Polémique du genre : la gauche prise les doigts dans le pot de confiture

par Lo lop
vendredi 14 février 2014

La gauche pensante ne pourra pas se tirer de la polémique sur le genre en se contentant de crier au loup du complotisme. D’une : essayer de clore le débat en prétendant que le genre ne fait pas l’objet d’une théorie mais seulement d’études scientifiques, c’est quand même un peu gros pour des intellectuels qui voient habituellement du politique partout. Et de deux : on peut quand même s’étonner que le ministère de l’Education nationale ait pu s’engager d’une façon si imprudente dans un domaine aussi miné…

« Tout est politique  » disait un slogan de mai 68… Et cela s'applique également au genre, c'est-à-dire à l’étude de la dimension psychologique, sociale, culturelle des différences entre homme et femme. Le fait de postuler que cette différence n’est pas seulement innée, mais aussi (voire surtout) construite par l’environnement n’est pas tout à fait neutre. Si l’utilisation scientifique du terme "genre" apparaît durant les années 50 dans les domaines de la psychologie et de la sociologie, le postulat de départ est antérieur et peut se dater de 1949, avec Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir et sa fameuse formule : « on ne naît pas femme, on le devient  ». L’affirmation est philosophique et politique, existentialiste et féministe. En déclarant que la distinction entre garçons et filles est un instrument de domination qui sert l’ordre social, Beauvoir place délibérément à gauche l'idée d'une fabrication sociale des différences hommes-femmes, pour peu que l’on accepte la définition de Raymond Aron selon lequel les idées de gauche s'inscrivent dans le tryptique liberté (contre l’arbitraire) - égalité (contre les privilèges) - rationalité (contre l’ordre traditionnel).

On peut toujours pinailler et déclarer « qu’il n’y a pas "une" théorie du genre, fantasme entretenu par ceux et celles que la perspective d’une égalité effective dérange ou effraie, mais "des" études de genre. » (tribune signée par une centaine d’universitaires le 10 juin 2013). Pour nombre de féministes, comme Monique Wittig, co-fondatrice du MLF décédee en 2003, qui a dégraissé la formule de Simone de Beauvoir en affirmant carrément « on n’est pas femme », il faut au moins parler de théorie de dépassement du genre... Ce n’est pas parce qu’un objet n’est pas nommé qu’il n’existe pas !

En refusant la notion de théorie au bénéfice de celle d’études, nos querelleurs sémantiques voudraient nous faire croire que la question de l’égalité des sexes n’est plus de l’ordre du politique, qu’elle aurait définitivement été réglée par k.o. consensuel. Une sorte de fin de l’histoire : « circulez, y a rien à voir ! ». La polémique récente constitue un rappel cuisant à la réalité de l’état actuel des forces et des idées politiques. Un retour quelque peu ironique, car le refus de politiser les questions de société est traditionnellement perçu comme une attitude typique « de droite », alors que la volonté de porter le politique sur tous les aspects, même les plus intimes, correspond plutôt à une posture « de gauche ». Conservateurs et contestataires se retrouvent désormais à fronts renversés. Messieurs les intellectuels, il va falloir s’y faire !

D’une certaine façon, cette (fausse ?) ingénuité se retrouve aussi a travers l’attitude du Ministère de l’Education nationale.

Dans cette instution en proie à une politique de maîtrise des dépenses qui assèche les moyens humains et matériels et pourrit chaque jour les missions, il est tentant de forcer un peu sur la communication pour tenter de "donner du sens", faire croire qu’il faut encore y croire. Or, la crise qu’a déclenchée la rumeur sur l’ABCD de l’égalité a tout du bad buzz, c'est-à-dire du phénomène de bouche à oreille négatif, subi par un annonceur qui maîtrise mal sa pub et la voit finalement se retourner contre lui. Les têtes d’œuf du ministère devraient pourtant se souvenir qu'en matière de marketing, on repère généralement deux causes principales de fiasco : le mauvais positionnement et la crise de confiance.

L’école doit-elle assurer la mission de porter et de transmettre les valeurs d'égalité et de respect entre les filles et les garçons ? Bien évidemment ! Le sujet devait-il faire l’objet d’une communication aussi intensive et visible ? On peut quand même se le demander. Cela met surtout en lumière le fait que les institutions publiques se comportent de plus en plus comme des marques qui travaillent leur image. Une suggestion pour éviter que ça se reproduise : laisser tomber la communication institutionnelle et rechercher plutôt de vraies solutions.

Il n’y a aucune raison pour que les néo-conservateurs, traditionalistes, réactionnaires ou post-fascistes (comme pour la théorie du genre, appelons un chat un chat…), qui reprennent actuellement du poil de la bête, fassent le moindre cadeau à des adversaires confortablement assoupis dans les universités et les ministères. Pas la peine de faire les saintes-nitouches en proclammant sa bonne foi la main sur un ton indigné, car, à ce rythme, la gauche va vite se retrouver à la ramasse d’une droite qui court désormais plus vite qu’elle. Un petit décrassage s’impose !


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