Pour la suppression de la mention du sexe dans les CV

par pigripi
vendredi 6 mars 2009

A l’heure où l’on débat et l’on s’indigne de projets d’introduire des mentions ethniques (couleur de peau, origines culturelles, etc. ) dans les fichiers, à l’heure où on réfléchit à l’intérêt du CV anonyme, au moment où l’UE lance une campagne en faveur de l’égalité salariale, personne ne s’indigne de la discrimination universelle qui concerne le « deuxième sexe ».

Sos racisme et le Mrap ont porté plainte au nom de l’article 226-19 du Code pénal qui interdit la "mise ou conservation en mémoire informatisée sans le consentement exprès de l’intéressé des données à caractère personnel qui, directement ou indirectement, font apparaître [notamment] les origines raciale ou ethniques".

« Les origines raciales ou ethniques ». Et l’appartenance sexuelle ? La mentionner n’aurait pas de conséquences sur la manière dont sont traitées les personnes ? Il n’y aurait pas malice à vouloir savoir si on a affaire à une femme ou à un homme ? Et, comme le dit la loi pour les origines raciales ou ethniques, demande-t-on « le consentement exprès de l’intéressé (e) » ? La discrimination sexiste est tellement ancrée dans les mœurs, tellement banale et intégrée qu’il ne viendrait à l’idée de personne de refuser d’indiquer son appartenance sexuelle.

Notre parlement a refusé le projet de loi anti-sexiste en 1974 après le vote de la loi anti-raciste au prétexte que cette dernière était plus large et recouvrait toutes les discriminations, ce qui va à l’encontre de toutes les évidences.

Derrière le paria le plus misérable de la terre, il y a une personne encore plus misérable que lui, c’est sa femme. Sa femme, parce qu’elle subit toutes les conséquences psychologiques et physiques de sa propre misère et qu’elle subit aussi les conséquences des douleurs et des frustrations de son compagnon.

Alors que la mention de la couleur de la peau choquerait les défenseurs des droits de l’homme (à comprendre comme le mâle), personne n’est choqué de devoir mentionner dans tous les formulaires le sexe - 1 ou 2 -, la situation au regard de l’état-civil – « Madame ou Mademoiselle » alors qu’on ne demande pas « Monsieur ou Mondamoiseau » ?- et d’inscrire en priorité l’appartenance sexuelle dans tous les fichiers de l’univers.

Pourquoi serait-il plus nécessaire, au regard de l’organisation sociale, de devoir prendre en considération en tout premier lieu le sexe d’une personne plutôt que la couleur de sa peau ou la forme de ses yeux ? Qu’est-ce qui aujourd’hui, dans la société française, justifie la mention de l’appartenance sexuelle si ce n’est la volonté de discriminer ? Car nous n’avons plus besoin de différencier les rôles masculins et féminins comme aux temps préhistoriques. Grâce aux machines et aux développements scientifiques et technologiques, les femmes et les hommes sont devenus interchangeables dans presque toutes les activités. La seule chose qui les différencie réellement est leur fonction reproductive : la femme produit des ovules et l’homme produit des spermatozoïdes.

Pourquoi une naissance à venir est-elle inévitablement accompagnée de la question « fille ou garçon » ? Celles et ceux qui ramènent toutes les questions relatives au sexe au besoin de reproduction de notre espèce n’y verront pas malice. Pourtant derrière cette préoccupation en apparence anodine et banale, il y a tout un système de hiérarchisation et de discrimination qui affecte la place des femmes dans toutes les sociétés à travers les âges.

Lorsqu’ on débat de l’intérêt des CV anonymes pour lutter contre les discriminations, on oublie qu’un CV véritablement anonyme serait un document sans mention du sexe car on n’est pas sans savoir que certains employeurs préfèrent recruter des femmes parce qu’elles leurs coûtent moins cher (salaires inférieurs de 20 à 30 % par rapport à ceux des hommes ) ou au contraire évitent d’en recruter parce qu’elles « risquent de tomber enceinte ou s’absenter pour soigner leur enfant malade » et sont de "mauvais poil quand elles ont leurs règles." A ceci s’ajoute une kyrielle de préjugés : les femmes sont plus dociles, elles sont plus habiles, elles sont plus flexibles, elles apportent un salaire d’appoint -donc secondaire et facultatif-, elles travaillent pour le superflu, pour leur argent de poche, se faire plaisir, elles n’ont pas de famille à entretenir, elles n’ont qu’à trouver un mec pour se faire entretenir, etc.

Et tout ceci contre les évidences sociétales : la majorité des familles monoparentales est constituée d’une mère et de ses enfants, les familles nécessitent deux salaires pour subvenir à leurs besoins, la durée de vie des couples est relativement courte, ce qui fait que aussi bien la femme que l’homme a besoin d’assurer son indépendance financière, les hommes autant que les femmes bénéficient légalement de congés pour accueillir un enfant et s’occuper de lui s’il est malade ; les femmes ne sont pas toujours plus dociles que les hommes puisqu’elles sont généralement plus exigeantes et considérées comme « emmerdeuses » ; elles ne sont pas toujours plus habiles, la preuve, les métiers de précision comme l’horlogerie ou la joaillerie sont plutôt occupés par des hommes ; etc.

Contre toute évidence encore, un homme est préféré pour manier un chariot élévateur ou une grue alors que la manipulation de ces engins ne nécessite aucune force physique. C’est d’ailleurs le cas de beaucoup de métiers qui, grâce à la mécanisation, la robotisation et les nouvelles technologies n’exigent plus cette force physique dont les femmes seraient dépourvues. Ce qui repose encore sur un préjugé dont les hommes souffrent autant que les femmes car il existe des hommes moins forts que la moyenne et des femmes plus fortes que certains hommes. Qualités qu’on veut bien leur reconnaître maintenant dans le nouveau combat contre les violences conjugales exercées par les épouses et les compagnes, combat qui cherche à minimiser les violences conjugales dont les femmes sont majoritairement victimes. Ce qui ne signifie pas qu’il faudrait négliger les violences contre les hommes -aucune violence ne saurait être justifiée- mais on ne peut pas perdre de vue que la violence physique est essentiellement exercée par les hommes contre les hommes et par les hommes contre les femmes. La violence masculine est certainement plus la résultante de conditionnements culturels et idéologiques que due à un excès de testostérone.

L’image des femmes est toujours à géométrie variable pour satisfaire les objectifs masculins -ainsi que ceux de leurs relais féminins- de contrôle et de domination. Mais cela indigne beaucoup moins que le traitement spécifique d’un mâle en fonction de la couleur de sa peau et de ses origines culturelles.

La conclusion de ces observations est que l’identification d’une personne par son sexe est plus injuste et scandaleuse que par sa peau parce que c’est la discrimination la plus ancienne, la plus tenace, la plus préjudiciable, la plus universelle, la plus transversale, tellement consensuelle que personne ne la voit et que tout le monde l’accepte. 

Du point de vue des droits humains, qu’est-ce qui justifie la mention de l’appartenance sexuelle dans les CV ?



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