Populisme : les histoires d’amour en politique finissent mal en général !
par Catherine Guibourg
mardi 27 février 2007
Le langage de la campagne 2007 a un goût de populisme qu’on n’avait pas ressenti, à droite ou à gauche, depuis très longtemps. Il se cantonnait grosso-modo à l’extrême droite. Peut-être faut-il remonter au poujadisme des années 50, pour obtenir un si large spectre ? Pourquoi ce populisme ? Et pour en être pleinement conscient, comment le décrire, ce populisme ? Quels effets pourrait-il avoir sur la politique à long terme ? Vers quoi pourrait-il nous faire plonger ? Autant de questions auxquelles il n’est pas simple de répondre. Car voilà bien un des paradoxes de nos sociétés. Nous sommes abreuvés de sondages et de statistiques de masse, et pourtant le « général « ne suffit pas à l’analyse d’une société dont la compréhension nous échappe.
Pire, en créant l’illusion d’un « profil de Français moyen », qui serait à 50 % sceptique, et à 50 % favorable à l’Europe, non seulement nous apprenons en vérité bien peu de choses, que nous ne savions déjà, mais en outre les sondages nuisent à ce qui est le propre de l’homme, sa faculté et sa force de penser. Les Français ont autant besoin de croissance économique que de croissance spirituelle, pour s’armer psychologiquement face à l’avenir. Encore faut-il que les « responsables » politiques les y incitent.
Un sondage ? Comme son nom l’indique, une coupe plane dans un volume mouvant à trois dimensions. En géologie un sondage n’explique pas la morphologie du sous-sol, il ne fait que confirmer ce que les études approfondies du substrat ont révélé.
Les sondages manquent de cette épaisseur qui nous fait hommes.
L’épaisseur des grandes fresques d’un Balzac ou d’un Flaubert en décrivant la complexité des personnages qui composent une société et la toile qui les relient, nous révèle mille fois plus que tous les sondages "truc muche" réunis. Comme si seule la littérature redonnait sens.
C’est encore la littérature qui nous fait mieux comprendre ce qu’est le populisme. En recourant à Don Juan. Ce mythe né en Espagne vers 1630 sous les traits du séducteur de Séville, apparaît en Italie vers 1650 et fait de Don Juan un vrai révolté, dans l’ivresse de son affirmation individuelle (on dirait aujourd’hui de son égo), contre toutes les lois divines et humaines. Le Don Juan italien inspire celui de Molière né en 1665, chez qui le cynisme domine et le fait se tirer d’affaire.
Un candidat populiste aime et s’adresse à son peuple, comme Don Juan à ses conquêtes. Pour lui agir, c’est séduire. « Il s’est créé un univers entièrement dominé par le pouvoir des mots, et ne se sent en rien engagé par eux ». Tout n’est que jeu de séduction et de conquête. Ce qui compte chez Don Juan, ce ne sont pas les mots de sa propre pensée qui doivent convaincre pour triompher, ce sont les mots des autres, qu’on reprend à son compte, pour séduire et gagner. Les mots n’engagent pas chez Don Juan. Ainsi Sarkozy se déguise en Jaurès pour nous séduire. Royal martèle, comme en écho aux heures sombres de Pétain, les mots d’ordre juste et de camps militaires, ou entonne "Vive le Québec libre, et la souveraineté nationale". L’attitude ségoliste, c’est gaulliste. Ségolène aime à ses heures se draper en Général. Pour nous plaire.
Peu importe, puisque demain, ils seront loin, à autre lieu, autre masque, à nouvelle foule, nouveaux mots, les mots n’engagent pas, pensent-ils. C’est sans compter les médias, l’internet, et le peuple lui-même qui jouent un peu le rôle du commandeur dans l’histoire.
Car pour savoir la fin, relisons Don Juan. La farce devient tragédie. Don Juan, croit prendre l’autre au piège de la séduction, mais c’est lui qui est pris. C’est le fameux « tel est pris qui croyait prendre ! « Devant le commandeur (symbolisant tour à tour le miroir de soi, ou du peuple français), Don Juan se perd, commence à douter, devient l’ombre de lui-même, « il n’y a pas de délai qui n’expire, de dette qui ne se paie » soupire le commandeur. En se mettant en dette du peuple français, avec mille promesses impossibles, les candidats populistes feignent d’oublier que tôt ou tard ils devront honorer leur promesses, régler leur dette morale. Ce jour là, est un vertige. Une chute. Irrémédiablement.
Pourquoi le populisme qui était au pouvoir en Italie avec Berlusconi, a gagné la France mais semble épargner l’Allemagne ou l’Espagne ?
L’Histoire de France nous enseigne que le populisme s’accroît avec les défaites. De la défaite prussienne de 1870 surgirent l’humiliation et le populisme du général Boulanger (enterré à Bruxelles cimetière d’Ixelles). De la grande défaite de juin 1940 s’ensuivent l’humiliation, Laval, puis Pétain. Chaque défaite française réintroduit le mythe qu’une France est à sauver. Qu’un sauveur nous est né ! Comme si les Français, n’étant eux même plus rien, sans force, s’en remettaient au sauveur pour les sauver.
On a trop tendance à oublier que la défaite n’est pas que physique (perte d’hommes),or, elle est terriblement psychique, terrible d’humiliation, de perte d’égo, de souffrance intérieure.
Dans une certaine mesure, le 29 mai est une défaite française. Pour certains le 29 mai, puis le sommet des amis de la Constitution à Madrid, première réunion d’une Europe sans la France, sont vécus comme une humiliation, c’est notre égo qui est touché. Jacques Chirac par exemple à propos du sommet de Madrid : "il ne faudrait quand même pas que ça se sache et en faire trop de publicité". ( y a-t-il eu d’ailleurs des ordres donnés aux chaînes de télé nationales qui n’en ont pas parlé ? ). Alain Lamassoure « ce sommet une fois ça va, il ne faudrait pas que ça se reproduise ». Pire encore, l’attitude nationale-souverainiste du Parti socialiste !
Plus généralement Laurence Parisot au MEDEF : "C’est une France blessée et humiliée qu’il faut relever". Mais d’où nous vient donc cette humiliation ? Tout se passe comme si cette défaite française, défaite du leadership français dans l’union, se transformait chez nos candidats populistes en une victoire. Comme si la France, par orgueil, incapable de dire sa défaite s’enfermait dans l’illusion d’une victoire républicaine, ce grand peuple français.
Avant le 29 mai, la France modeste n’allait pas bien. Depuis le 29 mai, même la France aisée n’a plus le moral, c’est dés lors toute la France qui psychiquement ne va plus bien !
La seule façon de prendre pleinement conscience que le 29 mai n‘est ni une victoire, ni une défaite, mais une impasse, un cul de sac, dont nous devons absolument sortir est d’en reparler. Sans les mots, il est probable que le 29 mai nous enferme encore davantage et pour longtemps dans une histoire politique de plus en plus nationale. Les barreaux d’une prison nationale comme horizon.
Au secours !