Populisme, vous avez dit populisme ?

par Alain Roumestand
mardi 21 janvier 2020

Quand on n'a plus d'argument à opposer à son contradicteur, on le traite de populiste, à tout bout de champ.A croire que chacun est le populiste de son voisin. Donald Trump, le président américain, est populiste ; Boris Johnson, le prime minister anglais, est populiste ; Viktor Orban, le premier ministre hongrois, ex dissident anti-communiste, est populiste ; Jean-Luc Melenchon est populiste, tous des élus par ailleurs. Le mot est galvaudé. En fait qu'est-ce-que le populisme ?

Le populisme est mondial

Le phénomène est mondial. La vague populiste semble irrésistible. C'est la 4ème année de Donald Trump qui commence ; ce sont les débuts de Jair Bolsonaro au Brésil ; Recep Tayyip Erdogan est au pouvoir en Turquie depuis 2003 ; Narendra Modi commence son 2ème mandat en Inde. On pourrait rajouter les Philippines, la Pologne, l'Italie, la Hongrie.

A chaque fois, au départ, pas de putsch, pas de dictature mais ceux qu'on appelle populistes sont arrivés au pouvoir démocratiquement. Ils se sont montrés capables de remplacer les partis traditionnels, en n'étant pas simplement des forces politiques en marge, des forces de contestation sans débouché. Ils sont au pouvoir seuls ou en coalition. Et une grammaire populiste universelle est en train de s'emparer du discours politique. Ils contestent systématiquement les élites qu'ils considèrent comme corrompues. Ils partent en guerre contre les médias, ils contrôlent de mieux en mieux leurs oppositions. Ils pratiquent un protectionnisme volontariste et arrêtent le flux des migrations.

Populisme et peuple

Dans populisme il y a peuple. Le populisme part du peuple, comme les partis politiques qui, dans les démocraties, se réclament du peuple. Les populistes font référence à la souveraineté du peuple mais, comme ils dénoncent les élites, on se rend compte que tout le monde n'est pas inclus dans cette souveraineté. Les financiers, les politiques classiques, les intellectuels sont considérés loin du peuple.

Les populistes pratiquent l'exclusion. En dehors de la communauté du peuple il y a les traîtres à la nation. Pour le premier ministre hongrois Viktor Orban, Georges Soros le financier mondialiste, milliardaire américain d'origine hongroise, est le produit du cosmopolitisme. Et l'appartenance de la Hongrie à la sphère chrétienne est utilisée contre les migrants musulmans aux portes de l'Europe, ce qui fait hurler l'opposition à Viktor Orban.

Les populistes de gauche considèrent le peuple comme une entité sociale, l'historique classe laborieuse qui exclut elle aussi les élites. C'est la Grèce de Syriza à l'arrivée au pouvoir d' Alexis Tsipras. C'est le Vénézuela avec la dénonciation par Hugo Chavez puis Nicolas Maduro, des ennemis de la révolution bolivarienne. N'oublions pas qu'historiquement le populisme est né à gauche en Russie et aux USA, avec la protestation sociale.

Le style populiste

La question qui peut se poser sur le populisme est double. Le populisme est-il une stratégie politique pour aller au pouvoir avec beaucoup de démagogie, une absence de programme ou bien le populisme est-il une vraie idéologie qui scinde la société en 2 ?

Avec un populisme de gauche qui considère que les "gros" sont corrompus moralement, avec un national-populisme basé sur la xénophobie, sur le rejet de l'étranger, le rejet du migrant. Dans l'Union européenne, le rejet de Bruxelles, le rejet du capitalisme réunissent quant à eux le populisme de gauche et le national populisme.

Le populisme c'est surtout un style politique efficace. Que l'on regarde les chefs politiques qui l'incarnent et l'on voit les similitudes entre Hugo Chavez, Narendra Modi, Donald Trump, Recep Tayyip Erdogan. Lors de leur conquête démocratique du pouvoir, leurs discours sont teintés d'une part de démagogie, en affirmant que dans la société il ne doit plus y avoir de haut et de bas. Ils utilisent les émotions, la morale, la peur, la colère, à gauche comme à droite. C'est l'autre qui fait peur. Et dans tous les cas, c'est l'establishment, les gens en place qui font les frais de leur diatribe. Le leader, au pouvoir suprême ou pas, sait se rendre populaire. C'est toujours ou presque un homme sauf par exemple dans le cas français avec Marine Le Pen. On ne peut ignorer le côté machiste et la défense de la masculinité considérée comme menacée par le féminisme.

