Pour une approche holistique de la notion de salut

par Bernard Mitjavile
vendredi 2 février 2018

L’idée de salut dans les différentes traditions religieuses est souvent restrictive, il s’agit d’un salut après la mort, salut sur le plan spirituel et non terrestre que l’on retrouve dans l’expression ancienne « il œuvre à son salut » ou alors d’un salut avant tout individuel, idée que l’on retrouve chez certains Chrétiens américains qui arrêtent les passants sur le trottoir d’une grande ville en leur demandant quelque peu abruptement s’ils sont sauvés ( « Are you saved ? ») négligeant la dimension collective et sociale de l’être humain. Il peut aussi s’agir d’un salut purement terrestre et limité à cette vie comme dans le marxisme, salut qui a une dimension collective avec la libération du prolétariat mais qui ne se réalisera que dans un futur plus ou moins distant avec le grand soir et est limité à la vie sur terre. Dans les religions orientales comme le Bouddhisme, on trouve aussi une forme de salut terrestre avec le « satori », l’expérience de l’éveil, de la libération des illusions, de la dissolution de l’égo mais ce salut est largement limité à l’individu ne touchant qu’à la marge la société dont le moine à la recherche du nirvana s’est retiré. On retrouve la même tendance dans les différentes formes de psychologie moderne visant à la « réalisation de soi » ou à la « pleine conscience » qui jouent souvent le rôle des pseudo-religions de notre époque. Aussi, la recherche d’une vison holistique du salut englobant les différentes dimensions de l’être humain est plus nécessaire que jamais pour mieux répondre aux aspirations humaines sans les limiter dans un sens ou l’autre.

Le mot salut a eu et a toujours bien des sens, passant d’une formule de politesse voulant dire simplement « porte-toi bien » et que l’on trouve déjà dans la salutation des gladiateurs « Ave Caesar, ceux qui vont mourir te saluent (« ..morituri te saluant » ou te souhaitent de bien te porter) » à une notion éminemment religieuse que l’on trouve dans des expressions un peu désuètes comme « faire son salut » , « gagner son salut » .

On peut préférer à la question à réponse binaire des évangélistes américains (« Es-tu sauvée ? ») l’attitude de Jeanne d’Arc à l’égard du salut. Questionnée par ses juges cherchant à la piéger et la mener au bûcher « Jehanne, penses-tu être en état de grâce ? » (équivalent à l’époque d’être sauvée), la pucelle d’Orléans répondit intelligemment « Si j’y suis, Dieu m’y garde, si je n’y suis pas Dieu m’y mette ». Elle évitait ainsi la condamnation en tant que sorcière qui sait qu’elle est perdue et bonne pour l’enfer ou en cas de réponse opposée (je suis en état de grâce), celle d’hérétique qui s’affirme sauvée sans faire dépendre son salut de l’assentiment du clergé catholique représenté par un évêque, le représentant de l’inquisition en France et une série de docteurs en théologie de la Sorbonne. Malgré cette réponse remarquable, elle a eu droit à la fois aux accusations de sorcellerie et d’hérésie sans oublier celle de féminisme avant la lettre (elle s’habillait en homme pour commander ses troupes).

Chez les Juifs dans la Bible, le salut est avant tout un salut collectif, c’est Israël ou « le petit reste » d’Israël qui est sauvé, libéré de la domination des peuples barbares et idolâtres grâce à l’intervention de Yahvé. Le salut individuel passe après celui d’Israël, du grand jour où Dieu libérera son peuple et où les peuples des nations monteront tous à Jérusalem pour adorer le vrai Dieu.

On retrouve cette dimension collective dans la prière universelle des Chrétiens, le Notre Père, dans laquelle Jésus avec des expressions comme « Que ton Royaume vienne ! Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » reprend l’aspiration transmise par les prophètes à la venue du Royaume de Dieu.

Cette aspiration collective est prioritaire par rapport à des désirs plus individuels comme l’indique la phrase des évangiles « Cherchez le Royaume et sa justice et tout le reste vous sera donné en surplus ! ».

Le message de Jésus se distinguait de celui des Zélotes qui voulaient d’abord libérer Israël de l’occupation romaine par la violence. Le Royaume commençait « dans les cœurs » et dans les évangiles, le salut commence par une conversion individuelle du cœur, une renaissance mais ensuite le disciple est appelé à annoncer la bonne nouvelle du Royaume et à hâter sa venue. D’autre part, le Royaume n’est pas réservé aux Juifs mais ouvert à tous les hommes de bonne volonté, ni à Israël seulement, les apôtres étant appelés à faire « de toutes les nations des disciples ».

