Polanski : Le facteur sonne toujours deux fois !
par velosolex
jeudi 14 novembre 2019
Sans aucun doute que Polanski fait parler de lui d’une autre façon qu’il l’aurait souhaité... Il a réussi, dans le timing des faits à créer quelque chose d’inédit. Une sorte de chambre d’écho autour du mot « J’accuse », l’entourant maintenant de toute part. La lettre de Valentine Monnier a recouvert l’affiche du film, le jour de sa sortie . https://bit.ly/2Q4ws66 « Sans J'accuse, je serais restée dans mon silence, comme je le fais depuis quarante-quatre ans », affirme t’elle.
Il y a quelques mois, cette photographe, ancienne actrice, découvre dans la presse que Roman Polanski prépare un film sur l'affaire Dreyfus, l'histoire d'un officier français condamné à tort en 1894, sur fond d'antisémitisme, pour avoir livré des documents secrets à l'Allemagne. Par le retournement du verbe, sa décision ressemble à une de ces séquences cent fois jouées, où l’on voit un témoin tout à coup s’emparer de l’arme d’un criminel, et la braquer sur lui. Une illustration de ce que les Grecs anciens appelaient « le Kairos » ; la simultanéité du temps idéal et de l’action, un point de basculement décisif . https://bit.ly/2qKQR5u (article RTL)
.Cette fois personne n’a pu dire « Coupez ! »
Les échotiers et les copains ont commenté, chacun à leur façon. L’éternelle ritournelle de la prescription de faits, d’ailleurs juridiquement non prouvés. Reste que la liste des plaignantes s’allongeant, la présomption d’une accumulation de mensonges devient une probabilité non viable. Les choses étant ce qu’elles sont, après la déprogrammation de « C à vous », enregistré sur la 5 avec Louis Garrel, la défection de Jean Dujardin sur le plateau de TF1, pour promotionner le film, parler de malaise est un euphémisme.
On craint les dégâts collatéraux, les conséquences sur la sortie du film, et sur le monde du cinéma en terme d’image. Tous ces petits calculs d’épicier matois. Une culture très hexagonale, faite de petits arrangements entre amis, camoufle les scandales sous les tapis rouges, et feint l’indifférence, ou minore l’événement. Certains parleraient d’omerta. Pendant longtemps, c’est tout juste si ces agissements, plus acceptés ici qu’aux USA, n’étaient pas vus comme une qualité propre à notre culture, une sorte de « French touch » dont on pourrait se vanter. Le Français ne serait pas prude, bégueule comme les américains, mais libéré, nature.... DSK aurait-il eu les ennuis qu’il rencontra aux states s’il était resté en France ?
Polanski, un cas qui embarrasse le cinéma français (TV5 lmonde) : https://bit.ly/2NDu0lh
Boomerang….Un mot signifiant lui aussi. Étrange pertinence des mots ! Le projet du film ne date pas d’hier, était mûrement réfléchi. Outre l’intérêt de cette histoire qui partagea la France en deux clans sous la troisième république, Roman Polanski. Via le dossier de presse du film, déclare que l'histoire du capitaine Dreyfus fait écho à sa propre histoire.
"Je peux voir la même détermination à nier les faits et me condamner pour des choses que je n'ai pas faites. La plupart des gens qui me harcèlent ne me connaissent pas et ne savent rien sur l'affaire."
Est-ce cette interview accordée en Aout dernier à Pascal Bruckner qui a poussé Valentine Monnier à hurler son indignation ?....Roman Polinski serait-il stigmatisé depuis des lustres ? Des multiples plaintes à son égard, une seule a été jugée, et Polanski a été reconnu coupable, par la justice américaine, avant de fuir à l’étranger. ..(pour tout comprendre de l'affaire Polanski : https://bit.ly/2NJcXyc )
Face à l’accusation de Valentine Monnier, Polanski prépare, a-t-il dit, sa réplique, tout en « clamant son innocence », selon la formule consacrée. Entre manipulation et enchantement, le cinéma est bien ce septième art qui engloberait tous les autres, en leur piquant leurs ficelles, les mixant entre elles. La danse, le théâtre, la poésie, la musique tirent leur canevas autour du désir, de l’épouvante, de la névrose et de l’extase. Une science d’hypnotiseur, qui joue de sa camera sur les foules, et les acteurs, comme avec un pendule.
