Plans Com : de Jésus à Manu

par Jacques-Robert SIMON
mercredi 18 juillet 2018

 Les dirigeants doivent décider dans le but d’obtenir le meilleur futur possible de tous et de chacun. Comment s’y prennent-ils ?

 

 L’indécision est la règle chez presque tous les individus. Même seul et sans contrainte, un choix n’est pas toujours facile : la décision se fait généralement selon le plaisir immédiat que l’on en tirera. La situation se complique dès que deux personnes ou plus doivent se déterminer : il s’agit de passer de la pensée individuelle guidée par l’intérêt personnel à une action collective où s’entremêle diverses préoccupations d’autrui. L’action collective conduit presque toujours et souvent spontanément à la formation d’une pyramide hiérarchique où l’un fera le choix qui déterminera le comportement du groupe.

 Dans les démocraties, les dirigeants sont souvent conduits à prendre des décisions mi-chèvre mi-chou pour ménager les susceptibilités les plus importantes. Ni la logique, ni la raison ne semblent avoir une importance prépondérante sur les décisions prises noyées qu’elles sont dans les compromissions et les rapports de force.

 Un dirigeant doit nécessairement avoir un fil d’Ariane pour avoir une cohérence dans ses choix. Jamais il ne dévoilera celui-ci mais il fera en sorte de convaincre l’opinion que le seul choix possible est celui qui va dans le sens qu’il souhaite. Ces efforts concernent le temps long de ses activités. La prise en compte des rapports de force de l’instant feront eux l’objet des décisions nécessaires pour gagner du temps sans être toujours visiblement liées aux buts visés.

 Au sein d’un fil de cuivre, un seul électron par atome peut se mouvoir sous l’effet d’un champ externe appliqué. Les électrons ne sont jamais immobiles mais leur mouvement est erratique et ils se déplacent individuellement à une vitesse proche de la lumière (300 000 km/s), leur vitesse moyenne est nulle. Lorsqu’un courant électrique s’établit, les électrons acquièrent un surcroit de vitesse de l’ordre de 1 mm/s, ce qui est presque négligeable comparée à la vitesse individuelle, mais ce supplément de vitesse est dans le même sens pour tous les électrons de conduction. Les dirigeants doivent maîtriser et les rapides mouvements d’opinion qui ne mènent nulle part et forger une espérance dans le lointain. Si il dévoilait les ressorts intimes qui le meuvent, il tomberait rapidement sous les coups de ses adversaires (ou de ses simples concurrents) : trop prévisible, trop facile à déjouer, trop aisé de liguer les inévitables mécontents. C’est pourquoi également que les échanges qui fuitent entre responsables, il ne peut apparaître ni la vérité, ni le bon sens, ni la raison, seulement ce qui permet de prendre le dessus sur les autres. 

 Les décisions prises quotidiennement semblent constituer, et constituent souvent de fait, un embrouillamini qui emplit de confusion, mais si un cadre de pensée existe chez les décideurs, le chaos de l’instant peut se transformer à long terme et imperceptiblement en un futur. L’immédiat des décisions doit être clair et accessible à tous, la direction dans laquelle on va ne se devine qu’à peine tant la part qu’elle occupe au sein des décisions quotidiennes est infinitésimale.

 Mais quels sont ces buts suprêmes pouvant servir d’absolus ?

 Un dominant considère toujours qu’il est le type même de l’Homme idéal, et il s’étonne constamment que les autres se contentent d’être eux-mêmes. Évidemment la superficie de son royaume peut varier énormément selon qu’il est monarque ou sous-chef de bureau, mais la démarche restera la même. Certains éprouvent de la crainte, de la peur ou de la ferveur à l’égard du chef mais en général il trouve une troupe à la hauteur de sa puissance. Ceux qui ne lui ressemblent pas ou pas encore, seront marginalisés, ridiculisés ou éliminés. Chaque dominant, même le plus subalterne de tous, se prend pour un démiurge, un dieu, et si il fait preuve d’une certaine humilité, c’est « celle qui est une feinte soumission dont on se sert pour soumettre les autres. »

 Un parti, un clan ou une caste agira de même : pour en devenir membre il est nécessaire de se fondre dans la masse en abandonnant toute velléité de réflexion autonome. L’autorité, la coercition, le pouvoir de conviction, la propagande sont quelques unes des armes dont dispose l’élite pour arriver finalement à ses fins : se reproduire intacte à travers le temps afin que les mêmes traits continuent à s’imposer au nom des mêmes principes, des mêmes codes vestimentaires, sociaux, culturels. Au delà des différences, les dominants utilisent toujours les mêmes armes pour arriver à leurs fins : le spectacle, les miracles, le rêve. Il faut créer un merveilleux, un merveilleux si attirant que les foules doivent avoir l’espoir de l’atteindre. 

