Pour un Conseil Représentatif des Asiatiques de France

par Philippe Vassé
lundi 27 février 2012

A parcourir les blogs et forums de discussion où s'expriment des ressortissants d'origine asiatique, qu'ils soient citoyens français ou étrangers, un fait domine : l'anti-asiatisme se développe en France.

Cet anti-asiatisme repose sur plusieurs facteurs qui ne se recoupent pas toujours, mais dont la résultante commune est que les personnes d'origine asiatique expriment de plus en plus clairement le sentiment d'être victimes de ce rejet, ce qui, afin de répondre à cette angoisse croissante, nécessite que les populations venues d'Asie s'organisent afin de faire face, combattre et répondre avec efficacité au phénomène.

D'où le besoin de regrouper en une seule force fédérée, unie, les plus de 600.000 natifs d'Asie résidant en France afin de les représenter comme collectivité auprès des pouvoirs publics et comme force d'intervention contre l'anti-asiatisme montant en partant du vieux, mais très juste dicton : « Tous pour un, un pour tous ».

 

Une population reliée à un continent en pleine mutation dans une France en crise profonde

On oublie beaucoup que la France a aussi possédé un empire colonial en Asie, à l'instar des colonies françaises au Maghreb et en Afrique noire, plus liées par leur proximité avec la métropole ;

Ainsi, l'histoire de l'immigration asiatique en France est-elle parmi les moins connues et étudiées, quand les articles publiés sur ce sujet ne sont pas le fruit d'ignorances partielles très instructives sur la volonté d'oublier le colonialisme français en Asie.

Un exemple très instructif est donné par le silence sur l'histoire réel du Corps des Travailleurs Chinois, corps complété par d'autres apports de véritables esclaves et chair à canon de l'Indochine de l'époque (Vietnam, Cambodge Laos) après 1916, afin de servir les armées françaises et anglaises.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Corps_de_travailleurs_chinois

Ce lien est très incomplet, voire inexact sur de nombreux points, notamment sur le nombre total de morts (de faim, de maladies, de mauvais traitements et de faits militaires).

Les chiffres de morts jusqu'en 1919 varient de 2000 (selon les autorités militaires franco-britanniques) à environ 95.000 (selon des historiens chinois récents qui ont simplement retranché le nombre de membres de ce Corps rapatriés en Chine (environ 6500) et restés en France ( 8000) des 110.000 comptés comme débarqués en France en 1916 et 1917).

Là aussi, comme dans toute l'histoire du colonialisme français, on mesure que des mensonges importants ont été énoncés. Comment peut-on indiquer que 2000 membres de ce corps seraient morts en France alors que seulement 6500 sur 110.000 (selon les archives militaires anglo-françaises) ont été ramenés en Chine (région de Tsingtao) et 8000 ont choisi, de gré ou de force, de rester en France après le conflit ?

Seul souvenir matériel « asiatique » des près de 95000 morts venus d'Asie en France pendant la Première Guerre Mondiale, le cimetière de Noyelles (Somme) gérée par les autorités britanniques, situé en vallée de la Somme :

http://www.tao-yin.com/wai-jia/cimetiere_noyelles.htm

A cette heure, aucun film ne commémore (comme par exemple le film « Indigènes ») la mort de tous ces pauvres gens, aucune reconnaissance officielle de ces décès en masse n'a été accordée, aucune réparation quelconque n'a été accordée aux familles.

Il est en revanche exact que les souvenirs de ces événements tragiques ont fait beaucoup pour nourrir les mouvements de libération nationale et anti-colonialiste en Asie.

Et que dire de l'oubli cynique des soldats indochinois liés à l'armée française, avant et pendant la seconde guerre mondiale, le front en Asie ayant été considéré depuis 1945 comme un front « mineur » pour les historiens français, qui omettent ainsi le fait historique que de nombreux Indochinois ont été tués, voire massacrés, dans leur propre pays par les troupes japonaises, souvent avec leurs camarades d'armes français ?