Au centre, le maître de ballet, qu’on appelle le metteur en scène. Les histoires les plus folles circulent parfois sur eux. Il semble que leur pouvoir, comme celui qu’on donne aux hommes politiques, leur monte parfois à la tête. Dans le monde du cinéma, ce n’est pas toujours le lion de la MGM, qui rugit le plus fort.
On sait depuis longtemps qu’il est plus facile de faire condamner un manant qu’un seigneur. Ce qui amène forcément silence et résignation, à moins d’être suicidaire, ou très en colère. Pour ne pas avoir observé ces préceptes, un dénommé Damien, fut condamné à écartèlement, après avoir subi le supplice de la roue. C’était en 1757 à Paris. Ce jour là le roi Louis quinze au soir de cette épouvantable journée en prit nouvelle. https://bit.ly/33DqGMN
La justice a fait tout de même des progrès notables depuis l’affaire Damien, et la parole de Valentine Monnier, parce qu’elle est crédible, et appuyée par des témoignages indirects, aura au moins rencontré compréhension, sympathie et soutien. Elle n’en attendait pas plus. Aurait-elle voulu pousser au pénal, les faits sont prescrits, en raison de leur ancienneté.
C'est une question morale et autant juridique, aussi ancienne que le droit lui-même. Mais jamais la prescription n'aura autant fait débat qu'actuellement. Elle éclate dans un contexte particulier, où les femmes s’affirment, s’organisent, parviennent à rompre le sentiment d’opprobre et la peur de la relégation qui gouvernaient jusqu’alors ces problèmes de viols. Ce silence venant de la victime, et qui fait la force des prédateurs. Il agissent en fonction d’un climat sociétal plus ou moins liberticide, suggérant quand, où, et avec qui, ils peuvent s’affranchir des conventions morales.
Combien de bonnes et de petites servantes, envoyées de la province vers Paris, durent ravaler leur honte, et subirent opprobre, après avoir été mise en cloque dans une famille bourgeoise. Un usage de la femme en forme d’esclave sexuelle, qui fut presque banal tout au long du dix neuvième siècle, et sans doute bien plus tard.
Cela explique pourquoi tant de films historiques, et la difficulté d’aborder le fait social, comme un pays étranger dont on ne connaît pas les usages. Ils préfèrent les vaudevilles ou les marivaudages réchauffés. L’histoire de France est un vrai panier à crabes qui ne pincent plus personne, mais dans lequel ils sont à l’aise. On s’inspire d’un vieux roman de la cour, d’un vieux scandale sous la troisième république. Pourquoi s’emmerder avec le social ? Bien peu ont le courage de déranger, de dénoncer la puissance d’argent dont ils dépendent, de présenter des utopies pour le futur.
Trop peu de cinéma détonnant, engagé, offrant autre chose que les éternels acteurs formatés, passant leur carrière de notable du ciné, en partant des rôles voués à l’adolescence jusqu’à ceux du grand âge. Quelle idée doivent avoir les étrangers de notre pays, à voir rien que des bourgeois, égrainant leur spleen, entre l’appartement de Paris, et leur villa Normande ou du Lubéron, à des années lumière de nos préoccupations ?
« J’accuse !... » Vous pensez... Ce titre a vraiment été une erreur de casting. Il a réveillé le passé, Peut-être bien Zola dans sa tombe. Sans compter toutes ces filles que certains voient comme autant d’hystériques. Elles sont en nombre, crient beaucoup, auraient pu faire de la figuration dans « la nuit des morts vivants », ou même « le bal des vampires », un film où Polanski a lui-même joué….. Elles s’accrochent à vos basques, ne vous lâchent plus, veulent vous emporter dans leur tombe. De saintes furies ! Celles du mouvement metoo, par exemple. Ou les femen… Étonnant que Polanski n’ait pas eu une fiche de travail, un pense-bête sur toutes ces histoires passées.
« Le crime était presque parfait ! » C’est le nom d’un des films de Hitch. Il a beaucoup traité l’histoire du psychopathe qui joue avec la police, avec les règles. De savants montages, et des cadrages admirables... D’où vient la genèse de l’art ? Mais aussi du crime ? De la névrose ? Du passage à l’acte compulsif ? Ce moment où le créateur sort de la fiction et du jeu... Peut-on considérer qu’un artiste à moins de chance de devenir un déviant et un criminel que d’autres qui ne disposent pas d’un canal, pour esthétiser leurs angoisses et leurs désirs ? La création change-t-elle la pulsion de mort en énergie vitale ?... Reste que le metteur en scène ne ressemble en rien à un artiste solitaire, travaillant sur sa toile, mais se tient au centre de la toile d’araignée, et ressemble parfois au docteur Mabuse.