Le leader populiste

Le chef populiste se présente par ailleurs comme n'importe lequel d'entre nous, mais il est aussi quelque part un héros. On peut voir en Inde des masques à l'effigie de Narendra Modi et des vêtements floqués sont distribués gratuitement permettant de s'identifier au leader.

Le leader aime provoquer une relation fusionnelle avec ses troupes ; Hugo Chavez dans le passé, Narendra Modi aujourd'hui ne veulent pas de médiation entre eux et leurs peuples respectifs.

L'exercice du pouvoir se fait par l'intermédiaire d'un homme neuf qui se veut apolitique, hostile au métier de politicien. Le leader populiste incarne le peuple contre le pouvoir judiciaire, contre le pouvoir parlementaire en place, contre les vieux partis illégitimes par essence. Pour Viktor Orban ex dissident anti-communiste du temps de l'URSS, l'exécutif l'emporte sur le judiciaire. Les ONG, les médias ne doivent pas être prédominants.

Aux USA c'est l'opposition démocrate qui rappelle l'état de droit américain face au président Trump qui le menace selon les démocrates. Les populistes au pouvoir se disent être toujours dans l'opposition. Narendra Modi aime se dire à l'opposé du grand Nehru ancien premier ministre iconique de l'Inde. Et il désigne des ennemis en organisant des opérations militaires au Cachemire musulman qui revendique par ailleurs son autonomie refusée par l'Inde.

La Turquie populiste

Le cas de la Turquie est emblématique. Le parti de Recep Tayyip Erdogan, l'AKP, parti de la justice et du développement, est arrivé au pouvoir en 2002, après une très grave crise économique, avec un discours populiste mettant en cause tout le système en place en Turquie. Depuis, ce parti gagne toutes les élections. L"'élite",entre guillemets, éduquée, laïque, est dénoncée comme éloignée de la réalité de la vie quotidienne des gens. L'AKP défend une vraie démocratie populaire, une authenticité culturelle contre les élites occidentalisées. Et 17 ans après l'arrivée au pouvoir c'est toujours la même rhétorique. La volonté populaire se manifeste par le vote contre toutes les institutions en place.

Recep Tayyip Erdogan s'est attaqué aux militaires par évidence non élus, à la bureaucratie étatique, à la justice jugée partiale. Il désigne les ennemis du peuple, tous ceux qui s'opposent à la majorité électorale. Sa Turquie s'appuie sur les associations, les syndicats, proches du pouvoir, les entrepreneurs qui sont mis en avant et associés à toutes les prises de décision. La gauche turque est déclarée idéologue.

On pourrait faire le même constat dans la Russie de Vladimir Poutine avec naturellement les précautions d'usage sur les différences sociétales et culturelles. En 2019 Erdogan a perdu les grandes villes, Istanbul, Ankara lors des élections municipales, mais l'opposition, regroupée pour l'échéance électorale, reste bancale, très hétérogène et aux intérêts divergents.

Et l'Europe ? 

Le cas de l'Europe est lui aussi plein d'enseignements quant à l'influence du populisme. Aux élections européennes de 2019 les majorités passées ont toutes reculé et en particulier le PPE parti populaire européen si omniprésent par le passé. Mais ce n'est pas le grand basculement que certains avaient annoncé imprudemment.

Le bon score des écologistes et des forces de la droite extrême, va peut-être permettre de constituer des minorités de blocage. Mais ce n'est pas la déferlante prévue pour un bouleversement total de la gestion de la communauté européenne.

La gauche radicale populiste, dont en particulier Podemos pour l'Espagne et Syriza pour la Grèce, passe de 52 sièges à 38.

La droite populiste est en hausse significative avec le PIS, droit et justice, polonais, le Fidesz, union civique, hongrois, le Rassemblement national français, l'Afd, alternative pour l'Allemagne, le Vox espagnol, le Fpö autrichien, le Forum démocratique des Pays-Bas. Mais cette droite populiste peine à former un groupe cohérent. Chacun prêche pour sa paroisse même si cette droite populiste passe de 37 à 73 élus ( représentant cependant moins de 10% des sièges).

Le parti de Matteo Salvini "la Ligue du Nord" en Italie est jugé trop pro-russe pour les pays de l'est sortis du communisme. Et Marine Le Pen avec sa politique sociale s'oppose à Vox en Espagne. Les hongrois et les polonais font bande à part. Ainsi il n'y a aucune présidence de commission pour les populistes européens et la puissance de blocage est amoindrie.

