me semble bien moins intéressante que celle d'un Michel Houellebecq qui me semble autrement plus lucide.
Mais est-ce une raison de vouloir sa mort et en quoi le suicide éventuel de Gabriel Matzneff réglera-t-il le problème ?
Notre société deviendra-t-elle plus respectueuse des autres, protégera-t-elle mieux les plus fragiles ? Y aura-t-il moins d'incestes dans les familles, moins de pédophilie, moins de féminicides ?
Le vent de puritanisme qui souffle désormais en Amérique et en Europe est-il le prélude à une nouvelle ère de respect entre les hommes et les femmes ou envers les plus fragiles ?
On voudrait bien le croire et on ne peut évidemment que le souhaiter, mais on peut s'interroger sur le sens et la valeur de ce mouvement "unanime" d'indignation.