Poker menteur
par D. Artus
vendredi 9 février 2007
Février sera meurtrier. Déjà, les coups bas pleuvent, les promesses fleurissent et les candidats changent de discours sans craindre le tête-à-queue idéologique ou politique. Bref, la campagne présidentielle est bien lancée.
Mitterrand fut l’un des grands artisans du pervertissement des campagnes. D’abord parce qu’il a été candidat à des moments-clés de l’explosion médiatique, notamment en 1988 avec l’augmentation du nombre de chaînes de télévision et la ruée des radios privées (dites « libres » à l’époque...). Parti de loin, distancé par Raymond Barre pendant les trois quarts de la campagne, François Mitterrand récupéra tout ou partie du programme de Barre, tout « esbaudi » comme il aurait pu le confier lui-même et donc absent du second tour. Ses troupes UDF de l’époque, plutôt désunis sur la fin, entre ralliement mou à Chirac et volonté de faire payer le traître de 1981, permirent donc à Mitterrand d’être élu sans son programme.
Chirac s’essaya au même exercice en 1995 avec la « fracture sociale » qui lui allait comme un gant à un manchot. Pourtant, la large campagne médiatique, ajoutée au raidissement naturel (déjà) du candidat Jospin lui permit de gagner. 2002 vit le triomphe de la campagne de « la peur au ventre », campagne sécuritaire sans précédent et sans réalité autre que fantasmée. Comme souvent, les plus trouillards furent ceux courant le moins de risque, les campagnards sans histoire votant Le Pen par crainte des immigrés qu’ils n’avaient jamais rencontré...
Nivellement par les medias
Alors on peut déplorer que les campagnes présidentielles se déroulent «
à l’américaine », que les débats aient disparu, sacrifié par les
équipes de campagne au nom du principe de précaution (la trouille en
réalité), que « c’était mieux avant ». Mais la posture conservatrice
n’a jamais fait avancer le débat ni la politique. Il est vrai que si le
candidat le plus compétent, avec le meilleur programme ou la meilleure
vision pour la France (supposition gratuite, bien sûr) avait dû être
élu, Giscard qui avait déjà commencé à réformer la France, serait passé en 1981, Michel Rocard aurait affronté Raymond Barre au deuxième tour en 1988 et Jacques Delors
archi-favori, écrasé Jacques Chirac en 1995... Quant à 2002, l’intégrité
de Lionel Jospin aurait dû le faire gagner. Et oui, si on refait
l’histoire, elle a une tout autre allure. Mais la réalité est que nous
avons vécu depuis vingt-cinq ans avec à la présidence deux briscards de
la politique, Mitterrand et Chirac, les plus beaux exemples de «
politiques politiciens » qui promettent beaucoup mais ne tiennent pas.
Champions toute catégorie de la démagogie, des « pragmatiques » comme disent les commentateurs, pour éviter d’employer le mot « populistes ».
Sauf que la démocratie reste la rencontre d’un homme (ou d’une femme)
avec l’opinion et que depuis quelques décennies, l’opinion peut
s’appuyer sur les medias, les instituts de sondages, l’exemple
étranger, pour se forger son avis et aller voter. Il faut donc parler fort et clair, adopter le verbe haut, le ton bravache et l’anathème calculé. Sans s’occuper réellement du fond...
D’où le fantastique intérêt suscité par cette campagne, où à défaut de
personnalités neuves, se présentent tout de même avec de réelles
chances de succès, des candidats jeunes (la cinquantaine), n’ayant
jamais brigué les suffrages (à part François Bayrou quand même, sans
parler des petits...)... Mais malheureusement, Sarko comme Ségo sont eux
aussi des professionnels de la politique et leurs ajustements, pour ne
pas dire revirements, de ces derniers jours, le montrent bien. Sarko
joue au rassembleurs tranquille en vue du second tour, Ségo retrouve
les accents de Georges Marchais en 1981 contre le grand capital. Tout
se joue dans l’opinion fin février, après les tendances ne s’inversent
plus. Février sera meurtrier, je vous le dis... D.A.