Pour l’amour des fauves

par Lucchesi Jacques
vendredi 18 mars 2016

Les défenseurs de la cause animale sont de plus en plus remuants, ces temps-ci, souvent au mépris même des lois en vigueur. Un récent fait-divers nous le montre encore. Assiste-t-on à un insidieux mouvement de déconstruction de notre civilisation ? Là aussi, il s'agit de prendre parti.

Qu’il est loin le temps où Descartes pouvait considérer les animaux comme des créatures dépourvues de sensibilité, purement déterminées par des mécanismes physiologiques et qu’on pouvait ainsi exploiter à volonté ! Aux antipodes de cette pensée (pourtant fondatrice de notre modernité), notre époque ne cesse de les étudier, s’émerveille devant leurs différentes formes d’intelligence, voudrait leur conférer des droits à égalité avec ceux des hommes, condamne déjà à des peines de prison ferme ceux qui ont l’audace de les maltraiter. D’autres vont encore plus loin et s’interdisent, pour ces raison, de manger de la viande animale, quelle que soit son espèce d’origine. Oui, le balancier culturel vis-à-vis des animaux penche de plus en plus de leur côté, ce qui nous oblige à redéfinir nos rapports avec eux. D’où des débats nouveaux et des divisions de plus en plus accentuées entre les défenseurs inconditionnels de la cause animale et ceux (dont je suis) qui privilégient une approche plus rationaliste.

Car s’il est juste d’accorder soins et attentions aux animaux qui partagent nos vies, il est en revanche illusoire de vouloir les considérer comme des égaux. Entre eux et nous, il ne peut y avoir un dialogue au sens strict du terme - et donc une réciprocité des consciences -, même si les échanges affectifs sont nombreux et indéniables. Pourquoi, dès lors, vouloir donner aux animaux un statut qu’ils ne sont pas en mesure de réclamer ? On dirait que leurs partisans sont dans une demande de pardon, attitude de repentance qui n’est pas sans rappeler celle des occidentaux vis-à-vis des anciens pays colonisés et, d’une façon générale, vis-à-vis des minorités anciennement opprimées. Mais ce qui est compréhensible, sinon justifié, dans le champ de l’histoire humaine ne l’est pas lorsqu’on projette ce sentiment sur l’animal. Même dans une perspective évolutionniste, on se heurte à un obstacle fondamental, une différence d’espèce : l’impossibilité d’un partage symbolique avec lui. Cela devrait être un argument suffisant pour ne plus soulever la question des droits animaliers ; ça ne l’est pas pour beaucoup de gens – y compris chez de prétendus intellectuels – dont la raison est manifestement obscurcie par leur sensibilité. Ajoutons que donner des droits aux animaux ne reviendrait, dans les faits, qu’à augmenter les obligations des humains vis-à-vis d’eux – et donc de diminuer un peu plus leurs droits propres.

L’actualité est de plus en plus émaillée par des affaires qui éclairent l’absurdité de ces dérives irrationnelles. En novembre dernier, on voulait décerner la légion d’honneur à la chienne Diesel tuée lors de l’attaque du RAID contre des terroristes retranchés dans un immeuble de Saint-Denis : après tout, on la donne bien à des émirs saoudiens. Ces jours-ci c’est Patrick Boré, maire de la Ciotat, dans les Bouches du Rhône, qui a interdit l’accès de sa commune au Cirque Pinder au motif que son spectacle incluait des numéros de dressage. Il tenait pour de la maltraitance animale les petites acrobaties qu’un dompteur chevronné fait accomplir à des tigres et des lions. Tous les justificatifs de bon traitement et de respect de la législation qu’a pu produire Gilbert Edelstein, le directeur du cirque incriminé n’ont pu entamer la conviction de l’édile sur ce sujet. Ce dernier cas mérite qu’on s’y arrête un peu, car il constitue un tour de vis supplémentaire dans les rapports déjà tendus entre la société civile et les défenseurs de la cause animale. Passe encore que certains manifestent, même outrancièrement, leur hostilité à la corrida, vu que la mort est au bout de la fête. Pas dans le contexte du cirque où les animaux sont simplement soumis à l’autorité du dompteur.

Comment expliquer tant d’intransigeance sinon par un processus intérieur que les psychologues connaissent bien : l’affinement de la notion de faute sous la pression du sentiment de culpabilité. Ainsi le seuil de tolérance au spectacle supposé de la souffrance animale tend à baisser de plus en plus. Au point, peut-être, de remettre en question les fondements humanistes de notre civilisation ; laquelle s’est toujours appuyée sur le travail et l’exploitation des bêtes pour sa perpétuation. Nous devrions plutôt veiller à maintenir, coute que coute, cet équilibre fragile. Et nous souvenir aussi que l’homme peut encore être une proie pour ces adorables fauves que de belles âmes, comme l’actuel maire de La Ciotat, rêvent de soustraire à nos cruels divertissements. 

 

 Jacques LUCCHESI


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