 « Que ne peut l’artifice, et le fard du langage. »

 Les plans communication ont toujours existé. L’histoire de la naissance du Christ est à cet égard un chef d’œuvre. Au sein d’un empire romain occupant tout le pourtours méditerranéen, des personnes se reconnaissant comme chrétiens proposent un changement drastique de civilisation en mettant l’amour au centre de tout. Au lendemain de la mort de Jésus, ses fidèles étaient tout au plus une centaine. Trois siècles plus tard, la nouvelle religion s'est répandue dans les villes et les ports du bassin méditerranéen. Des lettrés narrent une histoire fabuleuse qui a permis d’attirer une multitude de gens en quête d’espoir. Un couple entre une toute jeune fille et un vieillard a un enfant. L’attirance des hommes âgés pour des jouvencelles est banale, mais reste attirante. La virginité conservée de la mère fournit une accroche qui fascine et donne l’envie d’entendre la suite. Le nouveau né devenu jeune homme devint bon et respectait autrui, y compris le menu peuple : c’est rare en ces temps difficiles. Mais il manquait des marqueurs, des images, d’une punchline qui puisse le distinguer du commun des mortels ; il fera donc toutes sortes de miracles : des guérisons, la résurrection de morts, la multiplication de pains, il marchera sur les eaux, … Le rêve d’un présent meilleur s’installait. Une mort atroce et spectaculaire du héros, la crucifixion étant toutefois fort commune en ces temps, achèvera la mise en scène : seul un dieu pouvait connaître un tel destin. Un empereur comprit tout l’intérêt de mettre de son côté des forces divines car du pain et des jeux ne suffisent pas toujours pour régner sans que la multitude ne s’agite. Une très lourde structure de communication se mit en place pour assurer la logistique de la catéchèse afin d’instiller à chaque instant et chez tous l’image de la vie qu’il convenait d’avoir selon les recommandations sacrées. Des édifices d’une beauté sans égale furent construites pour édifier les badauds, des vitraux fabuleux de couleurs et de lumières complétèrent le décorum et permirent l’émerveillement des foules.

 Dans le monde ancien, chaque individu devait ressembler à ce sauveur grâce à la contention des diverses pulsions de jouissance qu’affrontent ou recherchent, tout un chacun. Bien plus tard, un nouveau merveilleux se révéla nécessaire tant les récompenses promises à la suite d’une vie de sainteté semblaient ténues à côtés des orgies terrestres disponibles. Le nouveau merveilleux ne s’adresse pas seulement aux individus mais plutôt aux masses. L’idéal de pureté n’est plus recherché, il n’est plus besoin de rechercher une quelconque élévation d’âme : il suffit que les populations vous acceptent, vous plébiscitent, vous portent aux nues. Ce n’est plus le père qui juge ses fils, c’est la multitude. Si la plupart des interdits disparaissent, il faut encore que la multitude se prête aux efforts : la concurrence se chargera de stimuler les indolents. Cette concurrence permettra surtout de fragmenter toute communauté qui se formerait pour défendre ses intérêts collectifs, séquelle d’une lutte des classes que l’on s’efforce de bannir à jamais. Les individus se transforment en vibrions s’agitant en tous sens mais ne se déplaçant pas.

  Les saints, les évangélistes, les religieux ayant été chassés du présent, quels peuvent être les nouveaux apôtres ?

 Il y avait en France, en 1789, 1% de nobles et à peu près autant de religieux. Aujourd’hui, si on additionne le nombre de conseillers municipaux, communautaires, métropolitains, départementaux, régionaux, les députés, les sénateurs, les députés européens, on arrive à un peu plus de 600.000 élus, soit également de l’ordre de 1% de la population française. Il existe aussi 700 000 employés en communication en France. Les entreprises dans ce domaine représentent un peu plus de 2 % du PIB. Il s’agit de l’un des tous premiers moteurs de l’économie française, avant le secteur aéronautique et spatial, avant également les dépenses en Recherche &Développement des entreprises. Tout ce monde, à divers titres, va constituer le corps social auquel on devra ressembler pour réussir.

 La possession des moyens financiers permet à peu près tout, elle permet d’accrocher de futurs acheteurs, elle permet ensuite de se procurer les crédits pour acheter les talents nécessaires à la production, la conception, la création, elle permet enfin de faire fructifier l’investissement fait à l’origine. Il en est de même pour l’impalpable et l’intangible : il suffit de fixer un tarif aux artistes, aux philosophes, aux scientifiques, pour pouvoir les mettre à son service.

 Les plaisirs ne sont plus source de déboires, du moins si vos moyens vous les permettent, et une nouvelle catéchèse s’est installée : la vie n’est éternelle que grâce aux autres, il faut donc présenter ses meilleurs atours à autrui. La presse, la télévision, la radio, l’affichage, le cinéma, Internet, les livres pour adultes, pour enfants, l’école, les universités, sont en charge de modeler les citoyens à un nouveau cahier des charges. Une démocratie se doit d’être transparente, elle le sera avec une infatigable envie de décrédibiliser les uns par un regard, un sourire, un mot d’esprit blessant, tout en mettant en avant (mais discrètement) les personnes de votre choix. Les démocraties médiatiques utilisent massivement l’affectif, les images de choc, les amalgames, les dénonciations médiatisées pour piéger par les apparences le commun des mortels, comme le faisaient les évangélistes en un autre temps et avec d’autres moyens.

 La prise de décision basée sur la Raison n’est plus nécessaire puisqu’il s’agit de suivre ses penchants naturels. Les masses populaires ne doivent pas s’élever : l’heure est à la seule satisfaction réciproque. Le plan com est donc simple : noyer les individus de biens ou de plaisirs dérisoires, d’informations vraies, fausses ou biaisées, pour éviter qu’ils ne comprennent que le pouvoir est ailleurs.

 


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