En racontant cette histoire à Truffaut, il ajouta : « On demande à tous les petits garçons ce qu’ils veulent devenir quand ils seront grands. Il faut porter à mon crédit que je n’ai jamais répondu policeman ». En tout cas il livre ici une clé freudienne à sa terreur des flics, et de l’erreur judiciaire. Le thème de l’homme tranquille, victime de la roue aveugle du destin, et de méprises incroyables, constante chez lui, présente dès ses premiers films, tels « les 39 marches - 1935 » « Jeune et innocent - 1937 » et « la cinquième colonne - 1942 » mais on pense surtout à « la mort aux trousses », film plus connu.
Les thèmes de Polanski sont d’un autre ordre. Une sombre fatalité est présente dans la plupart de ces films. Un cinema fait de lumières et d’ombre, où la quête du bonheur est fragile. La monstruosité peut être celle du destin, et frapper les héros au hasard des circonstances. Le paranormal flirte avec le pathologique et la maladie mentale. On en vient à cette possession, qui n’est que le fruit d’un mental défaillant, mais parfois d’un conditionnement, ou d’un esprit malin.
Il faut dire que la jeunesse de Roman fut un roman. Souvent d’épouvante. Avec tout de même des éclaircies. Entre ses années passées en Pologne dans le ghetto de Cracovie, la mort de sa mère en déportation, le petit juif pauvre, livré à lui-même, a dû développer des qualités exceptionnelles de résilience, pour arriver à s’en sortir, et parvenir au sommet de son art. https://bit.ly/2CMXqXP (Polanski : Sa vie est un roman)
L’histoire que se joue actuellement autour cette affaire est bien signée Polanski. Plus vrai que celui de l'affiche ! Ce « J’accuse » au gros budget. Dans le déroulement du scandale, la dynamique particulière, les faits hallucinants, l’irruption du monstrueux dans un cadre tranquille, on retrouve la patte de l’auteur qui a sorti « Ghost writer », ce film étrange sur la création, le dédoublement, la menace diffuse. Comment l'ombre de tout ce qui est arrivé à Roman depuis l'horreur nazie ne peut-elle pas peser sur les films de Polanski ?
Prenez « TESS ». Un film admirable. D’après un roman de Thomas Hardy. Comme pour son dernier film, c’était un tournage qu’il tenait à réaliser. En hommage à Sharon Tate, sa jeune femme, qui avait été éblouie par le roman. Elle lui avait recommandé, avant de se faire assassiner par Charles Manson, en 69, dans leur villa de Los Angeles. https://bit.ly/353djWv
L’écho de « Rosemary’ s baby », ce chef d’œuvre glaçant de la manipulation et de l’épouvante me revient aussi en mémoire. Le lieu clos de la chambre, permettant tous les sacrifices, et les exactions. Tess, raconte l’histoire d’une jeune fille pauvre, dans la campagne anglaise au dix neuvième siècle. Engagée comme « dame de compagnie », elle va être victime du fils de famille, un opportuniste. C’est le cœur de l’histoire. Un huis clos glaçant où cette « oie blanche » inexpérimentée, candide, se retrouve déshonorée, enceinte, et toute à sa honte, va, à partir de ce traumatisme, s’enfoncer de plus en plus dans la déchéance, la punition, armant la violence contre elle même, finalement. …
J’ai été étonné de voir que Costa-Gravas soutenait lui aussi Polanski. "Ca fait 40 ans... Le pardon est nécessaire dans la société », a observé récemment le réalisateur, président de la Cinémathèque française. Costa-Gravas a tout de même réalisé nombre de films dérangeant, liés à la mémoire. L’un deux m’a particulièrement marqué. « Music box »
Qui peut juger ? Et qui peut pardonner, hormis les victimes elles mêmes ?
L’image de Tess m’est revenue. Et puis celle aussi de Polanski, enfant, misérable, à la croisée des chemins, hésitant entre deux routes à suivre, au sortir du ghetto, dans la campagne Polonaise hivernale. Je les ai superposées aux propos résilients de Valentine Monnier. Mais je ne savais plus de quelle bouche ils sortaient, tant ils étaient universels.
"J'ai tenu tant d'années, usé de différents exutoires pour résister, pris de nombreuses voies détournées pour le dire autrement, avant de comprendre, dans le pas de femmes exemplaire, que le chemin de la vérité était le droit chemin' !"