Là aussi, ni film dédié à leur mémoire, ni pension pour les veuves et orphelins, ni monument public en leur honneur : les morts asiatiques, au sein de l'armée française, pendant la seconde guerre mondiale, ont disparu aussi de l'histoire de la République (si ils sont jamais rentrés !).

Pour en revenir à l'immigration asiatiques en France, dès après 1919, la France a accueilli tant des immigrants de ce continent que des étudiants que ses Universités formèrent.

Certains sont devenus célèbres ensuite, que ce soit Ho Chi Minh au Vietnam ou le peintre chinois illustre Chu Bei Hong, ancien élève des Beaux Arts.

La plupart des immigrants asiatiques, entre 1919 et 1939, ont travaillé dans des usines ou dans certaines mines du Nord, voire dans le bâtiment pendant la période de reconstruction des zones détruites. Ils ont été intégrés, à l'époque, très vite à une classe ouvrière française engagée, participant souvent aux grèves et mouvements sociaux ouvriers, notamment en 1936.

De nombreux cadres des partis anti-colonialistes, notamment communistes, en Asie francophone se formeront dans ces mouvements sociaux à la lutte politique, voire à la clandestinité quand la répression s'abattra sur le mouvement ouvrier français.

Après 1945, la situation va changer : d'abord avec le triomphe de la Révolution chinoise en 1949, puis le début des conflits en Indochine, que la France devra abandonner aux troupes américaines, faute pour ses gouvernants d'avoir préparé une issue politique pacifique, en 1954.

La population d'origine métropolitaine en Indochine devra quitter, comme cela sera le cas en Algérie en 1962, la région, mais son nombre restreint n'a pas marqué autant l'histoire de la France comme le retour dramatique des « Pieds Noirs ». Quant à l'immigration asiatique, entre 1950 et 1970, elle est réduite, sa majorité venant des pays de l'ancienne Indochine.

C'est après le tournant politico-économique des années 1980 en Chine que la France commence à accueillir en masse des immigrants chinois et venant encore de l'ex-Indochine, comme d'autres Etats européens.

En 2012, cette population dépasse officiellement les 600.000 personnes. En immense majorité, elle est jeune et active dans l'économie, d'autant qu'elle permet l'arrivée en France de capitaux venus de Chine, dynamisant des secteurs qui, sans cette immigration d'Asie, seraient en déclin ( cafés-bars, restauration, petits commerces de quartier). Elle est liée à un continent dont l'économie est en pleine mutation et où les réserves d'argent liquide ; légales ou non, abondent.

http://www.lexpress.fr/actualite/societe/paris-sur-chine_1085665.html

De manière résumée, un économiste note : « à l'évidence, l'immigration chinoise apporte beaucoup sur le plan de la création de richesses et d'emplois à la France. Le problème est que la majorité écrasante de ces postes de travail est prise par les arrivants eux-mêmes, du fait de liens étroits familiaux ou nationaux de confiance. De là, des frustrations naissent dans les populations défavorisées, notamment natives d'Afrique et du Maghreb, voire du sous-continent indien ».

Par ailleurs, il existe aussi une population d'immigrants illégaux qui n'est pas comptabilisée dans les chiffres donnés.

Tel est, rapidement dessiné, le portrait, en 2012, de cette population asiatique en France, qui est fort diverse, et ne doit pas se résumer aux seuls Chinois.

 

Une immigration qui est appelés par les faits à s'organiser en France

Nul ne l'ignore : la France, avec les autres Etats européens, subit une crise multiforme qui nourrit, comme toute crise sociale et économique, le rejet des immigrations. Les immigrants asiatiques n'échappent pas à cette règle.

Ce qui a changé, et là aussi, Internet a joué un rôle essentiel, est que les populations asiatiques parlent sur les blogs et les forums des maux qui les frappent, tant à Paris qu'en province, et que des médias répercutent les informations sur ce sujet.

http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/06/19/des-milliers-de-chinois-manifestent-a-paris-contre-l-insecurite_1538052_3224.html

http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/une-affaire-dreyfus-anti-chinoise-102238

Vexations, humiliations, discriminations, violences, tout cela est débattu sur les réseaux sociaux et sur les blogs collectifs. Les jeunes sont sur ce sujet de plus en plus réactifs.

