Pour une Régie du cannabis

par paullombard
vendredi 27 juillet 2007

Voilà une étude qui tombe à pic : le cannabis favoriserait l’apparition de cas de schizophrénie. La schizophrénie est une des psychoses les plus graves, elle dissocie l’individu de la réalité commune, elle l’isole dans un monde imaginaire, fantasmagorique souvent angoissant. Elle empêche l’individu de mesurer avec justesse ses choix dans sa progression personnelle. C’est une perte souvent irrémédiable qui s’ajoute aux nombres des personnes qu’on dit « adultes handicapés ».

Conclusion : il faut supprimer le cannabis.

Facile à dire, aisé à imaginer, concrètement idiot.

Sur dossier, l’affaire est faite : destruction des cultures, suppression du trafic, sevrage des consommateurs. Y’a qu’à ! Renforcement de la lutte, déclaration de guerre et départ en croisade n’ont, depuis plus de trente ans, apporté aucun résultat. Consommation en hausse, économie parallèle. Contraste cruel entre les moyens mis en œuvre (combien ça coûte ?) et le piètre résultat.

La peur n’a jamais été un moteur de vente, surtout quand vous racontez des bobards. Que le pourcentage des schizophrènes soit en hausse parmi les usagers du cannabis en raison de l’augmentation de celui de la concentration du THC n’est sans doute pas faux. Qui n’a pas fumé une herbe "forte" ne peut savoir à quel point ce produit "innocent" vous transporte loin de vos préoccupations.

Le lycéen qui a une mauvaise note, qui s’est disputé avec son pote, qui vit difficilement l’apprentissage de sa sexualité, se console vite en fumant son pétard. Comme tout névrosé, il apprend vite à trouver son refuge dans un comportement protecteur. Dès lors, tout tracas a son remède. Le gros hic, c’est que c’est une médication tout à fait autonome. Non seulement, le diagnostic n’est pas posé par un professionnel, mais encore la thérapeutique est clandestine. Double paravent. Est-ce que l’adolescent a le choix de s’exprimer ? En règle générale, il cache la vérité de son expérience à ses parents, aux adultes. Il en ressort la création d’un fossé supplémentaire pour un dialogue déjà ardu entre générations.

Pourtant, notre époque, cette première décade du XXIe siècle, voit la curieuse interaction entre des parents post-soixante-huitards bien au courant des voyages initiatiques et leurs enfants nourris à l’illusion de la supériorité de la civilisation technologique. Entre la télévision, les jeux vidéo, le téléphone mobile, il reste de la place pour une première addiction aux bonbons Haribo. Nous prévenons la souffrance de l’enfant. c’est bien naturel. Nous sommes inquiets quand il ne va pas bien. Nous en avons fait un enfant-roi mais son statut de petit prince se désagrège quand il est confronté à la réalité de la condition humaine.

Nous payons cash l’idée qu’une éducation participative libère l’individu dans une société forcément désireuse d’aller en ce sens. Nous oublions en chemin que la connaissance passe par une transmission des savoirs dont la discussion ne peut se faire que si on en a acquis les bases. On ne fait pas de musique sans apprendre les gammes.

Les réflexes pavloviens nous conduisent à privilégier des choix faciles, des réponses manichéennes. Il fut un temps où le cannabis était classé parmi les euphorisants. On a mieux dit les choses en le qualifiant de neuro-dysleptique. C’était pour mieux basculer vers une nouvelle définition : "Attention poison dangereux : peut rendre fou." Tout cela est vrai. Quel médecin n’a pas eu devant lui un jeune adulte dont l’avenir prometteur était détruit par l’usage du THC (tetra-hydro-cannabinol, principe actif du cannabis)  ? Qui n’a vu les résultats scolaires tomber en flèche en quelques mois sans qu’il n’y ait d’autre raison que l’expérimentation abusive d’un produit de plus en plus concentré ?

Est-ce que le jeune ado peut en parler à la maison ? Est-ce qu’il a envie d’en parler ? Non, il est nécessaire que le jeu soit secret. S’ajoute à la transgression de la règle, le plaisir d’une vie parallèle. Et l’on se sent plus fort que le monde entier, plus fort que les études qui font peur et sont comme ce qu’on dit des accidents de la route, des choses qui n’arrivent qu’aux autres. Entre un monde où l’on serait tous un peu frères et la méfiance relationnelle qui régit nos civilisations, le flower power et autres rasta legends entraînent leurs adeptes dans un monde feutré où n’existe pas de factures d’électricité.

La solution qui consiste à maintenir en France une interdiction absolue de la consommation est similaire à l’idée qui nous a fait construire la ligne Maginot. Comme à l’époque, l’idée n’est pas discutable à moins de passer pour un antipatriote. Les années passent et la France ne met pas le problème à plat. Absent des débats électoraux, le problème de la toxicomanie reste un tabou dont les professionnels débattent savamment pendant que nos gosses fument leurs joints en cachette. Achetés sur un marché parallèle, alimentant un réseau mafieux, sans doute une grande part du problème des banlieues, l’économie du cannabis est niée alors que 40 000 tonnes de haschich partent en fumée chaque année. Il n’y a aucun rapport entre le prix de revient du produit et son prix d’achat. La qualité est complètement aléatoire, pouvant mettre en danger les poumons de fumeurs quand le produit est mélangé à toute sorte de substance.

Il y a trente ans, dans les années soixante-dix, je souriais poliment à un ami qui me disait que "l’année prochaine, le cannabis sera légalisé", prenant ses désirs pour des réalités. En 2007, on risque toujours des millliers d’euros d’amende et même des années de prison pour quelques grammes de haschich. Pouvoir disposer d’un argument comme celui de l’augmentation de la schizophrènie est pain bénit pour surseoir encore et toujours à l’évolution d’une législation qui n’a plus rien à voir avec la réalité.

Il n’y a que l’issue courageuse et intelligente qui grandit l’Histoire des nations et de ses peuples. Oui, c’est grandiloquent mais, si j’écris avec détermination ces lignes, c’est que je crois que la schizophrénie n’est pas dans l’apparition de cas médicaux dont le traitement est difficile et coûteux pour la collectivité, mais que cette schizophrénie est dissoute entièrement dans notre façon de vivre ensemble en se cachant la vérité. Comme dans un vieux couple où le silence tient lieu de fonctionnement. Les cas remarquables ne seraient que les symptômes d’un malaise général.

Créer une Régie du cannabis serait admettre l’existence de son usage. Comment faire comprendre que ce ne serait pas un échec pour ceux qui luttent pour la prévention des addictions ? Comment leur démontrer que l’utilisation raisonnée peut s’envisager ? Est-ce que l’ère "Sarkozy-qui-résoud-tout" verra une réforme s’engager en ce sens ?

Chacun peut voir les avantages d’une transparence : transformer un produit illicite en une marchandise comme une autre supprime le trafic, assure la qualité du produit et permet d’aborder en termes adultes les inconvénients liés au mésusage. Comme il existe un apprentissage familial à la première cuite, une tolérance sociétale à la consommation conviviale d’alcool, il pourrait être bénéfique de pouvoir parler du cannabis, de sa propre expérience, sans verser dans l’aveu délictuel.

Qui est le plus schizophrène, à présent ? Ceux qui disent que la société doit être épurée de toute trace de THC ou ceux qui ne croient pas à cette épuration ? Qui est dans le déni de la réalité ?


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