Par contre, dans le domaine des idées, on peut parler d'"orbanisation" rampante (en faisant référence à Viktor Orban) et la création d'une commission nouvelle sur "la préservation du mode de vie européen" a pu faire penser à une prise en compte des options populistes classiques.

Le "Trumpulisme" 

Le "trumpulisme" c'est l'expression qu'a trouvée un chercheur pour désigner le populisme du président Trump qui a battu la candidate démocrate Hillary Clinton à la présidentielle de 2016. Trump a gagné avec un slogan "Make America great again" "faire à nouveau de l'Amérique une grande puissance, "rendre sa grandeur à l'Amérique".

C'est de la nostalgie restaurationniste comme le reconnait un autre chercheur avec une dose importante de protectionnisme économique, l'idée de construire un mur au sud du pays face à l'émigration mexicaine pléthorique. Une fois de plus on retrouve l'idée d'un vrai peuple face aux médias omniprésents dans les débats et aux élites éloignées de toute réalité.

C'est le grand retour des émotions fortes avec une vraie ferveur entre Donald Trump et ceux qui adhérent à ses idées et à ses propositions. L'anti-intellectualisme est de mise : on n'aime pas dans l'entourage de Donald Trump les pseudo-intellectuels naturellement démocrates. La chaine CNN et le quotidien le New York Times analysent tous les jours les twitts de Donald Trump, ces produits marketing des trumpistes pendant que ces derniers parlent de véritable"witch hunt", de" chasse aux sorcières", contre Donald Trump et ses électeurs. Les experts républicains en communication mettent les réseaux sociaux avec efficacité au service de Donald Trump.

Donald Trump s'oppose à Bernie Sanders le populiste de gauche, possible candidat en 2020 et qui donne dans un anti-capitalisme pur et dur, traitant Donald Trump de candidat des pauvres mais de président des riches, en oubliant au besoin les milliers d'emplois créés par la politique du président américain.Donald Trump est au pouvoir mais il se comporte comme s'il était toujours dans l'opposition.

La procédure d'impeachment votée par les démocrates est jugée comme une tentative de coup d'état par les républicains. Dans les élections de mi-mandat le vote des jeunes qui avaient déserté les urnes, a été très fort et les jeunes républicains se font entendre.

Les médias ne sont pas mis au pas par le gouvernement Trump. Les caricaturistes s'en donnent à coeur joie, tous les jours, contre Donald Trump. Si à la Cour suprême Donald Trump nomme des juges conservateurs, les juges fédéraux ont pris des décisions suspensives sur la politique de contrôle de l'immigration par le président. Si ce dernier dénonce l'accord de Paris et de la Cop 21, de nombreuses villes américaines appliquent cet accord.

L'avenir du populisme ?

Au total on pourrait dire que le populisme signale que quelque chose ne va pas, ne va plus. Prendre en compte l'insécurité sociale, l'insécurité économique, l'immigration est indispensable pour tous les acteurs politiques.

Le vote populiste suit la plupart du temps le vote progressiste qui ne réussit pas à redresser la situation économique et sociale. Et le simplisme de certains commentateurs politiques ne permet pas véritablement de comprendre ce qu'est exactement le populisme.

Certains commentateurs n'y vont pas par 4 chemins. Un bel exemple, Viktor Orban en mars 2018 immédiatement qualifié d'antisémite parce qu'il avait parlé du "réseau des ONG financées par les spéculateurs internationaux englobé et incarné dans la personne de Georges Soros. Un adversaire qui est différent de nous, un adversaire qui n'a pas de patrie". Or le premier ministre israélien Netanyahou est le premier dirigeant étranger à féliciter Viktor Orban après sa victoire aux législatives en mai de la même année.En fait Orban accuse Soros de favoriser l'immigration en prônant l'accueil de réfugiés moyen-orientaux. Immigration que refuse une grande majorité des hongrois qui l'ont élu.

Pour conclure et permettre la réflexion à venir, laissons la parole à deux philosophes, Alain Finkielkraut et Albert Camus

Alain Finkielkraut :" les planétaires risquent de se raconter longtemps encore que les peuples qui ne veulent pas faire les frais du grand déménagement du monde sont gagnés par le populisme et succombent au mal identitaire".

Albert Camus :" le démocrate est modeste. Il avoue une certaine part d'ignorance. Il reconnait qu'il a besoin de consulter les autres, de compléter ce qu'il sait par ce qu'ils savent". Paroles porteuses d'avenir

 


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