Pour l'heure, les réactions à cette situation de mal-être, voire de malaise, se multiplient, sans ligne stratégique claire et de vue à long terme, au coup par coup, en quelque sorte.

Mais, de nombreuses voix s'élèvent, dans les différentes collectivités (chinoise, cambodgienne, vietnamienne, laotienne, taïwanaise, …..), voix qui demandent la constitution d'une force unie représentative de toute la population d'origine asiatique en France, à l'instar du CRAN pour les populations d'origine africaine ou du CRIF pour les populations d'origine juive.

Lors d'un récent débat en mandarin sur un forum de discussion, cette problématique a été évoquée et une demande assez forte s'est manifestée en soutien à une telle initiative.

C'est pourquoi, locuteur français proche de cette population aussi diverse que sensible à cette montée globale de l'anti-asiatisme, j'ai décidé de rédiger cet article en forme de bilan du passé, d'analyse de la situation et de perspectives constructives, en promouvant la construction commune et démocratique, d'un Conseil Représentatif des Asiatiques de France (CRAF).

Ce serait ainsi un honneur pour Agoravox de permettre que le débat s'engage autour de cet article qui ne prétend pas apporter de solutions toutes faites, mais poser des jalons afin de résoudre les problèmes exposés.

Le besoin d'une telle structure au niveau national, exprimée sous diverses formes, est donc devenue une nécessité pour de nombreux intervenants issus des populations asiatiques.

 

Que peut et doit être un Conseil Représentatif des Asiatiques de France ?

Un tel Conseil Représentatif des Asiatiques de France aura vocation à être un interlocuteur incontournable face aux autorités de la République, mais aussi un acteur social qui pourra mobiliser le cas échéant les intéressés en vue de dégager les solutions adaptées aux problèmes connus et dénoncés, en partenariat éventuel avec les ambassades et consulats des pays concernés.

De même, un tel Conseil Représentatif pourra être un vecteur d'échanges d'analyses et de compréhension mutuelle avec les responsables politiques, nationaux comme locaux. Il serait en effet anormal que les populations asiatiques, dont le poids économique et financier est déjà substantiel dans la société française, ne se dotent pas d'une structure claire, visible et républicaine, afin de permettre un dialogue fructueux pour toutes les parties. De facto, il sera un thermomètre en temps réel sur les difficultés et succès des populations asiatiques en France.

Ce Conseil aura aussi comme un de ses objectifs principaux de faciliter les contacts entre administrations et personnes, de résoudre en amont les conflits potentiels pouvant surgir dans la situation actuelle et crise, ce qui rassurera les populations asiatiques et favorisera leur apport créatif de richesses au pays d'accueil. Enfin, il devra agir, avec le poids que sa représentativité lui offrira, contre les actes d'anti-asiatisme, d'où qu'ils proviennent.

Par ailleurs, un tel regroupement fédérateur pourra être une excellente école aux principes de la démocratie républicaine pour nombre de personnes qui ont connu dans leur pays natal des dictatures et/ou des régimes autoritaires, tandis qu'il pourra favoriser une parole libre publique, promouvoir artistes et écrivains venus d'Asie et servir de pont utile entre la France et les pays d'origine.

Pour toutes ces raisons associés en vue d'une meilleure concorde civile en France, laquelle assurera les bases d'une prospérité générale basée sur des intérêts et des valeurs partagés, en évitant les possibles graves dangers, intérieurs et extérieurs, que la poussée actuelle d'anti-asiatisme peut générer pour l'ensemble du corps social, il semble indispensable de créer, à partir des populations asiatiques elles-mêmes et sans immixtion aucune de l'Etat et/ou de partis politiques, un Conseil Représentatif des Asiatiques de France (C.R.A.F).

 

Place au libre débat et aux initiatives constructives.


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