Cette notion d’une forme de salut collectif dans la tradition judéo-chrétienne est reprise par les marxistes, le prolétariat remplaçant le peuple élu et le grand soir et la société sans classes, le jour terrible du Seigneur avec la venue d’un nouveau ciel et d’une nouvelle terre où il n’y aura plus de larmes. Marx étant lui-même juif a été influencé par une vision judéo-chrétienne de l’histoire en passant par Hegel et quelques autres même s’il pensait « remettre les pieds sur terre » la philosophie d’Hegel. Un peu comme chez les chrétiens et la Parousie, la venue du Grand Soir a été repoussée au fil des déceptions engendrées par les différentes formes de communisme.

Mais le marxisme sous-estime l’importance de la dimension spirituelle de l’homme, de la culture comme source d’influence majeure informant les relations familiales et sociales et au contraire voit dans la culture une simple superstructure déterminée « en dernière instance » par les relations de production. Cette approche ne correspond pas à celle de la recherche en anthropologie ou archéologie comme le montrent les travaux de C. Lévi-Strauss ou ceux de J. Soustelle pour les cultures précolombiennes et a finalement été rejeté par de nombreux marxistes comme étant trop réductrice, notamment à partir de Gramsci, le fondateur du Parti Communiste Italien.

Il en résulte que la vision marxiste de la libération finale est trop limitée par son économisme réducteur et l’accent prioritaire mis sur les rapports de production. Finalement, cette vision a échoué et ce particulièrement dans le domaine où les marxistes pensaient être des spécialistes, l’économie.

Le protestantisme, particulièrement les branches issues de Jean Calvin, le grand réformateur français installé à Genève, qui au travers des Pères pèlerins ont grandement influencé la société américaine à ses origines, insiste sur l’importance de la vie terrestre en supprimant le mur entre le monde sacré et le monde profane, les moines et religieux d’une part et les laïcs les commerçants, artisans ou autres, sans qu’il y ait d’état privilégié pour recevoir le salut, refusant l’idée de quitter le monde pour faire son salut dans un monastère.

Il s’agit là d’un apport considérable qui a grandement contribué au développement économique et social de l’Europe du nord par rapport à l’Europe du sud (Espagne, Italie et dans une certaine mesure France) à partir de la Réforme et au développement du capitalisme aux Etats-Unis (voir le remarquable ouvrage du sociologue Max Weber « L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme »).

Toutefois, l’insistance mise sur l’aspect individuel du salut par de nombreuses branches du protestantisme que l’on retrouve dans la question « Es-tu sauvé ? » des jeunes évangélistes, cette insistance une fois sécularisée a ouvert la porte à différentes formes d’individualisme qui ont marqué la société américaine puis plus ou moins tout l’occident et donne une vision limitée du salut ou de la libération de l’homme.

Le Catholicisme a mieux conservé d’une certaine manière la dimension collective du salut biblique avec la notion d’Eglise universelle (ekklesia en grec signifiant simplement l’assemblée du peuple puis des fidèles) mais il a donné à ce salut une dimension trop cléricale (cléricalisme honni par le pape François), le salut donné par l’Eglise passant par le respect de sacrements et l’importance donnée au clergé par rapport aux laïcs dans le domaine religieux même si cette importance a tendance à diminuer depuis Vatican 2 et cette conception du salut a négligé quelque peu les relations économiques et sociales tout en mettant avant tout l’accent sur diverses formes d’actions charitables.

On peut dire que si le marxisme a négligé la dimension spirituelle, religieuse de l’homme, le protestantisme a négligé sa dimension collective, sociale et le catholicisme sa dimension matérielle, terrestre.

Bien sûr, dans un article traitant d’un sujet si vaste, on est obligé de faire certaines simplifications et il s’agit plus d’ouvrir des pistes de réflexion que de donner des réponses. Ainsi, on a vu de nombreux catholiques sociaux à partir en particulier du 19ème siècle qui ont œuvré pour des entreprises combinant l’éthique chrétienne et l’économie. Il y a eu aussi le développement de la doctrine sociale de l’église catholique qui voulait être une réponse aussi bien au libéralisme qu’au communisme. Chez les protestants, on peut parler entre autres de la philanthropie des grands patrons américains avec des exemples comme Bill Gates qui donne jusqu’à 90% de ses gains à sa fondation œuvrant en Afrique et de bien d’autres.

Il s’agit avant tout de dégager des tendances profondes et indiquer les dimensions que devrait inclure toute vision de la libération de l’homme ou du salut, dimensions individuelle et collective, spirituelle et matérielle, dimensions que l’on trouve quelque peu éclatées ou déséquilibrées dans les différentes formes de christianisme et de religions comme dans divers mouvements politiques.


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